Arad n’a pas encore jeté l’éponge

Jadis modèle de vision urbaine, la ville la plus proche de Massada se débat pour surmonter la crise économique qui la frappe et s’adapter à la transition sociale

Vue de la ville d'Arad (photo credit: DR)
Vue de la ville d'Arad
(photo credit: DR)
« Nous voulions construire une cité dans le désert, une ville moderne qui transformerait toute la région », racontait dans ses mémoires Aryeh Eliav, l’homme qui, en 1961, avait pris l’initiative d’amener une poignée d’urbanistes sur les collines arides surplombant la mer Morte.
« Nous avons gravi les hauteurs d’Arad et quand nous avons atteint la ligne de partage des eaux, à 600 m d’altitude, nous avons imaginé là, des maisons, des tours, des rues, comme dans un mirage. Nous étions subjugués par le paysage, l’air chaud et sec et l’impression de nous trouver sur les lieux de la Genèse. »
Visuellement, cette impression-là subsiste.
La partie orientale d’Arad, ville élégante de 27 000 habitants qui a bel et bien surgi du désert à l’endroit même où ses fondateurs l’avaient rêvée, domine toujours un paysage lunaire, enchanteur, de collines aux tons bruns, jaunes et bronze qui descendent en cascade vers la surface azur de la Mer morte, avec pour toile de fond les hauteurs rosées des collines de Moab.
Economiquement toutefois, la Genèse a cédé la place à l’Exode.
Les unes après les autres, d’importantes entreprises ont en effet quitté la ville. La dernière en date, Magavot Arad (les Serviettes d’Arad) l’a fait à grand bruit, au milieu d’un mouvement de protestation qui ne s’est pas cantonné à la région : des manifestations ont également eu lieu à Jérusalem, devant les impavides bâtiments du gouvernement. A sa fermeture, fin octobre, cette chaîne de production laissait 200 habitants d’Arad sur le carreau : dans certains foyers, ce sont même deux salaires qui étaient perdus du jour au lendemain.
La fermeture de l’usine, avec les nombreuses manifestations et l’agitation médiatique qui l’a entourée, a braqué les projecteurs sur le combat acharné que l’on mène à Arad pour rendre à cette ville son statut initial de modèle en matière de défi géographique, de vision urbaine et de vitalité sociale.
Une oasis architecturale, sociale et économique
Fondée en 1962, Arad était dès le départ différente des autres villes de développement. Elle n’était pas de celles où le gouvernement venait déposer sans rien leur expliquer des immigrants fraîchement débarqués à Haïfa. Non, Arad a été construite par des idéalistes cultivés, nés en Israël pour la plupart et dont certains de sang bleu.
C’est le cas par exemple de Tama Eshkol, fille de Levi Eshkol. Quand Arad a été planifiée, ce dernier officiait au poste de ministre des Finances, et il était Premier ministre au moment de sa construction. Tama est arrivée à Arad avec son mari, jeune ingénieur civil du nom d’Avraham « Baïga » Shochat, qui deviendra à son tour ministre des Finances dans les gouvernements de Rabin, de Peres, puis de Barak. Avant d’accéder ainsi aux hautes sphères du pouvoir, Shochat a dirigé le tout jeune conseil régional d’Arad pendant près d’un quart de siècle, sans cesse élu et réélu à des majorités plus solides encore que le légendaire maire de Jérusalem Teddy Kollek.
Sous sa direction, Arad deviendra une oasis architecturale, sociale et économique nichée entre le Néguev et le désert de Judée. Les architectes et ingénieurs qui la planifient, puis la construisent, y résident tous, ou presque. Leur familiarité avec le désert et leur attachement personnel à la ville les incitent à bâtir de beaux immeubles autour d’un grand centre commercial, tout en préservant la prodigieuse vue sur le désert environnant au moyen de rues piétonnes ombragées, où les enfants peuvent jouer en toute sécurité.
Ce souci du détail conduit aussi les fondateurs d’Arad à établir les usines à l’écart des zones d’habitation, à ménager, pour la première fois en Israël, des patios au milieu des immeubles, et à introduire les premières maisons individuelles construites par des particuliers.
