Le challenge : se réconcilier avec les Etats-Unis

A peine formé, le nouveau gouvernement israélien est confronté à des défis de taille, tant sur le plan diplomatique que sécuritaire

François Hollande, invité d'honneur du sommet du Golfe (photo credit: REUTERS)
François Hollande, invité d'honneur du sommet du Golfe
(photo credit: REUTERS)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fait de la survie d’Israël sa mission historique sacrée. Il l’a répété à plusieurs reprises : il fera tout pour garantir que l’héroïque histoire de la renaissance juive dans un Etat nation ne soit pas, selon ses mots, un « épisode éphémère ». Dans cet esprit, l’une des priorités de son nouveau gouvernement consistera à colmater les brèches avec les Etats-Unis. Car pour répondre à l’éventail complet des endémiques défis interdépendants auxquels il est confronté – qu’ils soient d’ordre militaire, diplomatique ou économique – Israël aura besoin de Washington.
Telle était l’essence d’une note interne rédigée mi-avril par le directeur général du ministère des Affaires étrangères, Nissim Ben-Chetrit, recommandant une « action urgente » pour rétablir une relation de travail intime avec l’administration Obama ; relation meurtrie par les affrontements publics réguliers entre le chef du gouvernement israélien et le président américain.
Dans cette note, adressée à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Avigdor Liberman, Ben-Chetrit énumère une série de défis, dans le cadre desquels une coordination étroite avec les Etats-Unis sera essentielle : l’initiative de la France au Conseil de sécurité des Nations unies pour la reconnaissance de la Palestine comme un Etat membre de l’ONU à part entière ; les éventuelles poursuites palestiniennes contre les politiques et militaires israéliens devant la Cour pénale internationale (CPI), à laquelle les Palestiniens ont adhéré le 1er avril ; la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, qui a débuté au siège de l’ONU à New York le 27 avril dernier ; la possibilité d’influencer les termes de l’accord nucléaire entre l’Iran et les puissances internationales dont la signature est prévue avant le 30 juin ; et la nécessité d’un soutien diplomatique en cas d’opérations militaires de grande échelle du Hezbollah, la milice chiite libanaise soutenue par l’Iran, près de la frontière entre la Syrie et le plateau du Golan.
Plus récemment, d’autres défis ont également surgi : un appel des ministres européens des Affaires étrangères pour étiqueter les produits israéliens fabriqués en Judée-Samarie, et la livraison prévue en Iran de sophistiqués missiles antiaériens S-300, de facture russe.
L’initiative française
L’initiative française à l’ONU constitue un défi de taille, dans le cadre duquel Israël aura besoin de l’aide de la Maison-Blanche. Parallèlement à l’appel pour une reconnaissance d’un Etat palestinien, le projet français veut statuer sur les paramètres à valider pour un accord de paix israélo-palestinien. Si Israël décide de s’opposer à l’effort, il aura besoin du veto américain. S’il décide d’y adhérer, il lui faudra l’aide de Washington pour parvenir à la rédaction de paramètres qu’il pourra accepter.
Il y a de fortes chances que le nouveau gouvernement Netanyahou rejette l’initiative française ; ceci ne manquera pas de donner lieu à une forte pression internationale. Ce que les Américains décideront alors de faire sera décisif.
L’initiative française peut être envisagée dans le cadre de sa stratégie de rapprochement avec les pays du Golfe persique ; de nouveaux liens qui ont récemment mené à l’achat par le Qatar d’avions de combat français pour un montant de 7 milliards de dollars, et à la participation du président François Hollande au sommet du Conseil de coopération du Golfe. C’est la première fois qu’un chef d’Etat occidental est accueilli à la table des monarques du CCG. La France est lancée dans une large opération séduction. C’est pourquoi Paris s’est montrée frileuse quant à l’accord sur le nucléaire iranien le mois dernier, et c’est pourquoi elle tente de démontrer que les Etats-Unis ne sont pas le seul intermédiaire dans le dossier palestinien. Mais sans le soutien de Washington, ses efforts ne porteront certainement pas leurs fruits. Or Obama, occupé par l’accord sur le nucléaire iranien, ne souhaite pas ouvrir un second front avec Jérusalem, ni avec le Congrès. Pour ces raisons, selon de nombreuses rumeurs, le président américain insiste ces dernières semaines pour que Paris renonce à sa résolution au Conseil de sécurité. Même après le 30 juin, il y a peu de chances que Washington ne soutienne la résolution française. A l’aube des présidentielles américaines, les Démocrates ne voudront pas se mettre à dos les électeurs pro-israéliens et les juifs des Etats comme la Floride et l’Ohio.
