Confrontation électorale Hamas/Fatah : quelles conséquences pour Israël ?

L’expert Jihad Harb répond aux questions du Jerusalem Post sur les prochaines élections palestiennes

Partisans du Hamas lors des élections de 2006 (photo credit: REUTERS)
Partisans du Hamas lors des élections de 2006
(photo credit: REUTERS)
Le 8 octobre prochain, les Palestiniens de la bande de Gaza et de Judée-Samarie choisiront leurs élus locaux. L’enjeu sur le terrain de ce scrutin municipal est majeur, mais les observateurs vont également regarder attentivement le déroulement de cette consultation populaire, la première confrontation électorale entre frères ennemis, Fatah et Hamas. Car depuis 2006 et les dernières législatives, les deux mouvements politiques rivaux ne se sont pas présentés ensemble devant les électeurs.
C’est l’Autorité palestinienne, au pouvoir en Judée-Samarie et dirigée par le Premier ministre Rami Hamdallah, qui a pris l’initiative en juin d’annoncer ce vote. Le Fatah avait parié que le scrutin serait boycotté par le Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza. Mais mi-juillet, l’organisation terroriste a créé la surprise en annonçant sa participation.
Dès lors, ces élections suscitent de nombreuses interrogations. Jihad Harb, universitaire et expert en politique palestinienne, répond aux questions du Jerusalem Post depuis le Centre d’études politiques et de recherche de Ramallah.
Que représentent ces élections municipales ?
Ce scrutin doit permettre aux Palestiniens d’élire leurs représentants et conseils municipaux au niveau des villages, villes et agglomérations. Ces instances vont gérer notamment les services publics comme l’électricité et l’eau des localités. Il y a 416 conseils locaux dans les Territoires palestiniens dont 391 en Cisjordanie et 25 à Gaza.
Pourquoi l’Autorité palestinienne a-t-elle décidé d’organiser ces élections ?
A mon avis, le gouvernement de Ramallah et le Comité central du Fatah ont fait un calcul politique qui s’est révélé erroné. Ils ont parié sur un boycott du Hamas, croyant être dans la même configuration qu’en 2012, quand les élections municipales s’étaient déroulées uniquement en Cisjordanie et sans la participation du parti rival. L’AP et son Premier ministre espéraient prouver ainsi être les seuls à s’engager dans le processus démocratique. C’est pourquoi la réaction du Hamas les a doublement surpris. Non seulement ce dernier a annoncé la tenue du scrutin municipal à Gaza, mais il a aussi décidé de présenter ses propres listes en Cisjordanie.
Plusieurs raisons expliquent cette décision. D’abord, le Hamas souhaite tester sa popularité au sein de la population palestinienne. Lors des dernières élections municipales en 2004, le Fatah avait gagné 34 % des localités et le Hamas 30 %. Aujourd’hui le mouvement islamiste veut vérifier son influence à la fois en Cisjordanie et à Gaza, alors que les derniers sondages montrent qu’il a perdu des points. Le Hamas subit également une pression régionale pour participer aux élections. Comment ce parti peut-il dénoncer, comme il l’a fait, le putsch raté en Turquie, clamer son soutien à Erdogan en tant que président élu, et refuser, dans le même temps, de participer à un processus démocratique sur son propre territoire ? Ce ne serait pas cohérent. Enfin, il y a un important enjeu économique. Le Hamas veut que le Fatah aide financièrement certaines localités gazaouies en manque d’argent et cruellement endettées. L’aide internationale est réticente à intervenir à Gaza, et le mouvement espère que la présence d’élus du Fatah dans la bande côtière permettra d’améliorer l’image du territoire et encouragera les donateurs étrangers à financer les infrastructures. Si le Fatah gagne des sièges à Gaza, le Hamas réclamera également à l’AP des moyens financiers. Sans oublier que le mouvement veut envoyer un message à son rival et lui rappeler son influence en Cisjordanie.
Pourquoi le Hamas et le Fatah préfèrent-ils soutenir des indépendants au détriment de candidats de leur propre camp ?
Je pense que ce débat sur la présence de candidats indépendants répond à une stratégie purement électorale. A Gaza, le Hamas va présenter ses propres candidats, même s’ils ne seront sans doute pas choisis parmi les plus hauts responsables du mouvement politique car il s’agit seulement d’un scrutin municipal. En Cisjordanie, le Hamas craint que l’Autorité palestinienne et Israël arrêtent certains de ses représentants. Ainsi vont-ils privilégier des acteurs indépendants, proches du parti mais sans y appartenir.
Quant au Fatah, il leur sera difficile de présenter des candidats non affiliés, les hiérarques du parti lorgnant sur des postes de responsabilité politique dans leurs localités. Mais dans un souci d’équilibre, la faction de Mahmoud Abbas devrait choisir des indépendants en tête des listes électorales et des membres du Fatah dans le corps de celles-ci.
Quels rôles jouent les clans dans cette élection ?
Ils jouent un rôle important dans les élections municipales car la plupart des villages et villes sont gérés par deux ou trois clans, des familles puissantes. Souvent, un même clan peut soutenir différents mouvements, mais les liens de sang sont forts et leurs membres sont la plupart du temps solidaires les uns des autres. Dans les villes, il y a généralement plusieurs clans qui s’affrontent. Certains sont très influents, comme la famille Masri à Naplouse qui a un rôle déterminant et peut donner un élan à une liste.