Un modèle qui ne fonctionne plus
S’ils sont en avance sur leur temps du point de vue environnemental, les fondateurs d’Arad vivent en revanche avec leur époque sur le plan économique et ils sont de purs produits de l’ère de la planification centrale et de l’industrie aidée par l’Etat. L’idée de fonder l’économie locale sur la technologie de base, l’hôtellerie et les produits minéraux de la mer Morte définit donc, aujourd’hui encore, l’ADN économique de la ville. Le problème, c’est que cela ne fonctionne plus désormais.
« La semaine dernière, 120 employés travaillaient encore ici », soupire Moshé Ben-Shabbat en désignant les machines à blanchir, à sécher et à assouplir les serviettes de l’usine Magavot Arad, où les entrecroisements de cordes blanches, orange, vertes et turquoise se détachent toujours sur le plafond, comme si les opérateurs qui y étendaient le linge étaient juste sortis manger leur sandwich.
« J’ai 52 ans et j’ai travaillé ici 29 ans », ajoute cet ex-responsable de la sécurité de l’usine, installé devant une forêt de boutons, de compteurs et de leviers. « Maintenant, j’ai l’intention de quitter cette ville, même si c’est là que mes enfants ont grandi. C’est triste. »
Si triste, en réalité, qu’il a décidé de refuser des postes que lui proposent SodaStream et Intel ailleurs dans le Néguev ; il veut désormais vivre au bord de la mer. « Il faut que je change de décor », explique-t-il. « Comme dit le proverbe en hébreu, changer de lieu, c’est faire revenir la chance. »
Faillites en série
Devant les bureaux de l’usine, Naomi Bitton, la responsable du personnel, contemple tristement les grilles fermées, visiblement épuisée. Elle vient de faire le tour de la ville pour remettre en personne les lettres de licenciement aux anciens employés.
Magavot Arad était la dernière d’une série d’entreprises de technologie de base qui ont fait faillite à Arad, à commencer par l’usine de tricot attirée là par les fondateurs de la ville ; viennent ensuite des usines de préfabriqué, de panneaux de bois, de bouchons de liège et autres…
La faillite de Magavot Arad est terrible pour deux raisons : d’abord parce qu’elle suit le départ de Flextronics, qui fabriquait des pièces détachées pour Motorola avant la réduction de ses activités à Arad, puis son déménagement à Ofakim. Ensuite, parce que le fabricant de serviettes éponge était là depuis 40 ans et qu’il a longtemps été une vraie réussite.
Filiale de l’américaine Standard Textile, de Cincinnati, compagnie privée au chiffre d’affaires de 620 millions de dollars en 2010, l’entreprise a une biographie qui reflète bien l’économie initiale de la région. Désireux de fournir des emplois à des milliers d’immigrants non qualifiés, le gouvernement de l’époque avait offert aux investisseurs, qui étaient souvent des Juifs de diaspora tout feu tout flamme, des réductions d’impôts pour ouvrir des usines où l’on travaillait à la chaîne loin des grandes villes.
En fin de compte, les marchés étrangers sont venus mettre leur grain de sel avec des produits compétitifs fabriqués par une main-d’œuvre bon marché. C’est ainsi que Polgat Textile, qui employait jadis 6 000 personnes pour un chiffre d’affaires de 270 millions de dollars, a dû fermer à Kiryat Gat il y a une dizaine d’années, tout comme Ata, le plus gros fabricant de vêtements d’Israël, il y a 30 ans.
Les 200 derniers salariés de Magavot Arad viennent d’être licenciés. Il y a dix ans, l’usine en employait 700, pour quelque 650 millions de dollars de ventes annuelles (en association avec une autre chaîne de production, plus petite, implantée dans le Nord). La plupart des produits étaient exportés vers les Etats-Unis, à l’intention de clients prestigieux comme les chaînes d’hôtels Hilton, Sheraton et Four Seasons, ainsi que pour 60 000 des 150 000 chambres d’hôtel de Las Vegas.
La crise de la quarantaine
Cette performance de la fabrique israélienne faisait la fierté de Gary Heiman, le propriétaire de Standard Textiles, un grand sioniste dont le grand-père allemand, Charles, avait créé la compagnie et dont le père, Paul, avait implanté l’usine en Israël grâce à un accord d’aide au capital négocié à l’époque par le président du conseil d’Arad, Shochat. Ce projet est resté une entreprise modèle jusqu’à la crise financière de 2008, qui a réduit la demande américaine et a peu à peu obligé Standard Textile à délocaliser en Chine et en Jordanie l’activité basée jusque-là en Israël.
