De retour au pays

Rencontre avec ces Israéliens partis tenter leur chance à l’étranger et qui sont finalement revenus

Ehoud Ettoun, revenu monter une école de musique dans le Néguev (photo credit: DR)
Ehoud Ettoun, revenu monter une école de musique dans le Néguev
(photo credit: DR)
En 2013, un rapport du Taub Center établissait que la fuite des cerveaux israéliens vers les Etats-Unis était un phénomène dont l’ampleur ne rencontrait aucun équivalent dans le monde occidental. Fort est de constater que les Israéliens qui émigrent vers l’Amérique ou ailleurs – désignés péjorativement comme des « yordim » (ceux qui descendent, par opposition aux olim) – sont nombreux. Plus de 250 000 d’entre eux vivent ainsi entre New York, Londres, Los Angeles ou encore Berlin. Pareils aux Hébreux qui, aussitôt après leur sortie d’Egypte, ont exprimé leurs regrets d’une certaine prospérité qu’ils avaient là-bas, les Israéliens d’aujourd’hui voient en houl – abréviation de houts laaarets (hors d’Israël) – une sorte d’eldorado, où tout est plus beau et plus facile. Un phénomène d’ailleurs amplement relayé par les médias, qui s’en saisissent pour dénoncer la cherté de la vie à Tel-Aviv, et accuser le gouvernement d’investir de moins en moins dans ses citoyens. Sur Internet, les sites des grands quotidiens, tels Haaretz, Ynet et Israel Hayom, sont le lieu de débats en direct pour tenter de savoir où il fait mieux vivre, discussions qui tournent une fois encore essentiellement autour de la question du coût de la vie.
Cependant, et quoi qu’en disent les médias, il s’avère que chaque année, les Israéliens qui quittent le pays et ceux qui y retournent sont en nombre équivalent : même s’ils sont nombreux à partir, ils reviennent aussi en masse. Les raisons du retour sont multiples : certains, qui rêvaient de gagner beaucoup d’argent, de devenir célèbres, ou simplement de vivre plus confortablement, reviennent après avoir rencontré l’échec. D’autres, au contraire, décident de rentrer à la maison après avoir accompli leur rêve.
Aide au retour
Ella Saban travaille au ministère de l’Immigration et de l’Intégration depuis 1999. Depuis 2004, elle est à la tête du bureau responsable des relations avec les Israéliens de l’étranger, qui s’occupe en particulier de les encourager à revenir au pays. Pour ce faire, Ella Saban supervise des équipes basées aux Etats-Unis, à Londres, Moscou et Paris. Elle dirige aussi Israeli Homes, une plateforme virtuelle à disposition des expatriés, qui propose de l’aide aux personnes désireuses de retourner au pays sur le plan administratif. La principale mission confiée à l’équipe est de maintenir le contact avec la communauté israélienne à travers plusieurs programmes. « Nous essayons d’organiser des événements adaptés à chaque population. A New York, par exemple, où il y a beaucoup d’universitaires, nous proposons un projet intitulé Les scientifiques à la barre, qui consiste en un certain nombre de conférences données par des scientifiques, et auxquelles nous convions les Israéliens de la région. A Miami, en revanche, j’organise plutôt des conférences pour apprendre à monter sa propre affaire en Israël, et sur la façon dont fonctionne l’administration fiscale. »
Nombre de leurs interlocuteurs font partie de la deuxième génération, explique Ella Saban, ce sont des fils et filles d’Israéliens qui en leur temps se sont installés à l’étranger. « Nous sommes arrivés à la conclusion que cette génération représente un pont. Chaque année, nous amenons 400 d’entre eux – Américains pour la plupart – à intégrer l’armée, suite à quoi la majorité d’entre eux décide de rester dans le pays. Dans certains cas, les parents les rejoignent. » Ella souligne qu’il existe une réelle différence entre les expatriés israéliens et jes juifs de Diaspora. « Les Israéliens s’assimilent davantage, tandis que les juifs américains ont une vraie vie communautaire qui leur permet de préserver un tant soit peu leur identité. Lorsque leurs enfants sont encore petits, cela importe peu, mais lorsqu’ils commencent à sortir et à fréquenter d’autres jeunes, alors les parents paniquent. C’est là que notre bureau peut jouer un rôle ».
