Une leader sans couronne de fleurs

Shelly Yacimovich est-elle de taille à prendre les commandes du pays ?

Shelly Yacimovitch p8 (photo credit: Marc Israel Sellem)
Shelly Yacimovitch p8
(photo credit: Marc Israel Sellem)
Un succès indiscutable. En quelques mois Shelly Yacimovich, ancienne journaliste de 52 ans, a hissé le parti travailliste, dont elle est aux commandes depuis septembre dernier, de 8 mandats dans la Knesset actuelle, à 20 sièges dans les sondages projectifs électoraux. Elle a eu de la chance : les électeurs déçus de Kadima ont reflué vers elle, tandis que le mouvement social de l’été 2011 et un profond désir pour un leadership national ont nourri sa popularité.
Voilà des années que la justice sociale forme l’étendard de Yacimovich. Depuis son époque à la radio dans les années 1990, elle est en première ligne du combat contre les aberrations et les inégalités engendrées par un système économique néolibéral qui a fait d’Israël une nation dirigée par les magnats, et marquée par un des plus grands fossés au monde entre les pauvres et les riches.
Le mouvement social a bel et bien joué en sa faveur. Son livre, Nous : de l’économie, la société la morale et la nationalité en Israël (Anahnou - al calcala, hevra, moussar ouleouiout beyisrael), une collection d’articles, d’émissions et de discours, est un vibrant plaidoyer pour une répartition plus équitable de la richesse nationale et davantage d’investissements publics dans les services sociaux, la santé et l’éducation.
Certes, elle est le porte-drapeau inébranlable d’une cause évidemment juste. Mais, car il y a un mais, le problème de Yacimovich est justement la nature unidimensionnelle de sa politique.
Chef de file de la gauche centriste et Première ministre potentielle, on ne l’entend presque jamais sur les implantations, le service militaire pour les haredim, l’égalité (ou la justice sociale) pour les Arabes israéliens ou la guerre contre l’Iran. Selon Yacimovich, la société israélienne doit d’abord réaliser la justice sociale en son sein et ensuite, seulement, se préoccuper de faire la paix avec les Palestiniens.
En d’autres termes : elle ne se mesurera pas à la présence juive dans les territoires avant d’avoir atteint un certain niveau d’utopie sociale.
Position fondamentalement intenable. Car attendre une utopie signifie la création d’un Etat palestinien à majorité simple qui, avec l’appui de la communauté internationale, appellera à une gestion de la voix unique, du dirigeant unique, à une délégitimation croissante d’Israël et à la fin du rêve sioniste.
Une gauche trop à droite ?
Yacimovich n’a fait aucune tentative pour prendre contact avec le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Elle n’a émis aucun communiqué, aucun avertissement sur les dangers du déclin du processus de paix. Personne ne connaît véritablement sa position sur le conflit. Est-elle en faveur d’une paix négociée ? Le cas échéant, ses vues sontelles plus proches de celles de l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert, des auteurs de l’initiative de Genève ou du chef du gouvernement en vigueur Binyamin Netanyahou ? S’affilie-t-elle à l’école du “qu’ils donnent et ils obtiendront”, ou soutiendrait-elle un retrait unilatéral de Judée et Samarie au nom d’un Israël démocratique à majorité juive ? Une des rares fois où Yacimovich a effectivement prononcé les mots : “deux Etats pour deux peuples” était à l’occasion d’un jeu de mots. Elle faisait en réalité référence à la situation au sein d’Israël, où il existe un Etat pour les riches qui payent peu d’impôts et un autre pour le reste de la population, imposée jusqu’à plus soif.
L’attitude frileuse de la leader travailliste fait malencontreusement penser aux déclarations belliqueuses du ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, affirmant que la paix ne sera pas possible avant la prochaine génération. En effet, une partie de la gauche accuse Yacimovich d’un accord tacite avec la droite sur l’évacuation de la question palestinienne du débat public. Une entreprise qui l’aide certainement politiquement mais ne fait que perpétuer un état de faits.