Les Heiman restent vénérés à Arad. Pour les ouvriers et les conseillers municipaux, ce ne sont pas les investisseurs de Cincinnati qui sont à blâmer pour la chute de l’entreprise, mais bien le gouvernement de Jérusalem, qui, selon eux, aurait dû aider Magavot Arad à endurer sa crise de la quarantaine, comme il l’avait aidée à surmonter ses maladies infantiles et sa crise d’adolescence.
« Ce n’est pas le coût de la main-d’œuvre qui a rendu Magavot Arad déficitaire », affirme Tali Ploskov, maire de la ville. « Ce sont les frais de fonctionnement. » Aux Etats-Unis, explique-t-elle, les coûts de l’énergie et de l’immobilier sont plus faibles, tout comme les taxes. Aussi le gouvernement aurait-il dû, selon elle, réduire la facture d’eau et relier l’usine au gazoduc passant au Sud d’Arad, tout en réduisant les taxes sur les entreprises et les propriétés locales.
On ne peut pas reprocher à Plosnov de rester insensible à la crise : Michael, son mari, était chef d’équipe chez Magavot Arad et il est aujourd’hui sans emploi. Elle-même s’est jointe aux manifestants, non seulement en tant que maire, mais aussi comme épouse de licencié. Postée devant le bureau du Premier ministre à Jérusalem, elle brandissait une pancarte proclamant : « Ne laissez pas tomber Arad ! »
L’alimentaire pour remplacer le textile ?
Toutefois, le problème d’Arad ne se résume pas à une combinaison d’aides de l’Etat qu’il conviendrait d’améliorer.
Tout d’abord, il se révèle que Plosnov a été trop optimiste : sa demande étant soutenue par tous les grands groupes politiques de la coalition, elle pensait que le gouvernement accorderait de nouveaux avantages à sa ville. Toutefois, au lieu d’étendre les aides de l’Etat, le ministre des Finances a annoncé un accord avec le fabricant de produits alimentaires Osem. Ce dernier ouvrira à Arad une usine de crèmes glacées qui devrait absorber tous les employés licenciés par Magavot Arad.
Sans doute Ploskov avait-elle sous-estimé la crainte du gouvernement de voir l’aide aux entreprises en déclin contribuer à instaurer une culture d’assistés. Pourtant, même si ses espoirs s’étaient réalisés, le vrai problème d’Arad reste qu’il aurait fallu renoncer aux entreprises exigeantes en main-d’œuvre pour privilégier les sociétés de services. Cette transition économique semble avoir échappé à cette ville qui symbolisait autrefois le sens des affaires à l’israélienne.
Arad abrite déjà une usine alimentaire Unilever-Telma, qui produit des céréales pour le petit-déjeuner sur l’ancien site de l’usine de tricots des fondateurs de la ville. L’avenir nous dira si les entreprises alimentaires sont plus durables que les fabricants de textiles en Israël. Mais même dans ce cas, et même si l’hémorragie du marché du travail s’interrompt, la ville n’en continuera pas moins à pâtir d’une faiblesse de taille : son emplacement géographique.
Par un concours de circonstances que nul n’aurait pu prédire, la géographie d’Arad s’est transformée du jour au lendemain, à peine cinq ans après la création de la ville.
Concurrencée par la mer Morte
Au départ, Arad a été bâtie sur la route reliant la plaine côtière à la mer Morte. A cette époque où le désert de Judée et le Nord de la mer Morte appartenaient à la Jordanie, le plus court chemin pour rejoindre la mer Morte depuis Tel-Aviv, Jérusalem ou la Galilée consistait à rouler vers le Sud, contourner les collines de Hébron, puis passer par Arad. Or, depuis la guerre des Six Jours, les touristes arrivent à Massada et à la mer Morte via Jérusalem s’ils viennent de la côte, ou via la vallée du Jourdain s’ils arrivent du Nord.
Tout comme Venise après Christophe Colomb, Arad s’est trouvée tout à coup délaissée.
