Sables mouvants

Difficile de dire qui est le véritable vainqueur de l’opération Pilier de défense...

Hillary (photo credit: Reuters)
Hillary
(photo credit: Reuters)
Les Etats-Unis ont tiré la sonnette d’alarme et l’Egypte a séparé les boxeurs du ring, en ce mercredi 21 novembre qui a signé le dernier round du combat. Chacun clame avoir remporté la manche. Le Hamas peut bien crier victoire, puisqu’il est toujours debout, et parce que l’arbitre et le siffleur le prennent au sérieux.
Israël peut aussi prétendre à la gloire pour avoir bien malmené son adversaire, calmant, du moins temporairement, ses ardeurs de velléités.
Pour autant, il n’y a pas eu de coup de grâce, chose qui ne manque pas de frustrer ceux qui pensaient que le Hamas pouvait être mis à terre, en une seule droite. Mais le Premier ministre Binyamin a préféré quitter le ring, convaincu qu’il n’est pas sain et sauf de s’exposer à un long combat. Un coup imprévu, lancé maintenant, pourrait avoir des effets cumulatifs plus tard, lorsque d’autres conflits, contre l’Iran par exemple, seront à affronter.
Netanyahou n’est pas Ehoud Olmert, décrit, en raison de son tempérament, comme la quintessence du Premier ministre israélien. En 2006, suite à l’enlèvement de Guilad Schalit près de la frontière de Gaza, puis ceux d’Eldad Réguev et d’Ehoud Goldwasser au Nord, Olmert était rentré en guerre avec le Liban.
Netanyahou, malgré son image de faucon, est beaucoup plus prudent dans l’usage de la force.
Quand il s’adresse à la Knesset, en octobre dernier, pour annoncer les élections, il rappelle au pays qu’au cours des 7 ans et demi de son mandat, il n’a pas initié de guerre. En revanche, le pays a traversé deux campagnes militaires pendant les trois ans d’Olmert. Toutefois, ni la seconde guerre du Liban, ni l’opération Plomb durci n’ont résolu le problème. Le Hezbollah est resté debout, au Nord, même s’il a été amputé, et le Hamas au Sud.
Par contre, l’image d’Israël, du point de vue international, en a pris un coup. Netanyahou semble déterminé, cette fois, à ne pas revenir au point mort.
Le militaire pour soutenir la diplomatie 
S’adressant mercredi soir au pays, soulagé de retourner à sa routine après une semaine de tensions, mais frustré par un ennemi toujours au garde-à-vous, Bibi a ainsi déclaré : «Depuis son indépendance, l’Etat d’Israël a fait face à des défis de taille. Et ces dernières années, nous avons vu ces défis devenir des problèmes majeurs. Dans ces conditions, nous devons mener notre navire avec responsabilité et sagesse, et prendre en compte les nombreuses considérations, militaires et diplomatiques à la fois. C’est ainsi qu’un gouvernement responsable agit en ces temps fragiles. Nous employons le militaire pour soutenir la diplomatie» Des considérations qui prouvent que le Premier ministre a à coeur de ne pas se mettre à dos les Etats-Unis ou l’Europe, en lançant une grande opération militaire, quand ces derniers doivent faire déroger l’Iran de son ambition nucléaire. Histoire aussi de ne pas détériorer le soutien américain et européen en pleine demande palestinienne pour devenir un Etat observateur à l’ONU.
Comme tous les grands changements, les choses prennent toujours une autre tournure le lendemain matin. Naturellement, le sol semble plus retourné aujourd’hui qu’à la veille de l’opération Pilier de défense à Gaza et de la mort d’Ahmed Jaabari. Mais notons qu’en dépit du tumulte qui a bouleversé la région, suite aux révolutions arabes, quand Israël et les Palestiniens en viennent aux mains, tout le reste est oublié.
Plus de 800 arabes du Moyen-Orient ont trouvé la mort pendant les 8 jours de combats, du 14 au 21 novembre, mais le monde n’y a guère prêté attention. La raison est simple : les massacres ont eu lieu en Syrie, et non à Gaza. Nous avons tort de penser que le conflit israélo-palestinien obsèdera moins le monde, au vu de tout ce qui se passe autour de nous. C’est le contraire. Ce conflit, malgré l’implosion de la Syrie et la question laissée en suspens du futur de beaucoup de pays arabes, est considéré comme le pivot de la stabilité au Proche-Orient.
