La politique de la chaise vide

La décision d’Avigdor Liberman d’entrer dans l’opposition place Benjamin Netanyahou dans une position délicate, à l’heure des grands défis diplomatiques

Avigdor Liberman quitte la partie (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Avigdor Liberman quitte la partie
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Casse-tête pour le Premier ministre. Lundi 4 mai, à la dernière minute, Avigdor Liberman décide de quitter le ministère des Affaires étrangères et les négociations de coalition. C’est décidé, Israël Beiteinou rejoindra l’opposition. Maigre consolation : Benjamin Netanyahou aura, au moins pour un temps, quelqu’un au ministère des Affaires étrangères qui parlera vraiment en son nom : Bibi en personne.
Au terme de plusieurs semaines de tractations et de surenchère, Israël s’est éveillé jeudi 7 mai au matin, avec un gouvernement restreint sans ministre des Affaires étrangères plénipotentiaire. A l’heure où se profilent de nombreux défis diplomatiques, l’Etat hébreu aura donc un ministre du Tourisme dévoué, un ministre de l’Eau et de l’Energie empressé, un ministre des Sports et de la Culture zélé. Mais point de chef de la diplomatie. Le Premier ministre lui-même occupera le poste. Cependant le chef du gouvernement aura certainement d’autres priorités que celle de cultiver des liens avec le Kazakhstan, l’Angola et la Colombie.
C’est la troisième fois que Benjamin Netanyahou porte ces deux casquettes. Il l’a fait pendant neuf mois au cours de son premier mandat en 1998, puis de décembre 2012 à novembre 2013, quand Liberman a démissionné pour faire face à des accusations de corruption. Le Premier ministre n’a alors fait que garder au chaud le siège de celui qui était alors son fidèle allié, pour le lui rendre dès son acquittement.
Le même scénario semble se répéter aujourd’hui. Nir Hefetz, le porte-parole de la campagne, a déclaré jeudi 7 mai à la radio israélienne, que Netanyahou maintenait la porte ouverte au coleader de l’Union sioniste, Itzhak Herzog, au cas où celui-ci déciderait de rejoindre le gouvernement. Cela peut encore arriver, mais risque de prendre un certain temps. Dans l’intérim, le ministère sera entre les mains de Netanyahou lui-même, ce qui présente à la fois des avantages et des inconvénients.
Un ministère dans les limbes
Pierre d’achoppement : le ministère se porte mal. Le rapport du contrôleur de l’Etat, publié cette semaine, met en évidence une situation anormale : le ministère semble manquer de diplomates qualifiés. Pour y remédier, il faudrait une personne apte à mener des changements structurels au sommet de la pyramide. Un dirigeant qui disposerait du temps et de l’énergie nécessaires pour entreprendre une réorganisation bureaucratique institutionnelle. Certainement pas la tasse de thé d’un ministre des Affaires étrangères par intérim.
Le ministère a également besoin d’un ministre à plein temps prêt à se battre pour défendre son budget et son pré carré. Encore une fois, il est fort peu probable de voir le Premier ministre, dans sa position de remplaçant temporaire, se lancer dans la bataille.
En outre, le ministère a ces dernières années été mis sur la touche, concernant de nombreux dossiers clés. C’est sans doute l’une des décisions les plus étranges prises par Liberman : en juillet 2009, il désengage le ministère des Affaires étrangères du volet des négociations avec les Palestiniens. Le chef d’Israël Beiteinou estime alors qu’une trop grande attention est consacrée à cette question, au détriment d’autres obligations, comme le rapprochement avec l’Amérique du Sud et l’Afrique. En outre, le chef de la diplomatie voit un conflit d’intérêts dans le fait qu’un habitant de l’implantation de Nokdim soit chargé de traiter de la question palestinienne et de l’avenir des implantations. « De mon point de vue, il existe clairement un conflit d’intérêts », déclare-t-il à l’époque. « Pour quelqu’un qui vit dans une petite implantation isolée, qui ne fait partie d’aucun grand bloc d’implantations, traiter de cette question me place clairement en porte-à-faux. Je ne voudrais pas que l’on me reproche, par la suite, d’avoir intentionnellement torpillé d’importantes négociations diplomatiques. » Aussi Liberman sort-il, d’un seul coup, son ministère du circuit palestinien, ce qui le met également hors course pour mener les discussions dans les rapports israélo-américains. Ehoud Barak, à l’époque ministre de la Défense, ne se fait pas prier pour prendre la relève et fait la navette entre Jérusalem et Washington.