Pire encore, son activité touristique, organisée pour attirer les patients souffrant d’asthme (l’habitant le plus célèbre d’Arad, le romancier Amos Oz, s’est installé là avec sa famille en 1986 en raison de l’asthme de son fils Daniel), a soudain été éclipsée par la toute nouvelle Riviera construite sur les rives de la mer Morte, forte de 15 hôtels. A 25 minutes en voiture, les hôtels de la mer Morte, les ressources minérales et les industries pétrochimiques emploient désormais la majorité de la main-d’œuvre d’Arad. Ils marginalisent également les trois hôtels de la ville, qui totalisent à peine 500 lits, contre 4 000 au bord de la mer salée.
Les hôtels modestes d’Arad s’en sortent assez bien, mais ce qui était autrefois l’établissement le plus prestigieux de la ville, l’hôtel Massada, a pris pour sa part des allures sinistres. Avec ses volets fermés et ses murs en décomposition, il continue de se dresser face à un paysage désertique à couper le souffle qui faisait jadis son succès, et qui semble avoir désormais tourné le dos à Arad pour mener son entreprise de séduction auprès des touristes de la mer Morte.
Transition de classes
Et ce n’est pas tout : ces dernières années, les habitants de haut niveau socioculturel se sont mis à quitter Arad, laissant la ville à une population pauvre et sans éducation. Les Hassidim adeptes du Rabbi de Gour ont été les premiers à affluer, suivis des sans-papiers du Soudan qui se sont peu à peu installés dans les appartements qui faisaient la fierté des fondateurs d’Arad.
Désormais, pour le meilleur et pour le pire, ces deux populations font partie du paysage. Et si, ces dernières années, les Soudanais sont passés de quelques milliers à quelques centaines, l’afflux des ultraorthodoxes, lui, s’est poursuivi avec régularité, et il semble bien continuer.
« Ils constituent à présent 15 % de la population, et nous devons préserver ce ratio », indique Tali Ploskov, qui craint désormais pour le caractère laïc de la ville.
En même temps, les habitants de souche se montrent quelque peu fatalistes quant à la transition sociale d’Arad : « C’est un problème d’attitude », affirme Nili Sirkis, jeune femme d’une trentaine d’années. « Les gens d’un certain âge, ici, admirent ceux qui s’en vont refaire leur vie ailleurs. »
Sirkis s’occupe d’un immeuble financé par l’Etat qui abrite 112 beaux studios habités par de jeunes adultes. Au rez-de-chaussée, on trouve un lobby accueillant et un salon avec canapés et tables rondes, wifi et grand écran de télévision. « L’idée est d’aider ces jeunes à découvrir Arad », explique Sirkis.
Pendant des décennies, cet immeuble célèbre a fourmillé d’étudiants américains venus étudier l’hébreu à Arad sous les auspices de l’Union mondiale des étudiants juifs. En 2006, après 38 ans de présence dans la ville, l’association a cependant déménagé à Jérusalem, un départ qui reflète bien la marginalisation d’Arad et accentue encore son déclin.
Autrement dit, la ville, qui incarnait l’innocence et l’innovation, a aujourd’hui besoin d’être réinventée. Cela prendra sans doute des années, mais les choses sont déjà en bonne voie.
Exactement au centre
Mais le sauvetage d’Arad viendra précisément des trois points à l’origine de la crise qu’elle subit : sa situation géographique, son marché du travail et son esprit.
« Notre pays est minuscule : il a la taille d’une métropole turque. Pliez la carte d’Israël en deux et Arad se retrouvera exactement au centre », explique Sirkis. Elle ajoute que l’entreprise de son mari, né à Arad, propose des travaux de calfeutrage partout en Israël. « Quand le train reliera Tel-Aviv à Arad, tous nos problèmes seront résolus », affirme-t-elle. Ploskov partage son avis : « Arad ne doit pas être Tel-Aviv, mais elle doit être accessible en train depuis Tel-Aviv ».
