Casser le siège

Israël n’a pas encore totalement gagné la bataille pour sa reconnaissance. Pourtant, sur la scène internationale, il a remporté plus de succès que ses premiers diplomates ne l’auraient jamais rêvé

Le ministre iranien Reza Safinia discute avec David Ben Gourion (photo credit: GPO)
Le ministre iranien Reza Safinia discute avec David Ben Gourion
(photo credit: GPO)
Israël est né sous le siège. Accueilli par les balles de ses voisins, le nouvel Etat juif est aussi mis au défi de bien d’autres façons, par la majeure partie du monde extérieur. Dès le départ, la lutte pour sa reconnaissance va conditionner sa diplomatie. Mais à l’image de Sisyphe condamné à pousser son rocher, Israël qui ne ménage pas ses efforts depuis 67 ans, peut s’enorgueillir de davantage de succès que d’échecs, au-delà même de ce que ses plus optimistes pionniers auraient pu imaginer.
Depuis son premier jour, il est confronté à trois objectifs diplomatiques intrinsèquement liés : pacifier ses détracteurs, cultiver ses alliances et vaincre les ennemis de ses amis.
En 1949, aussi étrange que cela puisse paraître, beaucoup en Israël sont persuadés que la paix les attend au coin de la rue. La guerre d’Indépendance vient de se solder par des accords d’armistice entre l’Etat juif et ses quatre voisins, qui semblent traduire leur volonté commune de parvenir à une paix définitive. Mais l’assassinat du roi de Jordanie, Abdallah Ier, en 1951 sur le mont du Temple, alors que le monarque s’apprête à signer un accord de paix avec Israël, va signifier sans équivoque aux plus grands des optimistes que la paix est loin de s’instaurer, pendant qu’aux frontières, une violence consécutive indique que les inimitiés, auront, elles, bien du mal à disparaître.
Pire encore, les détracteurs d’Israël se mettent à entraver ses compétences commerciales et diplomatiques. Le boycott arabe inscrit sur une liste noire toute compagnie prête à commercer avec l’Etat juif. Le monde musulman dans son ensemble, à l’exception de la laïque Turquie d’alors, bannit Israël en masse, établissant une ceinture anti-israélienne qui s’étend de Casablanca à Djakarta. Le Vatican n’arrive pas à accepter, théologiquement parlant, la résurrection politique des juifs. L’Espagne du général Franco ne reconnaît pas Israël. Dès 1967, le bloc de l’Est, hormis la Roumanie, durcit ses liens avec Jérusalem, imité par l’Afrique noire, au cours de la décennie suivante. La Chine, en dépit d’une détente dans ses relations avec l’Occident, se refuse à établir tout contact avec Israël, pendant que l’Inde accepte l’ouverture d’un consulat israélien à Bombay, mais s’oppose à une ambassade à New Delhi.
En clair, l’Etat juif doit non seulement se battre pour s’assurer une place dans la région, mais aussi au sein du reste du monde. Pour survivre, il a un besoin d’alliés fiables à la fois urgent et existentiel. Une quête qui va se révéler un sacré défi dès la guerre d’Indépendance.
Les fissures de la diplomatie
A l’Ouest, les Etats-Unis refusent de vendre des armes à la toute nouvelle nation juive et la Grande-Bretagne n’a même pas soutenu la partition de la Palestine proposée par l’ONU en 1947. Les efforts du Premier ministre de l’Etat, David Ben Gourion, pour persuader le président américain Dwight Eisenhower d’inclure officiellement Israël dans le bastion libertaire occidental et de l’accueillir dans le giron militaire de l’Otan, tombent dans l’oreille d’un sourd.
A l’Est, Jérusalem va dans un premier temps bénéficier de livraisons d’armes soviétiques via la Tchécoslovaquie. Mais Moscou va vite comprendre que l’émergence et les victoires de l’Etat hébreu risquent d’attirer les juifs de Russie et réalise qu’Israël ne deviendra jamais un pays communiste. Les livraisons maritimes cessent un an et demi à peine après avoir commencé.
