Affaires de femmes ?

Partout dans le monde, les femmes travaillent, mais ne parviennent toujours pas au sommet. Doutes, enfants, construction sociale… Le point sur ce qui les empêche d’y arriver

Les députés Shelly Yachimovich et Limor Livnat (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Les députés Shelly Yachimovich et Limor Livnat
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
C’est un paradoxe. Après plus d’un siècle de combats féministes, l’égalité des femmes semble solidement inscrite dans la loi comme dans les esprits. Mais à y regarder de plus près, les disparités restent flagrantes. Le monde du travail, avec son cortège de working girls, n’y fait pas exception. Un phénomène sur la sellette ces derniers temps, avec la parution du best-seller de Sheryl Sandberg, numéro 2 de Facebook, Lean In (En avant toutes, en français). Cette battante professionnelle et mère de deux enfants y déplore le nombre extrêmement bas de dirigeantes politiques et économiques, et offre ses conseils aux femmes qui, comme elle, ne renoncent pas à grimper les échelons.
Car c’est un fait : si les femmes ont aujourd’hui largement accès à l’éducation dans les pays développés et qu’elles s’y avèrent excellentes (57 % des étudiants israéliens sont aujourd’hui des femmes, tous cycles confondus), cette donnée ne se répercute pas dans le milieu professionnel. Ainsi, alors qu’elles sont près de 80 % à intégrer le marché du travail en Israël, les femmes restent dramatiquement sous-représentées dans les échelons supérieurs tant dans la fonction publique qu’au sein de l’entreprise (voir encadré).
Une situation à l’effet boule de neige : parce qu’elles gagnent moins que leurs conjoints, elles abandonnent plus facilement leur carrière lorsque les contraintes de la vie familiale viennent compliquer l’équation. Une mise en retrait qui va d’absences professionnelles en cas de maladie de l’enfant, au passage à un emploi à mi-temps, jusqu’au refus de nouvelles responsabilités, par peur de ne pouvoir assumer la charge supplémentaire de travail. Tout cela, avec des répercussions évidentes sur les salaires et les perspectives de carrière.
A ceci viennent s’ajouter – selon de nombreuses études psychologiques citées par Sandberg dans son ouvrage – une tendance beaucoup plus prononcée au doute et à l’autocritique, qui empêche les femmes de se mettre en avant dans leur milieu professionnel, voire tout simplement de négocier une meilleure rémunération (l’écart salarial moyen en Israël est de 34 %). Facteur aggravant selon l’auteure : « le fossé de l’ambition » (ambition gap). Lorsqu’en dépit de leurs doutes plus prononcés, les femmes font malgré tout preuve d’ambition, cette détermination risque d’être mal perçue. Des études montrent ainsi que les hommes qui réussissent sont davantage appréciés que leurs homologues féminins. Comprenant cela, la gent féminine va chercher à dissimuler ou à minimiser ses atouts, et manquer ainsi l’occasion de se faire connaître auprès des cercles d’influence.
Les enfants, « un problème de femmes »
Cerise sur le gâteau, à l’ère de l’enfant-roi et alors que les tâches domestiques ne sont toujours pas équitablement réparties dans le couple, les femmes qui travaillent restent largement culpabilisées par une société qui applaudit tout investissement paternel auprès de sa progéniture, mais continue d’estimer indispensable qu’une mère se consacre à sa famille. Un problème encore accru dans l’Etat juif, souligne le Dr Aliza Lavi, où les valeurs familiales et traditionnelles sont de rigueur. La députée Yesh Atid, présidente de la commission parlementaire pour l’avancement des femmes et l’égalité des sexes, résume ainsi la situation : « On continue à considérer les enfants comme un problème de femmes, alors que c’est un sujet de société. L’idée n’est pas de faire une faveur aux femmes via la politique familiale, l’idée c’est que quand les femmes ne travaillent pas, c’est toute la société qui y perd en ressources et en capital humain ».
Un argument partagé par Sandberg. Selon elle, « les grands leaders d’aujourd’hui ne sont en concurrence qu’avec la moitié de la population : les hommes. Nos ressources humaines seront bien mieux exploitées lorsque 50 % des femmes dirigeront les entreprises et 50 % des hommes dirigeront les foyers ».
Et le gâchis est bien réel. Découragées par une société où l’élite militaire masculine constitue souvent les futurs réseaux professionnels, par des problèmes de garde (la scolarisation n’est subventionnée qu’à partir de 3 ans et les bambins ne sont pas gardés après 16 heures), de nombreuses Israéliennes « pourtant compétentes et qualifiées, baissent les bras et se retirent d’office, attendant que le marché de l’emploi change », déplore Lavi.
