Une tradition qui coule de source

Depuis une dizaine d’années, les sources d’eau sont redevenues une attraction incontournable

sources (photo credit: seth j. Frantzman)
sources
(photo credit: seth j. Frantzman)
A quelques kilomètres de Ness Harim, en pleine Judée, la petite Shoval parcourt d’un pas décidé le sentier qui la mène au sommet de la colline.
Le père, plus lent, apprécie l’enthousiasme de sa fille. Tous les samedis, ce conducteur de taxi emmène sa famille en balade.
Cette fois, après être passés à côté des ruines de Beit Itab, les randonneurs font une pause à la source d’Ein Horod.
Selon la Direction de la Nature et des Parcs d’Israël, cette source a un tunnel long de 40 mètres qui achemine l’eau vers un réservoir souterrain puis vers une grande auge ou s’abreuvaient autrefois des animaux. L’ensemble de l’installation a été restauré par le gouvernement en 2006.
Le site est très apprécié par les visiteurs, tels ces cinquante adolescents de Gadna - un programme militaire israélien qui prépare les jeunes au service militaire - qui se reposent et s’amusent à l’ombre des arbres.
Pour préserver l’écosystème, il est strictement interdit d’y nager ou de boire l’eau de la source.
Pour Shoval et son père, Ein Horod n’est qu’une première étape, et la balade continue pour atteindre la source d’Ein Soufla. Sur le site de Amudanan.co.il , qui propose cartes et points d’intérêt aux marcheurs, on apprend qu’il s’agit là d’une source saisonnière, c’est-à-dire que l’eau n’y coule pas toute l’année. C’est d’ailleurs le cas ce jour-ci : à part un vieil arbre et quelques tortues sauvages, aucune trace d’eau.
Partir à la recherche des sources cachées est ainsi devenu une activité très populaire parmi les Israéliens.
Sources de détente, de revenus...
De nos jours, nombreux sont ceux à vouloir se mettre au vert le jour de l’Indépendance, ou pendant les vacances d’été. Si bien que les sites naturels aquatiques sont devenus incontournables. Une coutume qui unit l’ensemble des Israéliens, tous courants religieux et toutes catégories sociales confondues.
Bon nombre de jeunes ultra-orthodoxes, par exemple, ont l’habitude de se rendre à la pittoresque source de Lifta, dans les ruines en contrebas de Jérusalem, qu’ils utilisent comme mikvé (bain rituel) ou pour se détendre après une harassante journée de yeshiva. Les kibboutznikim et les laïques sont eux friands de longues randonnées, à la recherche de points d’eau. Quant aux sionistes-religieux, en particulier ceux de la Judée-Samarie, les sources font partie intégrante de cette Terre d’Israël qu’ils aiment tant et qu’ils aspirent à repeupler.
Enfin, pour le secteur arabe du pays, les sources situées à proximité de leurs lieux de vie ont de tout temps fait office de lieux de socialisation et de détente, permettant d’échapper un moment à la pression sociale et aux contraintes familiales.
Pour David Gal-Or et son fils Liran, les sources d’eau d’Israël sont aussi devenues des sources de revenus, grâce à la publication de la série de guides 365 Sources. Le livre en hébreu (190 shekels) est devenu un objet indispensable pour les promeneurs.
Selon Gal-Or, Israël a toujours eu des sources et de beaux sites naturels, mais ce n’est que depuis une dizaine d’années que leur popularité est montée en flèche.
“Depuis environ cinq ans, on assiste a un boom en ce qui concerne les guides touristiques, comme le fameux Sources sur la colline, consacré aux sources autour de Jérusalem”, explique l’auteur. Selon Gal-Or, ce phénomène de mode est tout à fait compréhensible, puisque l’eau a toujours constitué un enjeu important en Israël. “Lorsque les Israéliens quittent la ville, ils veulent être près de l’eau, c’est normal”.
... de socialisation ou de conflits Les sources font partie intégrante de l’histoire d’Israël.
C’est en effet autour des points d’eau que se sont développées les premières villes et l’agriculture.
“Par exemple à Sataf [source près d’Ein Kerem], on peut voir un grand réservoir, aménagé pour garder l’eau qui a ensuite servi à irriguer les terrains environnants.”