Seul, debout au milieu de ce paysage géopolitique, Israël caressera longtemps l’illusion de la neutralité. En 1955, quand 29 pays africains et asiatiques se réunissent à Bandung, en Indonésie, pour créer le mouvement des non-alignés, il espère être admis à la table. En vain. Non seulement sa demande sera rejetée, mais Chou En-lai, ministre chinois des Affaires étrangères, profitera de cette petite réunion entre amis pour négocier un contrat d’armement entre la Russie et l’Egypte, alimentant ainsi la stratégique alliance arabo-soviétique qui animera trois guerres clés du conflit israélo-arabe.
Mais dans cette configuration pour le moins alarmante, Israël va découvrir que les murs opaques de la diplomatie, à l’ombre desquels il se croyait contraint de vivre, dissimulent parfois des fissures. Deux de taille, l’une économique et l’autre militaire, lui apparaîtront dans les années 1950. La première avec l’Allemagne de l’Ouest : Berlin signera avec Jérusalem un historique accord de réparations, qui approvisionnera l’Etat juif en monnaie sonnante et trébuchante plus que nécessaire, et en matériaux bruts tout au long de la première décennie de son existence. La seconde avec la France, offensée par la Conférence de Bandung où elle s’est sentie diabolisée. Ce qui va la conduire à conclure avec Israël un premier accord d’armement à grande échelle, incluant des tanks et des avions de chasse.
Ces alliances avec l’Allemagne et la France, couplées avec une aide économique américaine, limitée mais stable, font la preuve, si besoin en est, que la place naturelle – même difficile à obtenir – de l’Etat juif, dans cette époque d’après-guerre, est bel et bien au sein du monde occidental. Une conclusion qui n’a eu de cesse de se confirmer depuis.
L’Alliance de la périphérie
En 1964, les Etats-Unis oublient leur embargo sur l’armement, et dans le sillage de la guerre des Six Jours, établissent une assistance financière stratégique à coups de milliards de dollars, devenue un élément de base de la relation israélo-américaine. Pendant ce temps, l’Union européenne accueille Israël comme membre associé et devient un de ses principaux partenaires commerciaux. Ironiquement, peu de temps après, la France lance, elle, son propre boycott au lendemain de la guerre des Six Jours. Israël pourra donc en conclure que ce qui peut paraître un siège, n’en est jamais vraiment un, et que, quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. Mieux encore : non seulement les murs des ennemis contiennent des fissures, mais derrière ces murs lorgnent les ennemis de ces ennemis, qu’il peut être intéressant de convertir en amis.
En 1958, Ben Gourion va s’employer à tendre la main à ces amis de l’autre côté. Car toute entité assiégée a besoin d’autres choses que de vivres, d’armes ou de victoires. Elle a besoin de sentir qu’elle n’est pas seule.
L’opportunité va se présenter sur les berges de l’Euphrate, où un coup d’Etat fait sauter une barrière anti-soviétique dressée par les Américains entre la Turquie et l’Iran. Ben Gourion peut alors approcher la Turquie, l’Iran et l’Ethiopie, trois nations anti-arabes et anti-soviétiques, qui encerclent le monde arabe sur trois côtés, et partagent l’inquiétude américaine au vu des développements dans la région. Israël trouve une oreille attentive à Ankara, Téhéran et Addis Abeba. Avec ces trois partenaires, les relations évolueront différemment, mais de pacifiques coopérations d’envergure émergeront.
Cette « Alliance de la périphérie » va vite s’étendre à des niveaux sous-étatiques, comme avec l’aide israélienne apportée aux rebelles kurdes d’Irak, dans les années 1960. L’objectif est alors de cultiver un anneau d’Etats et de minorités moyen-orientaux, soit non arabes, soit non musulmans : des coptes égyptiens aux maronites libanais, en passant par les Berbères marocains ou les Druzes syriens. Une vision parfois irréaliste et parfois dangereuse, mais qui prouve une fois de plus qu’un siège hermétique peut bien souvent se révéler élastique, friable et cassable. Pourtant, cette stratégie ne constitue qu’un traitement symptomatique, un remède contre la volonté du monde arabe de faire de l’Etat juif un paria. Les événements qui vont débuter en 1979 pour culminer en 1989 la rendront vite anachronique.