L’Europe hausse le ton
Mi-avril, 16 des 28 ministres des Affaires étrangères de l’UE ont signé un courrier à l’attention de la chef de la politique étrangère européenne Federica Mogherini, exigeant un étiquetage spécifique sur les produits fabriqués en Judée-Samarie. Parmi les signataires : la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, la Suède, Malte, l’Autriche, l’Irlande, le Portugal, la Slovénie, la Hongrie, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas et le Luxembourg. L’Allemagne est le seul des cinq « grands » pays européens à ne pas avoir signé ce document.
La logique derrière cette demande d’étiquetage ? Faire pression sur Israël pour l’encourager à avancer vers une solution à deux Etats avec les Palestiniens. Mais Jérusalem redoute que cela n’intensifie encore davantage les actions de boycott à l’encontre des produits israéliens, et laisse les mains libres aux partisans de la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). L’ancien ministre des Finances Yaïr Lapid a ainsi appelé Mogherini pour protester, qualifiant la décision de « catastrophe » potentielle pour l’économie israélienne dans son ensemble. La suite des événements dépendra dans une large mesure des signaux que les pays européens recevront des Etats-Unis.
La CPI
Les requêtes palestiniennes devant la Cour pénale internationale pourraient être découragées par une action israélo-américaine coordonnée – par exemple, si les Etats-Unis mettaient en garde les Palestiniens contre des restrictions de financement en cas de comparution devant la CPI. Le Congrès a d’ores et déjà adopté une législation dans ce sens.
Les initiatives légales palestiniennes pourraient aussi être muselées par une éventuelle reprise du dialogue israélo-palestinien, facilitée par les Etats-Unis. Mais les chances d’un nouveau cycle de négociations, sous l’égide de Washington, restent minces, même si les deux parties ont tenu à affirmer haut et fort leur volonté de conciliation. Le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a par exemple appelé à un réengagement avec le nouveau gouvernement israélien. Mais difficile encore de savoir si cela reflète une réelle volonté de paix ou une nouvelle tentative pour gagner des points diplomatiques, avant d’initier une nouvelle vague de pressions anti-israéliennes devant les différents forums internationaux.
Pour sa part, Israël a accepté de débloquer les recettes fiscales de l’AP confisquées depuis décembre comme mesure punitive, après la demande palestinienne de rejoindre la CPI. Une décision qui a fait suite à une forte pression des Américains, qui craignaient l’effondrement imminent de l’Autorité palestinienne. Ce transfert de 1,85 milliard de shekels permettra le paiement des salaires des 150 000 employés de l’AP.
Dans un autre geste de bonne volonté, Israël a également permis à la police armée palestinienne de se déployer pour la première fois dans les quartiers palestiniens de Jérusalem. Certains constatent déjà un impact sur la qualité de vie des habitants et voient là les signes précurseurs d’une certaine forme de future souveraineté partagée. Pourtant, outre ces quelques avancées, les deux parties semblent bel et bien se positionner pour un futur jeu de blâme, où chacun se jettera la pierre à tour de rôle.
Le nucléaire iranien
En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, les dirigeants israéliens se sont faits à l’idée qu’il y aura bel et bien un accord entre l’Iran et les puissances occidentales. Reste donc à savoir ce qu’Israël peut faire pour le rendre plus acceptable. Une des pistes, privilégiée par Netanyahou, consiste à coopérer étroitement avec la majorité républicaine du Congrès pour faire pression sur l’administration démocrate. Mais dans son article, Ben-Chetrit condamne les critiques publiques à l’égard du président. Il propose de reprendre une collaboration dans le calme avec l’administration Obama, afin de parvenir à des amendements décisifs. Tout aussi important, Israël et les Etats-Unis ont besoin d’être sur la même longueur d’onde si l’Iran venait à violer l’accord.
Sur le front nord
Pour l’heure, la principale menace militaire qui pèse sur Israël reste le Hezbollah, émissaire chiite de l’Iran, fort de quelque 100 000 roquettes et missiles capables d’atteindre tout le territoire israélien, de Metoula à Eilat.