D’habitude, les sources sont situées sur les collines, et sont particulièrement nombreuses dans certaines régions, notamment autour de Jérusalem. Mais on en trouve aussi dans les vallées, par exemple à Beit Sean ou dans le Néguev. Ein Yorkam est ainsi devenu une attraction touristique majeure du Néguev, et les foules se pressent sur le site en période de fête.
Claude Condor, un aventurier et chroniquer britannique du XIXe siècle avait écrit sur le rôle historique des sources. Ainsi, à Latroun, l’eau était censée avoir des propriétés médicinales. L’auteur a aussi décrit sa visite à Naplouse, où les locaux lui avaient expliqué que les rivières étaient alimentées par pas moins de 80 sources.
Il s’est alors plu à imaginer comment, depuis 4 000 ans, des femmes venaient à la source pour puiser de l’eau, bavarder au calme et s’échanger les derniers potins.
Certes, la vie a bien changé depuis. Pourtant, près de l’implantation juive de Halamish, en Judée-Samarie, les habitants profitent de la source en compagnie de leurs voisins palestiniens de Nabi Salih.
Mais l’eau peut aussi être source de division. Par exemple, Scott Campbell avait posté une vidéo le 25 mars dernier, sur son blog angrywhitekid.blogs.com. On y voyait un soldat de l’armée israélienne empêchant des Palestiniens d’accéder à la source près du village. “Tandis que les Israéliens pouvaient visiter la source à loisir, l’armée et la police des frontières en a chroniquement bloqué l’accès pour les habitants de Nabi Saleh, en usant de la force et de menaces”, écrivait-il.
J’ai donc voulu contempler par moi-même l’étendue du conflit, et me suis rendu sur place. Une fois arrivé sur le site avec mon guide Avi Margolin, je n’y ai vu aucune trace de conflit. Le site de la source avait été aménagé avec des tables de pique-nique et des palmiers, afin d’offrir un peu d’ombre aux visiteurs. Des installations réalisées par des Juifs.
Eitan Levy, un grand gaillard barbu coiffé d’une large kippa, qui a fait son aliya puis le Colorado en 2006, se souvient avoir passé des journées entières près de la source de Bat Ayin en Judée-Samarie. En y repensant, il ne se rappelle pas d’une quelconque hostilité.
“Nous n’avons jamais eu de problèmes avec les Palestiniens. Bien sûr, il n’est pas recommandable de s’y rendre tout seul la nuit, mais il s’agit-là de consignes de sécurité applicables partout lorsqu’on se promène dans la région.”
Dolce vita à l’israélienne
Pour Eitan Levy, ces points d’eau sont de vraies sources de jouvence : “Lorsque je vivais ici, je venais régulièrement à la source ; je l’utilisais comme mikvé. Je me souviens d’une fois, lorsque nous sommes revenus d’une promenade nocturne dans le désert, nous avons sauté dans l’eau, au lever du soleil”, ajoute-t-il en utilisant le terme hébreu, maayan. “Cela nous a rafraîchis et purifiés.
Une véritable expérience spirituelle que de se baigner dans de l’eau sortie tout droit de la montagne”. Pour lui, de tels bains ont encore plus de sens avant le Shabbat, avant les fêtes ou pour toute autre occasion spéciale.
“C’est un sujet récurrent dans le judaïsme : l’eau est omniprésente dans la Torah, l’eau c’est la vie. L’eau sortant du creux de la terre est chargée d’une symbolique particulière, c’est une forme supérieure de mikvé”. Levy se souvient des travaux de restauration entrepris régulièrement par les locaux, qui ont pourtant tenu à respecter la forme rustique de l’installation et ont respecté l’apparence traditionnelle du site.
Pour des explorateurs aussi intrépides que Margolin, qui toutes les semaines s’embarque dans sa Jeep pour faire un tour à la campagne, les sources sont des relais incontournables dans le paysage israélien. Où qu’il aille, Margolin s’équipe d’un chauffe-eau à gaz et puise dans la source pour préparer un délicieux café turc.
“A une certaine époque, chacune de mes excursions avait pour destination finale une source, c’était une constante indispensable !”, déclare Margolin.
En visitant récemment Ein Haniya avec Margolin, près de Jérusalem, j’ai aperçu un groupe de bergers palestiniens de Walaja, un village en Judée-Samarie. Avec leur mulet et quelques moutons, ils se reposaient sur l’herbe, bien verte après les pluies de cette année.
Sirotant son café, préparé dans une boîte de conserve reconvertie en finjan, l’un d’eux me lance : “Ça, c’est la belle vie !”