L’heure de l’embellie
Il va sans dire que l’accord de paix avec l’Egypte a révolutionné la place d’Israël. Certes, 35 ans plus tard, beaucoup en Terre promise considèrent ce traité avec déception, en ce sens qu’il n’a donné lieu ni à des échanges commerciaux, ni à un dialogue avec Jérusalem, et que les médias égyptiens restent violemment anti-israéliens, voire souvent antisémites. Pour autant, à l’époque, le tabou est levé et une brèche a pu s’opérer dans le siège. Par pure coïncidence, l’arrivée d’un ambassadeur égyptien à Tel-Aviv, survient deux mois seulement après que l’ayatollah Khomeini ne défasse le Shah d’Iran. La stratégie de la périphérie vient de s’inverser pour Israël : ses nouveaux alliés dans la région sont arabes et ses ennemis les plus virulents ne le sont plus.
Si la perte de l’Iran constitue un coup dur pour Israël, le gain de l’Egypte va donner lieu à une légitimation progressive de l’Etat juif au sein du monde arabe, mise en lumière par l’accord de paix avec la Jordanie, les accords d’Oslo avec les Palestiniens, et l’acceptation même momentanée, d’envoyés israéliens dans les capitales du Maghreb et des pays du Golfe.
Les dissonances avec le monde arabe en général et les Palestiniens en particulier, continuent d’alimenter le défi global que représente l’acceptation de l’Etat juif, et ce, même si la position actuelle d’Israël au sein du monde arabe est incontestablement meilleure qu’en 1949. Et partout ailleurs aussi.
La chute du communisme va représenter une aubaine chèrement gagnée pour Israël, puisque le bloc de l’Est dans sa totalité va établir de pleines relations diplomatiques avec l’Etat juif. Idem pour la Chine et le Vietnam. L’Inde, elle, passe au niveau supérieur en acceptant des ambassades, quant au Vatican, il accepte, lui aussi, des échanges d’ambassadeurs avec Israël.
Ce n’est plus un rêve
Certes, beaucoup reste à faire. Officiellement, la diplomatie israélienne est laissée de côté par des pays importants, dont l’hostilité envers l’Etat juif n’étonne personne, comme l’Indonésie, la Malaisie, l’Arabie Saoudite ou l’Iran. Mais de façon informelle, les efforts pour diffamer ou diaboliser Israël, continuent de faire rage, que ce soit au sein du monde développé ou en voie de développement, et constituent, à mon sens, une menace stratégique pour l’Etat juif.
Lors d’un entretien avec des journalistes, alors qu’il venait d’arriver à Jérusalem pour tenter de resserrer les liens diplomatiques avec Israël, le ministre des Affaires étrangères d’une Union soviétique qui allait bientôt disparaître, déclarait à propos du traitement d’Israël par l’URSS : « C’est une erreur historique ». Une confession qui prendra vraisemblablement encore plusieurs générations pour émerger des derniers tenants du siège de l’Etat juif.
Pour autant, si Ben Gourion était en vie pour contempler l’actuelle légitimité et portée de la diplomatie israélienne, ce rêveur pragmatique serait le premier à être stupéfait. Avec des ambassadeurs israéliens à Moscou, Pékin, au Vatican, au Caire, à Amman ; avec Israël achetant du pétrole en Azerbaïdjan et vendant de l’eau à la Jordanie ; avec les vaisseaux israéliens passant par le canal de Suez et les produits pharmaceutiques de l’Etat juif, ses légumes ou autres technologies atteignant la Chine, l’Arménie ou l’Albanie, le siège que les pères fondateurs d’Israël ont passé leur temps à braver, n’existe plus.
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