L’implication du Hezbollah dans la guerre civile syrienne, près de la frontière israélienne, a encore intensifié le risque d’une flambée de violence. Fin avril, des appareils israéliens auraient attaqué des stocks de roquettes transférés par l’armée syrienne au Hezbollah, ainsi qu’un convoi d’armes de la milice chiite, mettant encore en évidence la fragilité du cessez-le-feu actuel. Et la situation pourrait devenir encore plus instable si les missiles antiaériens S-300 de facture russe, fournis à l’Iran, trouvaient leur chemin vers le Liban.
En tout état de cause, dans l’éventualité de nouvelles hostilités, Israël les souhaiterait aussi brèves que possible, en raison de l’énorme puissance de feu du Hezbollah. Ce qui signifierait une intervention israélienne puissante et extrêmement dissuasive. Une fois de plus, Israël aurait besoin du soutien américain dans l’arène internationale pour rendre une telle opération possible.
Le TNP
Il y a encore une arène où Israël aura besoin de l’aile diplomatique américaine : celle de la Conférence d’examen quinquennale du Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui se déroule au siège onusien à New York, du 27 avril au 22 mai, sous la présidence de l’ambassadeur algérien à l’ONU, Taous Feroukhi.
Avec la Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan, Israël est l’un des quatre pays nucléaires présumés qui refusent d’adhérer au TNP. A chacune de ces conférences d’examen, qui ont lieu tous les cinq ans depuis 1995, l’Etat juif a fait l’objet d’intenses pressions pour ratifier le traité. La dernière conférence en date, en 2010, avait ainsi appelé spécifiquement l’Etat juif à adhérer au TNP, « sans plus tarder et sans conditions » et réaffirmé « l’importance de l’adhésion d’Israël au traité et du placement de toutes ses installations nucléaires sous l’entière supervision de l’AIEA ». Inutile de dire que cela signifierait alors la fin de la politique d’« ambiguïté nucléaire », si chère à Jérusalem, qui a permis au fil des ans d’exercer une dissuasion nucléaire, en évitant soigneusement toute inspection internationale ou demande de démantèlement nucléaire.
Cette politique d’« ambiguïté nucléaire » découle d'un accord tacite passé en 1969 entre le président américain Richard Nixon et Golda Meïr, alors Premier ministre : selon les termes de cet accord, Israël n’est pas obligé de reconnaître ses capacités nucléaires et les Etats-Unis ne feront rien pour le contraindre à signer le TNP. En clair, la politique d’ambiguïté israélienne repose, jusqu’à aujourd’hui, sur un solide bouclier diplomatique américain.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux analystes prédisent un véritable « tsunami diplomatique », au lendemain de la formation du nouveau gouvernement israélien. Mais leur prédiction pourrait ne pas se réaliser. La question palestinienne va-t-elle revenir sur le devant de la scène ? Certainement. Jérusalem fera-t-il l’objet de pressions ? Sans aucun doute. Mais paradoxalement, les récentes tensions dans les relations israélo-américaines pourraient être une opportunité pour repartir à zéro.
Washington s’emploie à signaler à Israël qu’il est à la recherche de moyens pour contourner le froid entre Obama et Netanyahou, et apaiser les craintes israéliennes sur le programme nucléaire iranien, en lui offrant un package sécuritaire. Au menu : l’approvisionnement anticipé d’une première livraison de F-35, chasseurs furtifs dernier cri et d’avions de ravitaillement pour des opérations de longue portée, ainsi que l’engagement à lui fournir un bouclier de défense contre l’Iran. De quoi ressusciter des pensées en sommeil quant à un éventuel traité de défense israélo-américain.
Israël pourrait donc profiter de la bonne volonté de Washington pour se lancer dans un grand marchandage : enjoindre aux Etats-Unis de travailler en tandem pour parvenir à établir un nouvel ordre au Moyen-Orient qui conviendrait alors aux intérêts des deux nations. Ce qui inclurait des plans pour une solution à deux Etats avec les Palestiniens, la reconstruction de Gaza en échange de sa démilitarisation, un meilleur accord quant au programme nucléaire iranien, et les moyens de renforcer la coopération israélienne avec le monde sunnite modéré.
Tout cela serait de loin le meilleur moyen pour Netanyahou de sécuriser l’avenir d’Israël.
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