Lorsqu’on lui demande combien d’Israéliens quittent le pays chaque année, elle répond qu’elle ne connaît pas le chiffre exact. « Personne ne passe un coup de fil avant son départ pour dire au revoir », explique-t-elle.  « Certains effectuent un voyage après l’armée et décident finalement de rester à l’étranger. D’autres qui n’avaient pas prémédité leur départ, ont soudain vu une opportunité se présenter. D’autres encore sont mutés par leur travail, ou partent pour suivre des études post-doctorat. Enfin, il y a ceux qui cherchent à se rapprocher de leur famille, de celle de leur conjoint, ou de leurs enfants partis avant eux… »
Quid des retours ? Entre 6 000 et 7 000 par an font marche arrière, dit-elle, et jusqu’à 12 000 lorsque le ministère met en place des campagnes spécifiques. « Nous avons effectué une enquête en 2010, et ce que nous avons découvert nous a beaucoup surpris : il est apparu que la raison principale ayant motivé leur retour était l’isolement. Les Israéliens aiment être entourés de leurs proches, tandis qu’à l’étranger, le sentiment de solitude les tue. » « Ils disent des choses telles que “Je suis au sommet de ma carrière, je gagne de l’argent, mais je suis très seul… Quand je vois des photos de réunions familiales sur Facebook, c’est très douloureux.” »
« Certains d’entre eux vivent comme dans un film et jouent une sorte de rôle. C’est au départ très tentant pour les jeunes toujours en quête de nouveauté et de sensations, mais à la fin, leur maison leur manque », dit-elle. « Il est difficile pour les Israéliens de s’adapter aux cultures américaine et européenne, avec les habitudes et la courtoisie qu’elles impliquent. Il y a des choses qui leur semblent ridicules, comme lorsqu’il faut convenir d’une date des semaines à l’avance avec les parents d’un camarade de son enfant, afin qu’ils se retrouvent pour jouer ensemble l’après-midi. D’autres avaient l’espoir de gagner beaucoup d’argent, et lorsque cela n’arrive pas, ils reviennent. Une autre raison les pousse à rentrer : ils veulent voir grandir leurs enfants dans un environnement familier. » Ella ajoute que ce sont en majorité les femmes au sein d’un couple qui prennent la décision de revenir. Quant à l’âge de ces citoyens de retour, la plupart sont des actifs et ont entre 25 et 55 ans, la majorité ayant entre 35 et 40 ans.
Le mal du pays
Hadas Gamzo-Kellner, 31 ans, est née à Ramat Gan et a grandi à Yehoud, où elle habite de nouveau aujourd’hui. Elle est mariée à Ziv, et tous deux ont un enfant de 17 mois. Il y a encore deux ans, elle donnait des spectacles de danse orientale sur les scènes les plus prestigieuses de la capitale britannique. « En grandissant, j’ai su que je voulais vivre à l’étranger. J’adorais l’Europe, et Londres en particulier, sans doute à cause de la fascination qu’exerçaient sur moi ses scènes de music-hall. » Hadas a commencé à apprendre la danse orientale à l’âge de 17 ans et l’a pratiquée pendant plusieurs années, tout en étudiant l’éducation par les arts, une méthode d’enseignement basée sur la créativité. C’est à cette période qu’elle fait la connaissance de son futur mari via Facebook, immédiatement conquise par son charme et son humour.
En 2012, le couple effectue un voyage en Europe, qui va se révéler déterminant : c’est lors d’un festival de musique à Paris que les deux prennent la décision de se marier ; une fois à Londres, ils décident de s’y installer. « Ce n’est pas que nous ne voulions pas vivre en Israël », explique Hadas, « mais nous ressentions un désir très fort de nous poser là-bas. De retour de voyage, dans le taxi qui nous conduisait de l’aéroport à Ramat Gan, tout nous paraissait gris et nous étions déprimés. Nous n’avions pas envie d’être là. La famille de mon mari a des origines européennes, et les passeports qui vont avec. Son frère aîné habitait déjà à Hong Kong avec sa femme, rencontrée lorsqu’elle était ambassadrice d’Australie en Israël. Notre volonté d’aller nous installer ailleurs ne nous semblait donc pas si étrange. » C’est ainsi qu’un an après leur première visite, le couple débarque à Londres, sans plan de vie préétabli.