Hamas et Fatah s’accusent mutuellement de saboter le processus démocratique et d’arrêter leurs propres responsables. Les élections municipales pourraient-elles êtres retardées ou annulées ?
A mon avis, le processus est lancé et il est trop tard pour faire marche arrière, sauf si un événement majeur se produit. Mais je n’y crois pas. Israël ne devrait pas s’opposer à cette consultation, l’ayant acceptée en 2012. Et ni le Fatah ni le Hamas ne veulent prendre la responsabilité de décaler ou annuler les élections locales. En 2006, le Fatah aurait pu annuler les législatives, mais s’en est finalement gardé, craignant d’être accusé de saper le processus démocratique. Même si les arrestations se poursuivent dans les deux camps, créant un environnement instable, je ne crois pas qu’un des deux partis soit assez téméraire pour retarder ou annuler le scrutin.
Le Fatah souffre de divisions internes et plusieurs listes de la même entité politique pourraient se présenter. Quelles en seraient les conséquences ?
A Gaza, je pense que deux listes du Fatah seront en concurrence, une officielle et une autre soutenue par Mohammed Dahlan (homme politique palestinien né dans un camp de réfugiés à Gaza et rival du chef de l’AP Mahmoud Abbas). Si un tel scénario se réalise, la liste de Dahlan pourrait fusionner avec l’officielle, mais seulement après les élections. En Cisjordanie, il pourrait également y avoir de nombreuses listes du Fatah, mais sans que cela n’amoindrisse le parti, car elles se regrouperont après coup. Cependant, si aucune des listes du parti ne dépasse le seuil des 8 % dans une des municipalités, les chances d’une victoire du Hamas vont croître.
Qui va gagner ces élections selon vous ?
Je ne m’attends pas à une victoire nette d’un des deux partis. Le Fatah comme le Hamas vont remporter des sièges dans les différents comités locaux. Le Fatah a plus de circonscriptions dans les localités rurales. De son côté, le Hamas a une assise plus forte dans des villes comme Hébron et al-Bireh. Dans les localités rurales de la Cisjordanie, Israël gère les questions sécuritaires et les problèmes administratifs. L’Autorité palestinienne et le Fatah ne peuvent donc pas y être tenus pour responsables de situations souvent difficiles. Mais dans les villes sous contrôle uniquement palestinien, la crise sécuritaire ainsi que les accusations de corruption et de mauvaise gestion vont saper la popularité du Fatah. Je pense que le Fatah va gagner dans de nombreux villages et petites localités en zones rurales. Il obtiendra également de bons résultats à Gaza car la population est mécontente du Hamas et de la dégradation de ses conditions de vie, depuis son arrivée au pouvoir. Dans le même temps, des villes de Cisjordanie ayant vécu uniquement sous l’autorité de l’AP pourraient être tentées par l’expérience du Hamas, ce qui se traduirait par des avancées du parti islamiste.
Si des élus du Hamas remportent le scrutin, comment réagiront les donateurs internationaux, notamment pour le financement de localités en Cisjordanie ?
Si le Hamas gagne des municipalités, cela se traduira vraisemblablement par un arrêt des subventions internationales vers les zones qui auront choisi ce parti. En 2004, le Hamas a gagné des municipalités et de nombreuses localités ont souffert d’un gel de l’aide financière. Mais ceci révèle une contradiction évidente ; d’un côté la communauté internationale appelle de ses vœux un processus démocratique, de l’autre elle rejette le choix des électeurs.
Pensez-vous que le Palestinien moyen comprenne l’enjeu d’un vote en faveur du Hamas en termes d’aide internationale ?
Rappelons l’exemple d’Israël. De nombreux Israéliens savent que faire élire des partis d’extrême droite comme ceux de Bennett et Liberman n’est pas un bon message à transmettre à la communauté internationale, mais malgré tout ils votent pour eux. Même démarche pour les Palestiniens : au moment de se rendre aux urnes, ils ne penseront qu’à leurs propres intérêts.
Israël va-t-il collaborer avec les municipalités palestiniennes ?
Oui, je crois que l’administration va coopérer avec les maires parce qu’ils ont le devoir de coordonner les services publics. Je ne pense pas que cela soit un problème pour le Hamas, tant que la relation entre Israël et le parti de Gaza se limite aux questions des services publics. En 2006, le Hamas avait dit n’avoir aucun état d’âme à travailler avec Israël dans ce domaine.
Ces élections peuvent-elles se traduire par une réconciliation entre le Fatah et le Hamas ?
En cas de réussite, elles encourageront le peuple palestinien à réclamer une consultation législative et même un scrutin présidentiel. Peut-être verrons-nous même des gens descendre dans la rue ? Mais il ne faut pas oublier que l’élection qui se profile est avant tout une compétition politique dans laquelle les deux partis vont s’affronter, ce qui ne plaide pas pour une unité, a priori.
Pourquoi les Israéliens devraient-ils s’intéresser à ce scrutin ?
Israéliens et Palestiniens ont des intérêts communs. Dans le cas des élections municipales, il est intéressant pour les Israéliens de comprendre dans quelle direction s’engagent les Palestiniens. Le gouvernement israélien va pouvoir prendre le pouls de la société palestinienne, et à ce titre, ce scrutin sera très instructif.
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