Liberman ne se contente pas de rester à l’arrière du peloton avec les Palestiniens et les Américains. En raison d’anciennes déclarations au sujet des Egyptiens, il se retire également de la gestion des relations stratégiques avec Le Caire, ou encore des rapports de premier plan avec la Jordanie. Ces deux dossiers essentiels font aujourd’hui partie des prérogatives du bureau du Premier ministre et du ministère de la Défense. Benjamin Netanyahou ne revendiquera probablement pas leur retour dans le giron des Affaires étrangères.
Bibi porte-parole de Netanyahou
Pour Netanyahou, rester aux commandes de la diplomatie par intérim offre cependant un atout majeur : le bureau du Premier ministre n’aura plus à désavouer son ministre des Affaires étrangères. Ce qui était étrangement de mise pendant le mandat de Liberman.
Exemple le plus flagrant de ces malheureux impairs : en 2010, Liberman s’adresse à l’ONU et contredit sur la scène internationale la politique prônée par le Premier ministre. La position officielle de Netanyahou était à l’époque la reprise des négociations dans la perspective d’une solution de deux Etats pour deux peuples. Mais Liberman a déclaré qu’il fallait mettre l’accent sur un « accord immédiat à long terme, ce qui pourrait prendre plusieurs décennies ». Et de profiter de ce discours pour promouvoir l’idée d’un « échange de territoires densément peuplés ». C’est-à-dire, redessiner les futures lignes de deux Etats basés sur les réalités démographiques : ramener à l’intérieur d’Israël la majeure partie des implantations, et à l’intérieur d’un futur Etat palestinien une grande partie de la population israélo-arabe. Une proposition en complet désaccord avec la politique de Netanyahou. Liberman utilise sa position pour promouvoir ses propres idées, qui n’ont rien à voir avec celles du gouvernement. Le bureau du Premier ministre publie dans la foulée un démenti officiel, qui nie toute implication de Netanyahou dans ces déclarations.
Mais le Premier ministre se retrouve sans filet en ce qui concerne les relations parfois difficiles avec le président américain Barack Obama et certains dirigeants européens : il ne pourra pas envoyer un émissaire du ministère des Affaires étrangères pour aplanir ces relations. Ou, comme a ironisé sur son compte Twitter un journaliste américain, farouche opposant de Bibi : « Netanyahou sera apparemment son propre ministre des Affaires étrangères. Peut-être s’enverra-t-il lui-même à Washington pour réparer les dommages causés par Netanyahou. »
Souriant et présentable
Dans ce contexte, le rôle du vice-ministre des Affaires étrangères prendra certainement une importance accrue, puisque c’est lui qui aura la charge du ministère au quotidien.
L’ancien ambassadeur aux Etats-Unis et député de Koulanou Michael Oren est pressenti à ce poste. Les relations entre Oren et Netanyahou sont un peu une énigme. C’est le Premier ministre lui-même qui a arraché l’éloquent Oren du milieu universitaire pour l’envoyer à Washington en 2009, où il a habilement géré les relations compliquées entre Netanyahou et la Maison-Blanche et représenté Israël auprès de l’opinion publique américaine.
Après son retour en Israël en 2013, Oren rejoint pourtant les rangs de Koulanou, le parti de Moshé Kahlon. Preuve apparente d’un certain désenchantement de la part de l’ambassadeur vis-à-vis de la politique étrangère du Premier ministre. Ou peut-être simplement le fruit d’un simple calcul politique : il est en effet plus facile d’entrer à la Knesset par le biais de Koulanou, que par celui du Likoud.
Oren, au poste de vice-ministre des Affaires étrangères, offrirait au Premier ministre ce que Liberman, avec ses déclarations à l’emporte-pièce et son franc-parler agressif, n’a pu lui fournir : un visage souriant et « présentable » aux yeux du monde.
La pression internationale ne va pas tarder à peser sur Israël et la question palestinienne va rapidement revenir à l’ordre du jour. Avoir à la tête de la diplomatie un homme à même de défendre habilement et efficacement la position de l’Etat hébreu sur la scène internationale, serait un avantage.
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