Reste à savoir par où passera la voie ferrée…
Les planificateurs du pays préfèrent l’itinéraire sud, via Beersheva, censé revenir moins cher. Ploskov, pour sa part, privilégie l’idée d’un parcours septentrional qui passerait par la base militaire de Nevatim. Ainsi, dit-elle, on serait à Tel-Aviv en 80 minutes, au terme d’un trajet très agréable : le temps qu’il faut chaque jour à beaucoup d’Européens ou d’Américains pour se rendre à leur bureau. On pourra ainsi vivre à Arad et travailler à Tel-Aviv. Quant aux entreprises de high-tech qui se massent jusqu’à présent dans la plaine côtière, elles pourront s’établir à moindre coût dans un environnement plus paisible.
Les travaux pour la voie ferrée n’ont pas encore débuté. On n’a même pas encore fixé de planning prévisionnel pour sa construction. En revanche, le projet a déjà été approuvé : à la fin de la décennie, il est probable que l’on entendra siffler le train à 1 000 m au-dessus de la mer Morte et à 20 km à l’Ouest de Massada.
Chanter à Massada et dormir à Arad
Mais même dans ces conditions, tout comme elle ne doit pas espérer être nourrie au sein par le ministère du Trésor, l’économie d’Arad ne doit pas compter sur les geeks de l’Ouest pour s’épanouir. Non : sa salvation, disent les entrepreneurs de la nouvelle génération, viendra du désert.
« Le désert n’est pas une entreprise qu’il est possible délocaliser », explique Mati Rose, membre du conseil municipal qui dirige le département du tourisme d’Arad et gère un foyer d’accueil pour des enfants défavorisés venus de tout Israël.
Père de cinq enfants, Rose a quitté Beersheva avec sa femme il y a 14 ans pour s’installer à Arad. Cet homme a une obsession : l’amphithéâtre de Massada. A l’heure actuelle, celui-ci peut accueillir 800 spectateurs et chaque année, plusieurs concerts s’y tiennent. « Il faut l’étendre à 3 500 places et organiser des dizaines de concerts », soutient Rose. « Du rock, de la variété, du classique, de l’opéra, de tout… Et le public viendra dormir à Arad. »
Et ce n’est pas Ploskov qui le contredira. La maire a en effet décidé de tripler les revenus du tourisme et de faire de cette activité la première source de revenus de la ville. « Nous serons la capitale du tourisme du désert d’Israël », prédit-elle. « 50 % de la population travaillera dans le domaine du tourisme et nous ajouterons 1 000 lits à notre capacité d’accueil. »
Une telle vision n’aurait pas pu être envisagée lors la création de la ville, puisqu’à l’époque, le désert de Judée appartenait en majeure partie à la Jordanie. Qui aurait parié alors sur l’émergence d’une station balnéaire de renommée internationale sur les rives de la mer Morte ? Qui aurait imaginé cette concurrence faite à Arad dans le domaine du tourisme de la santé ?
Une ville touristique par nature
« Arad est une ville touristique par nature », affirme Gili Sofer, qui, il y a trois ans, a quitté Hod Hasharon, dans la banlieue de Tel-Aviv, pour venir ouvrir Yehelim, un hôtel-boutique de 15 chambres, avec sa femme et ses deux enfants. Assis dans le patio, sous les fenêtres de la suite royale à 1 800 shekels la nuit avec jacuzzi donnant sur le désert, Sofer désigne le paysage paisible et pur qui s’étend devant lui et répète son mantra : « Oui, Arad est une ville touristique par nature. C’est comme pour une voiture de sport : il faut juste faire le plein, gonfler les pneus, puis donner un coup d’accélérateur. »
Le projet de Tali Ploskov en matière de tourisme est simple et bon marché : sachant que, dans la catégorie des grands hôtels, Arad ne pourra jamais rivaliser avec les mastodontes de la mer Morte, elle propose d’offrir à des entrepreneurs des parcelles de terrain et des subventions pour construire des maisons particulières. En contrepartie, ceux-ci devront créer chez eux des entreprises de tourisme. Ainsi verrait-on émerger une série d’hôtels-boutiques et de chambres d’hôtes, avec une capacité d’accueil d’un millier de lits.