« J’avais 27 ans à l’époque, et j’appréhendais cette expérience comme une aventure. Seulement j’ai rapidement découvert qu’il était très difficile de joindre les deux bouts à Londres. D’un côté, la ville était pleine de magie et de glamour, mais de l’autre, tout était difficile, comme ouvrir un compte bancaire, trouver du travail ou un appartement. » Au cours de cette première année, le couple vit en colocation avec trois autres personnes et a beaucoup de mal à boucler ses fins de mois. « L’un des moyens de s’en sortir là-bas », raconte la jeune femme, « est de travailler pour des familles juives ». Elle a donc trouvé un emploi de baby-sitter, et son mari un travail dans un cabinet de relations publiques. Ziv gravit peu à peu les échelons et occupe des postes à hautes responsabilités. « Cette agence s’occupait de représenter les plus grandes stars de la musique – de Kylie Minogue à Arctic Monkeys, en passant par Eric Clapton et Paul McCartney. Mon mari était un plaisantin. Les Britanniques, toujours un peu coincés, ont trouvé son humour rafraîchissant. Le propriétaire de l’agence l’aimait beaucoup, et ils ont fini par devenir très proches. Malheureusement, cette personne est décédée subitement d’une insuffisance cardiaque. »
De son côté, Hadas traversait elle aussi une période difficile. Elle commençait à s’ennuyer dans son travail et n’entrevoyait pas de perspectives d’avenir dans la capitale britannique. Un jour, elle prend la décision de s’inscrire dans une école de spectacle burlesque, et la roue commence à tourner. « Il faut comprendre que le burlesque est très important à Londres », explique-t-elle. Elle apprécie beaucoup les cours, mais n’a en revanche aucune affinité avec ses camarades. « Lors du spectacle de fin d’année », raconte la jeune femme, « les autres danseuses ont eu un comportement d’une arrogance insupportable. J’ai pris mes distances avec elles, consciente que je n’étais pas une diva et encore moins une professionnelle. Mais le directeur de l’école m’a remarquée, et m’a proposé d’enseigner à la fois la danse burlesque et la danse orientale. » Au fil du temps, elle a continué à progresser et a commencé à être invitée par des agents artistiques à se produire sur différentes scènes. « J’ai vécu le rêve de pouvoir travailler dans mon domaine. J’ai donné des cours dans des endroits incroyables, et me suis produite sur des scènes réputées. Il y avait des femmes qui commençaient même à me reconnaître dans la rue ».
Mais soudainement, Hadas connaît une sorte de bouleversement intérieur. « Je suis très proche de ma famille, notamment de mes jeunes frères qui sont jumeaux, et tous essayaient de me convaincre de rentrer. », se souvient-elle. La jeune femme a alors senti qu’elle se trouvait à un carrefour : ou elle faisait de Londres son foyer définitif, ou elle rentrait au pays. Alors que Ziv était plutôt neutre, ce sont sa grossesse, son désir de voir grandir son enfant auprès de sa famille, et son peu de goût pour la mentalité anglaise qui l’ont influencée. Aujourd’hui, Hadas et Ziv habitent Yehoud, non loin de sa famille. Elle dirige Oh La La !,une société spécialisée dans l’organisation d’enterrements de vie de jeune fille, et son mari travaille dans la société de cybersécurité Check-point. « La vie est difficile en Israël, et il y a des choses que je préférais à Londres, mais malgré tout, rien ne peut remplacer les amis que vous avez depuis l’âge de treize ans. Cela coule dans vos veines, la famille est plus importante que tout. »
Israélien avant tout
Ashraf Hussein, 26 ans, loue un appartement à Haïfa, à une demi-heure en voiture de Shaab, le village où il a grandi et où ses parents vivent toujours. Mais c’est à quelques milliers de kilomètres de là qu’il a vécu pendant près d’une décennie. Ashraf a commencé ses études à l’université de Brandeis dans le Massachusetts, puis a travaillé en tant qu’analyste dans une importante société financière à Boston. Il raconte les espoirs et les attentes qui l’ont animé pour partir.