Si ces allégations s’avèrent, c’est une très mauvaise nouvelle pour l’avenir de l’Etat hébreu. Les conseillers de Yacimovich rétorquent que les élections en Israël ne peuvent plus être remportées par la gauche et lui enjoignent d’éviter les engagements gauchistes. Mais l’élue serait la première à critiquer de cyniques politiciens qui ne feraient que surfer sur la vague de l’opinion.
Les vrais leaders n’ont pas à céder, mais se doivent de promouvoir les intérêts nationaux, même lorsqu’ils sont impopulaires - ici, la solution à deux Etats.
Trop proche des implantations et des religieux ?
Yacimovich ne s’est pas non plus fait entendre sur le phénomène du “prix à payer”, qui voit certains groupes de radicaux juifs vandaliser ou brûler des biens palestiniens, dont des mosquées, en représailles à des actes gouvernementaux qu’ils désapprouvent.
En réalité, l’attitude chaleureuse de Yacimovich envers les habitants d’implantations interroge quant à son idéologie de gauche.
Selon elle, la critique dénonçant les milliards investis par le gouvernement en Judée et Samarie aux dépens du progrès social à l’intérieur du pays relève de la démagogie.
Elle soutient la ville d’Ariel et son université nouvellement accréditée, malgré la controverse au motif que ses habitants y ont été envoyés par les différents gouvernements et qu’il serait hypocrite aujourd’hui d’empêcher la ville de se développer, bien qu’elle ait été originellement fondée pour saboter les espoirs d’une solution à deux Etats. Courtiset- elle le vote des habitants d’implantations à des fins politiques ou le croit-elle sincèrement ? Serait-elle en secret une conservatrice, une Likoudnik avec une conscience sociale, comme Haïm Katz, Moshé Khalon ou Miri Regev ? La question se pose.
Pour un leader du centre-gauche, Yacimovich s’est montrée étonnamment douce sur le sujet explosif de l’enrôlement militaire des haredim. Pire : elle a enjoint aux politiciens qui voulaient parvenir à un service égalitaire “d’arrêter d’employer un langage destiné à exacerber le sectarisme à des fins politiques”. Elle connaît pourtant les chiffres : l’économie ne peut plus continuer à supporter indéfiniment le poids croissant des ultra-orthodoxes ne travaillant pas et ne faisant pas l’armée. Dans le même ordre d’idées, le parti travailliste n’a pas soutenu le projet de loi de Meretz sur les transports en commun le Shabbat, laissant les commentateurs de gauche songeurs : Yacimovich, aujourd’hui potentiellement éligible, cherche-t-elle à jeter les bases d’un futur soutien politique des partis religieux ?
Ajouter des cordes à son arc
La même fervente défenseuse de la démocratie sociale se fait discrète sur la situation des Arabes israéliens. Mais on serait en droit d’attendre que la justice sociale s’applique au-delà du partage des biens au sein de la majorité juive. Quid des droits de l’Homme pour tous, de l’accès universel aux services sociaux et de la lutte contre la discrimination basée sur la religion ou l’ethnie ? L’ancienne journaliste semble bien souscrire au grand rêve d’une société juive unifiée basée sur la justice sociale et la conciliation.
Une utopie qui l’emporte sur tout le reste à ses yeux. Pour preuve, ses amitiés publiques avec des rivaux politiques : Gideon Saar du Likoud ou Yaakov Litzman du parti Judaïsme unifié de la Torah (JTU).
Yacimovich possède également un autre défaut majeur. Si elle aspire vraiment à devenir Première ministre avec le pouvoir de faire plus de justice sociale, elle doit absolument commencer à se bâtir une envergure internationale. Elle doit prendre part dans le débat sur la sécurité nationale : dire haut et fort ce qu’elle pense de la guerre avec l’Iran, l’état des relations avec Washington et la place d’Israël dans un Moyen-Orient en pleine mutation.
Elle a réussi à s’imposer comme le porteparole d’une volonté de justice sociale au plan national. Mais Yacimovich doit désormais édicter un programme plus vaste et plus cohérent, tant pour l’intérieur du pays qu’en matière de politique étrangère. Une vision qui donnerait un espoir aux Israéliens pour le futur. En résumé, pour vraiment réussir, Yacimovich doit ajouter des cordes à son arc.