En se fondant sur ces 1 000 nouveaux lits et sur les 3 500 spectateurs de l’amphithéâtre dont il rêve, le conseiller municipal Rose se livre à un calcul simple : avec un taux d’occupation des chambres de 50 % et une dépense moyenne de 750 shekels par jour et par personne dans la ville, Arad empochera un total annuel de 136 millions de shekels, sans parler des centaines d’emplois créés dans les hôtels, les chambres d’hôtes et le parc des concerts, ainsi qu’avec les activités parallèles comme le trekking et les soins de santé. Actuellement le budget municipal s’élève à 140 millions de shekels, dont 36 % proviennent des taxes locales et le reste est versé par l’Etat.
Plus de la moitié de Russes
On le voit, les temps sont durs pour Arad, mais l’évolution qu’elle subit n’a pas éradiqué cet esprit d’entreprise sans lequel elle n’aurait jamais vu le jour.
Les problèmes que rencontre Arad ne sont pas propres à la ville. Le déclin du centre-ville d’origine, par exemple, n’est pas le reflet de la crise de l’emploi, mais la conséquence de l’apparition d’un nouveau centre commercial très élégant qui s’est ouvert ailleurs. Le même phénomène s’est produit dans des grandes villes comme Jérusalem et Tel-Aviv.
Même chose pour la composition de la population.
Arad n’a pas inventé le problème des ultraorthodoxes qui ne travaillent pas, une population qui la transforme comme elle a transformé d’autres villes. Ici, en revanche, ce processus est faussé par l’esprit d’entreprise et le pragmatisme du noyau dur des habitants.
« J’habite là depuis 32 ans », raconte Shouki Rusek, principal du lycée technologique Ort Zur, qui forme 70 élèves défavorisés au métier de techniciens en maintenance mécanique. « Récemment, un ultraorthodoxe est venu me demander si je pourrais former une poignée de membres de sa communauté. J’ai répondu : “bien sûr, du moment que quelqu’un paie…” » Et le fait est que quelqu’un va payer : une mystérieuse association qui milite pour cette cause. Du coup, 12 ultraorthodoxes d’Arad vont bientôt participer aux cours du soir où se pressent les élèves de Rusek pendant que nous parlons, vêtus de leur combinaison de travail et penchés sur des machines à découper informatisées qui produisent des axes pour fauteuils roulants automatisés.
Enfin, Arad a également subi la plus importante mutation sociale de ces dernières décennies : l’immigration russe.
Dans les agences immobilières, toutes les annonces sont rédigées à la fois en hébreu et en russe, afin de faciliter la vie aux russophones arrivés depuis 1990, qui constituent plus de la moitié de la population d’Arad. L’une de ces personnes est justement Tali Ploskov, aujourd’hui maire de la ville.
« Tout est possible »
A entendre son hébreu impeccable et son débit rapide, on a peine à croire que Ploskov ne parlait pas un mot de la langue sacrée avant l’âge de 25 ans. Elle a commencé à étudier dans sa ville natale, Belz, en Moldavie, sur des feuilles photocopiées qui passaient de main en main dans les contrées perdues de l’Union soviétique. Bien que psychologue clinicienne, elle a débuté en Israël comme femme de chambre dans les hôtels de la mer Morte. Trois jours après son embauche, elle était déjà promue responsable du ménage, pour être alors la seule employée de l’hôtel à parler à la fois le russe et l’hébreu.
Ploskov devient ensuite secrétaire dans une entreprise de déménagements. Envoyée à la banque pour y déposer des chèques, elle est impressionnée par l’atmosphère qui règne dans les locaux. L’envie lui prend aussitôt de travailler là, aussi entre-t-elle sans hésiter dans le bureau du directeur pour lui faire part de ce souhait.
Trois jours plus tard, elle passe un examen et débute peu après. Elle travaillera 16 ans à la banque Leumi d’Arad et parviendra au poste de directrice, responsable des crédits privés.
L’idée de la politique fait son chemin dans son esprit quand un candidat à la mairie vient solliciter son aide. Peu après, la voilà propulsée conseillère municipale. En 2010, soit 20 ans après son arrivée à Arad avec son mari Michael sans rien d’autre en poche qu’un billet de 10 dollars, elle deviendra maire de la ville.
« Tout est possible », telle pourrait être la devise d’Arad, et Tali Ploskov est bien la preuve que l’esprit des premiers pionniers d’Arad n’est pas mort. Il est simplement passé entre de nouvelles mains.
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