« Enfant, j’aimais lire la section dédiée au monde de l’entreprise dans le journal. Je savais que les Etats-Unis étaient le meilleur endroit pour apprendre l’économie et la finance. J’avais aussi envie d’acquérir certains outils qui me permettraient plus tard de rassembler les gens en Israël. » A l’université, Hussein combine de brillantes études avec un travail au réfectoire du campus. « Lorsque je suis arrivé, j’avais un très faible niveau en anglais, puis avec le temps il s’est amélioré. Au cours de ma seconde année, mes professeurs m’ont demandé de les assister pendant leur enseignement, et lors de ma dernière année, j’ai moi-même donné des cours de second cycle de MBA à des étudiants plus âgés et expérimentés que moi. » La plupart des amis de Hussein étaient des juifs américains. « Je me suis senti très à l’aise là-bas. Il y avait d’autres Israéliens sur le campus, juifs pour la plupart, qui se sentaient moins à leur place que moi. Alors que certaines personnes haussaient les sourcils en rencontrant un Israélien-Arabe-Palestinien sur un campus juif, globalement les gens ont été très accueillants, gentils et ouverts. Les fêtes juives comme Pessah et Roch Hachana me rappelaient même mon pays. »
Lors de sa quatrième année d’études, Hussein a effectué un stage d’été en tant qu’analyste en investissement chez Highfield, un fonds spéculatif de Boston. L’année suivante, il a complété son MA à l’International Business School de Brandeis. Après avoir reçu son diplôme, il a intégré une société financière de conseil aux entreprises publiques et privées américaines, qui possède des bureaux dans 150 pays, dont quatre en Israël. Il y a travaillé pendant trois ans et demi, puis a demandé à être muté dans son pays d’origine. « Je voulais me rapprocher de ma fiancée, de ma famille et de mes amis, avec lesquels je n’avais pas partagé de quotidien depuis des années. De plus, à chacune de mes visites, je me rendais compte à quel point le pays était dynamique et tourné vers l’avenir, et je ressentais l’envie d’y prendre part. »
A son retour, il a vécu un mélange d’expériences positives et négatives, mais Hussein préfère se focaliser sur les bons aspects. « Les Américains et les Israéliens ont des façons très différentes de travailler. A Boston, si j’avais une question à poser à un client, je devais lui envoyer un mail depuis mon compte professionnel. Ici, mon patron m’a dit : « Pose ta question par Whatsapp, et si le client ne te répond pas d’ici une heure, appelle-le. Je n’en revenais pas, il était 20 heures, mais a priori ça ne posait aucun problème. » Sa vie sociale a également sensiblement changé depuis son retour. « Avant, j’avais l’habitude d’aller dans des clubs, mais aujourd’hui, je travaille dur toute la semaine et je passe mes week-ends en famille ou avec mes amis. » Il pense que son retour était une bonne décision, même s’il garde la conviction que sa page américaine n’est pas définitivement tournée.
Donner au pays
Ehoud Ettoun, un joueur de contrebasse de 29 ans originaire de Jérusalem, a quitté Israël pour suivre une maîtrise au conservatoire de Nouvelle Angleterre à Boston. « Cela a été une très bonne expérience, j’ai étudié avec des musiciens que j’admire tels que David Holland et Donny McCaslin. »
Après avoir obtenu son diplôme, il a vécu à Boston et à New York pendant trois ans et demi. Il a joué avec ce qu’il appelle de « vrais maîtres du jazz », comme Fred Hirsh, Georges Calzone, Frank London et d’autres. « A vrai dire », nous dit-il avant d’embarquer dans un vol pour Varsovie à l’occasion d’une tournée internationale de trois semaines avec son groupe, « j’ai commencé à jouer partout à travers le monde, et au bout d’un moment, j’ai réalisé que ma musique pouvait être une sorte d’outil pour favoriser les changements sociaux, et aider à connecter les gens entre eux. J’ai alors pensé qu’il était ironique de jouer dans tous les pays et de vivre à Boston, alors que Boston et New York n’ont en réalité pas besoin de moi. Ils ont de grands musiciens, et j’ai senti que ma contribution serait moindre si je restais sur place. En Israël aussi il y a de nombreux musiciens de talent, mais il était plus naturel pour moi de chercher à faire des choses qui ont du sens dans le pays d’où je viens. « Le déclencheur de ma décision a été une visite de trois jours en Israël lors des dernières élections. J’en suis reparti avec un goût amer, et le sentiment que les gens se détestent les uns les autres. C’est cette impression que l’air en Israël est empoisonné, qui m’a donné envie de revenir et d’apporter ma petite pierre à travers la musique. Deux jours après mon retour à Boston, j’ai pris la décision de partir. »
C’est à Mitzpe Ramon, dans le Néguev, qu’Ehoud s’est installé. Il y a deux ans environ, il a dirigé un atelier et les étudiants en ont redemandé. Il avait toujours rêvé de créer une école, et les choses se sont naturellement mises en place, en coopération avec l’école Sapir et la municipalité. En juin, la première promotion qui compte 17 élèves, achèvera sa première année d’études à l’école de jazz et de musique improvisée de Mitzpe Ramon. Ehoud croit fermement dans le pouvoir transformateur de la musique. « Regarder le monde à travers la musique, c’est l’appréhender avec curiosité. J’aime penser à la curiosité et à la peur comme des opposés qui se défient. » Pas de doute : un petit chez soi vaut mieux qu’un grand chez les autres…
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