Une situation intolérable pour la parlementaire qui, avec déjà plus de 100 réunions de la commission depuis les dernières élections à son actif, et plusieurs amendements de lois adoptés, se bat avec une belle énergie. Elle se dit particulièrement fière d’avoir obtenu du ministre des Finances (Yaïr Lapid, son chef de parti) une obligation de transparence budgétaire quant à la répartition hommes-femmes des fonds publics. La mesure devrait être appliquée dès la prochaine loi budgétaire, en 2015, et permettre une meilleure sensibilisation au problème. Le prochain champ de bataille de la commission sera la création de nouvelles crèches. Pas moins de 700 structures d’accueil font actuellement défaut.
« Je n’ai pas renoncé »
Dans le secteur privé, des initiatives individuelles fleurissent. Dimanche 23 novembre, la Chambre de commerce et d’industrie Israël-France animait une soirée consacrée aux femmes dans le milieu des affaires. Trois jeunes entrepreneuses et trois dirigeantes plus expérimentées étaient venues présenter leurs parcours et les défis qu’elles ont eus à relever. La présidente de L’Oréal Israël, Nava Ravid, a ouvert la soirée, ne faisant pas mystère du « fardeau de culpabilité » dont elle s’est longtemps saisie tous les matins en tant que mère carriériste. « Il y a 40 ans, à la naissance de mon fils, embaucher une nounou à plein-temps, ça ne s’était jamais vu. C’était bon pour la famille royale d’Angleterre, pas pour la classe moyenne israélienne. Ma mère et ma belle-mère m’en ont fait baver. Mais je n’ai pas renoncé. »
Et de décrire avec simplicité sa nomination, il y a 12 ans, à la tête de la filiale israélienne et le choc de se découvrir la seule femme parmi les 80 présidents réunis en sommet par la maison mère. « C’est bien le seul endroit de ma vie où je n’ai pas eu besoin de faire la queue pour aller aux toilettes ! », plaisante-elle, avant d’offrir une série de conseils à un public avide et très féminin dans la salle. Se constituer activement des réseaux, afin de compenser « le club de golf ou la bande de copains réservistes chez les hommes », consacrer du temps et de l’énergie aux inévitables luttes de pouvoir dans l’entreprise, et surtout, communiquer autant que possible sur ses propres réalisations et succès.
Elisabeth Kogan, vice-présidente de la recherche et du développement chez Teva, ne se sent pas, elle, culpabilisée de faire carrière. « J’ai vu mes parents faire de même, mon père encourageait énormément ma mère. Ça aide ! » Elle reconnaît néanmoins quelques baptêmes du feu impressionnants, comme ce voyage au Japon auprès de la filiale de Teva et le fou rire d’un cadre senior, incapable de se maîtriser face à cette femme-patron auquel il est si peu habitué, ou ces réunions en Allemagne où elle se retrouve la seule femme, à la voix douce et à la stature fluette, face à une assemblée d’ingénieurs germaniques.
Telles d’autres intervenantes de la soirée, elle associe sa différence en tant que femme à sa particularité d’ola hadasha (nouvelle immigrante). Fraîchement débarquée de France, se souvient-elle, elle s’était retrouvée stupéfaite dans des réunions où tout le monde hurlait. « Je ne crierai pas », s’était-elle promis, « si quelqu’un veut m’entendre, il devra baisser le ton ». Une détermination tranquille qui lui fait tracer sa route et dépasser les obstacles un à un, jusque son poste de vice-présidente aujourd’hui. « En me voyant, les gens se sont dit parfois “elle est faible”. En tant que femme, je pense effectivement être plus à l’écoute et davantage dans le travail d’équipe, mais les objectifs sont atteints et je ne cède en rien sur la qualité du travail fourni. Et s’il faut être dure, je le suis. »
Comme Sandberg, la dirigeante observe néanmoins dans ses équipes la tendance féminine à trop douter de soi, là où, à résultats égaux, les hommes sont beaucoup plus sûrs d’eux-mêmes.
Le doute, c’est aussi le plus grand défi que cite Clara Hayat, jeune entrepreneuse montée de France il y a 10 ans. Cette jeune maman a lancé il y a peu sa propre entreprise, Babico, qui s’adresse justement au problème numéro un des mères israéliennes : la garde des enfants, souvent très onéreuse et plutôt réduite. Babico propose des solutions adaptées, en partenariat avec les entreprises, pour permettre aux salariées de faire garder bébés et jeunes enfants tout en restant dans la course. « Le congé maternité m’a permis de faire le point sur mes envies et m’a permis de me lancer dans l’entrepreneuriat. C’est un bon moment, alors que les priorités changent, pour le faire », explique la jeune femme.
Aux côtés de Noémie Alliel, qui elle a fondé une start-up de software, elle souligne également des avantages à être une femme dans le monde du business. « Quand je m’adresse aux ressources humaines par exemple, qui souvent sont dirigées par des femmes, on se comprend mieux ». Le rêve commun à toutes ces femmes ? « Qu’à l’avenir, il n’y ait plus besoin d’organiser des conférences sur le thème des femmes et des affaires ».
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