Le diamant, une petite pierre qui pèse lourd

A l’occasion de la Semaine internationale du diamant, organisée à Ramat Gan mi-février, plongée dans le microcosme d’une industrie florissante

La bourse du diamant à Ramat Gan (photo credit: DR)
La bourse du diamant à Ramat Gan
(photo credit: DR)
Du 8 au 12 février, la bourse du diamant israélienne accueillait pour la troisième fois la Semaine du diamant, un salon international qui réunit les trois principales bourses du secteur (New York, Anvers et Tel-Aviv). Pendant quatre jours, vendeurs, acheteurs et délégations officielles venus du monde entier se sont retrouvés au QG israélien du diamant à Ramat Gan. L’endroit est bien gardé : on n’y entre pas facilement (badge et identification biométrique obligatoires), mais une fois à l’intérieur, tous les étages sont accessibles. L’occasion de mettre un pied dans un monde presque parallèle au nôtre.
L’industrie du diamant, en croissance continue, est un secteur important pour l’économie israélienne, aussi bien en termes de chiffres que d’hommes (et le terme est bien choisi puisqu’en Israël, seulement quelque 8 % des 20 000 employés du secteur sont des femmes). Les diamants représentent 20 % de l’exportation industrielle totale d’Israël. La principale destination reste les Etats-Unis (37 %), suivie de près par Hong Kong (environ 29 %), porte d’entrée vers le marché asiatique qui ne cesse de gagner du poids et vers lequel les diamantaires israéliens se tournent de plus en plus. 1 400 entreprises, 3 500 accrédités, plus grande salle de marché du monde : les bureaux de la bourse du diamant de Ramat Gan impressionnent.
Marché « propre » et poignée de main
Un poids économique et un secteur sensible qui expliquent sans doute l’étroite collaboration entre le ministère de l’Economie et la bourse du diamant. Shmouel Mordechai occupe le poste de contrôleur du diamant au sein du ministère et siège à ce titre au sein du comité de direction de la bourse du diamant israélienne. Il doit s’assurer du respect du cadre légal très strict par les différents acteurs du secteur.
Mordechai joue ainsi un rôle important dans l’application du processus Kimberley. Créé en 2000 à l’initiative des pays producteurs d’Afrique australe et voté par l’ONU, ce dernier a pour but d’assainir le marché du diamant, qui avait la mauvaise réputation d’être entaché par la commercialisation de « diamants de guerre » (une dérive mise en lumière par le film Blood Diamond d’Edward Zwick, sorti en 2006). Ce système de certification, à travers ses 54 participants (dont Israël), couvre aujourd’hui 99,8 % de la production de diamants bruts. Mordechai insiste sur l’importance d’être irréprochables. Souhaitant que le marché israélien soit le plus « propre au monde », il a ainsi opposé son veto à l’accréditation du Zimbabwe. Ses bureaux conduisent des enquêtes sur le terrain pour s’assurer de la légalité de l’extraction des précieuses gemmes.
Dans la salle de marché, ce sont donc des pierres « propres » qui s’échangent. La scénographie est simple : l’immense open space est quadrillé de tables de tailles modestes, où sont installés les exposants. En face d’eux, des chaises, où s’assoient les intéressés. Et ils ne manquent pas : des milliers de vendeurs et d’acheteurs sont venus des quatre coins du monde à l’occasion de cette Semaine. Un moment de réseautage où l’on s’échange plus volontiers des cartes de visite que des carats. En effet, de l’aveu d’un acheteur new-yorkais les ventes ne sont pas l’objectif principal dans de genre d’événement où l’« on vient surtout pour nouer de nouvelles relations ».
Dans un secteur où les transactions sont basées sur la confiance (les contrats se scellent par une poignée de main) et où l’on peut dépenser des sommes astronomiques par téléphone, on comprendra qu’il est important de voir à qui l’on a affaire.
« En affaires, il n’y a pas de politique »
Du côté de l’offre, les diamantaires israéliens font face à la concurrence de leurs homologues belges et américains. Qu’ont-ils de plus à offrir ? Une expertise, selon l’un d’eux : « Nous ne sommes pas les moins chers, mais nous avons une longue tradition et l’amour du travail bien fait ». Et il n’a pas tort : créée en 1937, la bourse du diamant de Tel-Aviv est l’une des plus anciennes de la planète, et la technologie israélienne est, dans ce secteur comme dans d’autres, très prisée.
La Turquie ne s’y est pas trompée. Pour la première fois, une délégation de diamantaires est venue d’Ankara pour faire valoir ses atouts (expérience dans la fabrication de bijoux, proximité géographique et faible coût du travail) dans l’espoir de pénétrer le marché israélien. Les relations diplomatiques houleuses entre les deux pays ne sont apparemment pas un obstacle à l’établissement de liens économiques : « En affaires, il n’y a pas de politique. Nous laissons ça aux gouvernements », affirme Sarp Tarhanaci, vice-président de la Chambre de joaillerie d’Istanbul.
Shmuel Schnitzer, président de la bourse du diamant de Tel-Aviv, s’est dit « heureux » de la présence des émissaires turcs, affirmant que des relations commerciales entre les deux pays pourraient permettre aux diamants israéliens d’accéder au marché des pays arabes.
L’un des autres objectifs de la Semaine, pour les responsables de la bourse de Tel-Aviv, était d’assurer un fonctionnement pérenne au secteur. Dans cette optique un protocole d’entente a été signé avec le groupe minier russe Alrosa, qui fournit 30 % de la totalité des diamants bruts du secteur. L’obtention de financement supplémentaire de la part du secteur bancaire était également au programme des négociations, un point primordial pour permettre l’expansion de l’industrie israélienne, confie Moti Besser, directeur général de la bourse de Tel-Aviv.
On pourrait y passer sa vie…
A en croire le public de la salle de marché, la France, si elle brille par la renommée des nombreuses marques de haute joaillerie, a un rôle inexistant à ce niveau plus industriel. Après plusieurs heures à chercher des représentants francophones, on nous oriente vers les bureaux de Massika.
André Massika a travaillé toute sa vie place Vendôme et a décidé de faire son aliya il y a onze ans et d’emmener son entreprise dans ses valises. Si cette dernière est plus connue pour sa ligne de haute joaillerie, basée à Paris et portée notamment par Beyoncé aux derniers Grammy Awards, la branche qui nous intéresse se concentre sur la taille des pierres.
Son siège se trouve dans les étages de la Tour du diamant, à Tel-Aviv, et son usine de manufacture est également installée en Israël. Bien que la société soit très tournée vers l’international et participe à des expositions à Las Vegas ou Shanghai, la plupart des clients sont israéliens, et ses responsables se disent très heureux de son déménagement. Des joailliers que l’entreprise fournit, on ne saura rien, même si les catalogues Chopard présents dans les bureaux peuvent mettre la puce à l’oreille.
La bourse du diamant, difficile d’y entrer, mais encore plus d’en sortir. On se perd facilement dans les étages et les couloirs de cet immense complexe, et à voir les cafés, restaurants et banques installés là, on se demande si cela est nécessaire. « Si vous avez un canapé dans votre bureau, vous pouvez passer votre vie ici ! », plaisantait Moti Besser. On veut bien le croire. Et ce gigantisme, plus encore peut-être que l’affluence d’étrangers pour l’événement, témoigne de la bonne santé et du succès du diamant israélien.
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