Morsi, le grand vainqueur
En somme, affirmer que le président américain Barack Obama sera trop occupé par le dossier syrien et les Frères musulmans en Egypte pour mettre son nez dans le processus de paix israélo-palestinien est une erreur. Il est d’ores et déjà sollicité pour surfer sur la vague de succès de sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton, lors de sa négociation du cessez-le feu, et ainsi s’attaquer au processus de paix pour obtenir un «accord de paix intégrale».
Le soutien inébranlable, selon les mots de Netanyahou, qu’a apporté Obama à Israël en pleine crise, est pour certains d’autant plus louable que les élections américaines sont derrière nous et que le locataire de la maison Blanche n’a plus à se soucier du vote des Juifs américains et des donateurs. C’est sans prendre de gants qu’il aurait pu mener sa barque et gérer le conflit.
Non, Obama n’a rien fait de la sorte. Au contraire, il s’est positionné unilatéralement du côté d’Israël et de son droit à se défendre.
Cela pourrait être l’occasion de remettre les pendules à zéro dans les relations orageuses entre le président et le Premier ministre.
Netanyahou a demandé, et reçu, de solides soutiens des Etats-Unis. Le président a exigé, et reçu l’accord du Premier ministre pour un cessez-le-feu. Un bon point de départ pour reconstruire une confiance mutuelle.
Les Etats-Unis trouvaient aussi leur intérêt, selon des sources diplomatiques, à une intervention turque dans la résolution du conflit, ce qui n’a pas plu au président égyptien Mohamed Morsi, qui a obtenu une mise à l’écart des Turcs.
Morsi a émergé, lui, comme la figure victorieuse de la crise. Peu de temps avant un voyage programmé aux Etats-Unis en décembre, au cours duquel il compte solliciter des milliards de dollars à Washington et au Fonds monétaire international, il a prouvé qu’il valait le coup en matière de médiateur.
En régnant sur le Hamas, il a fait valoir à ses créanciers qu’il pouvait être un dirigeant pragmatique et modéré. Et ce, aux dépens, dans une certaine mesure, de la Turquie, qui pensait devenir un axe central dans la résolution du conflit.
Il faut être deux pour danser le tango. La Turquie réalise probablement que pour être un médiateur au Moyen-Orient, avec tout ce que cela implique, on ne peut pas être un ennemi d’Israël. Ce qu’a compris l’Egypte.
Abbas, le principal perdant
L’autre grand perdant est Abbas, dont l’incapacité à agir sur Gaza a été maintes fois prouvée. Alors qu’il perd toute contenance, un des succès du Hamas dans le conflit a été de devenir un acteur légitime aux yeux du monde arabe, avec qui négocier.
Relevons qu’Abbas n’a pas même tenté de se rendre à Gaza pendant la crise, puisqu’il n’a aucune influence sur place, ni au Caire, où le cessez-le-feu a été négocié. Une incapacité qui devrait encore attiser ses envies de reconnaissance onusienne, le 29 novembre, histoire de récupérer de son éclat perdu, via cette démarche.
Cependant, les Etats-Unis, et de plus en plus publiquement l’Europe aussi, l’incitent à reculer, arguant que sa démarche n’aura pas de véritable impact, hormis le fait de rendre Israël furieux et les négociations improbables, en déstabilisant une zone déjà très fragile.
Qui d’autre que le secrétaire des Affaires étrangères anglais William Hague pour ajouter : «Tandis qu’il n’y a aucune chance de reprendre les négociations dans les mois à venir, nous conseillons à Mahmoud Abbas de patienter encore avant sa demande de reconnaissance de l’Autorité palestinienne à l’Assemblée générale des Nations unies, en tant qu’Etat observateur. Nous jugeons que cela rendra le retour aux négociations d’autant plus ardu et aurait de lourdes conséquences sur l’Autorité palestinienne.» La Haye explique que si la Grande-Bretagne soutient les aspirations palestiniennes et comprend la «pression», elle préfère empêcher un gel total des pourparlers et une paralysie du processus de paix. Même si l’Union européenne n’a pas encore officiellement annoncé son vote quant au statut de la Palestine, une abstention européenne massive à l’ONU constituerait un coup de plus porté au prestige de l’Autorité palestinienne. Ce qu’Abbas se garderait bien de provoquer.