L'art de miser sur le mauvais cheval

Comme ses prédécesseurs, Mahmoud Abbas s’est fourvoyé dans le choix de ses alliés : alors qu’il s’est rapproché de l’islam radical, ce dernier est devenu l’ennemi mondial numéro 1

Yasser Arafat et Saddam Hussein (photo credit: REUTERS)
Yasser Arafat et Saddam Hussein
(photo credit: REUTERS)
Au moment où le dictateur ougandais Idi Amin célèbre son cinquième mariage en 1975, il a déjà largement mérité son surnom de « boucher ». A son actif : le massacre de plusieurs dizaines de milliers de personnes au sein de sa population, dont bon nombre de généraux, de politiciens et de juges, l’expulsion de 50 000 Asiatiques et une économie en faillite. Les noces – qui marquent également la huitième année au pouvoir de ce despote aussi flamboyant qu’impitoyable – seraient définitivement tombées aux oubliettes, si un détail n’avait retenu l’attention des historiens. L’identité du témoin, si empressé dans son rôle : Yasser Arafat.
Toujours du mauvais côté
Le leadership palestinien n’en était pas à son coup d’essai concernant les amitiés déplacées. Ce lien avec le dictateur est-africain s’inscrit dans une longue chaîne d’alliances plus malheureuses les unes que les autres, qui sont pour beaucoup dans l’échec des Palestiniens à atteindre leurs objectifs. Il y a eu tout d’abord la terrible alliance du mufti Amin al-Husseini avec l’Allemagne nazie dans les années trente. Une erreur à tous les niveaux : éthique, public et politique. Moralement, Husseini n’a contesté aucun des dogmes racistes et totalitaires à l’origine du mouvement nazi ; pour ce qui est de la sphère publique, il n’a pas su mesurer les répercussions du rapprochement avec un IIIe Reich honni par des pays parmi les plus puissants et les plus riches du monde ; politiquement enfin, il a échoué à anticiper la défaite de son allié. Les conséquences de ce choix ont été catastrophiques à bien des titres. Pas seulement parce que la cause palestinienne s’est trouvée associée à la disgrâce de l’Allemagne nazie, ou que cette alliance a poussé l’Union soviétique à s’opposer à la création de l’Etat d’Israël. Mais aussi et surtout parce que les Palestiniens ont été identifiés à la défaite.
Par la suite, les successeurs de Husseini, soucieux de montrer qu’ils n’avaient rien appris du passé, se sont de nouveau rangés du mauvais côté lors de la guerre froide. Combattants palestiniens entraînés dans les camps d’Allemagne de l’Est, diplomates fomentant des motions anti-israéliennes aux côtés de leurs pairs russes, ou étudiants endoctrinés à Moscou par la propagande soviétique : rien ne manquait au tableau. Ici encore, les dirigeants palestiniens ont failli sur le plan moral : ils sont ainsi restés silencieux quand leurs alliés ont massacré des milliers de militants pour la paix à Budapest, écrasé le Printemps de Prague, et laissé des dissidents tels Andreï Sakharov ou Vaclav Havel croupir en prison. Au niveau politique, cette alliance, comme la précédente, s’est terminée en calamité avec la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc communiste. Pour ce qui est de l’opinion publique, le positionnement des Palestiniens leur a fait perdre le respect de l’élite éclairée en lutte contre la tyrannie. Le syndrome s’est encore répété à l’occasion de la guerre du Golfe, déclenchée par les Etats-Unis après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. Face à l’alliance composée des forces de l’OTAN, de l’Egypte, de la Syrie, de l’Arabie saoudite et de trois pays issus de l’ancien bloc communiste, Yasser Arafat n’a pas compris de quel côté se jouait l’histoire, et a de nouveau misé sur le mauvais cheval en soutenant le dictateur de Bagdad. Là encore, le fiasco stratégique palestinien s’est joué sur trois niveaux. Moral tout d’abord, en choisissant l’Irak, un pays qui s’était déjà permis de gazer ses propres habitants, et venait d’envahir le minuscule Etat voisin qui ne l’avait aucunement provoqué. Dans la sphère publique, les Palestiniens étaient désormais perçus comme des ennemis par une grande partie du monde arabe. Politiquement enfin, ils se trouvaient une fois encore du côté des perdants, inaugurant une période d’isolement sans précédent. Il a fallu attendre les accords d’Oslo pour leur redonner une légitimité internationale.
L’erreur fatale de Mahmoud Abbas
Depuis les derniers attentats de Paris et l’explosion de l’avion russe au-dessus du désert du Sinaï, le monde a un ennemi commun : l’islam radical. Un tel consensus ne s’était pas vu depuis la lutte contre le nazisme. Même si, bien sûr, cette prise de conscience n’implique pas forcément que la lutte sera rapidement menée et efficace, ou même que ses alliés agiront de façon coordonnée et simultanée. Comme celle qui est venue à bout du fascisme, l’alliance contre l’islamisme pourrait encore essuyer quelques bains de sang avant d’être parfaitement unie et de libérer toutes ses forces. Mais tandis que la France a décrété l’état d’urgence et tente de panser ses blessures, la violence de ces dernières semaines en Israël est enfin apparue pour ce qu’elle est : l’un des aspects d’une guerre beaucoup plus large, dont les principaux fronts sont ailleurs, et dont la cible principale n’est pas l’Etat juif, mais bien le monde entier.
Avec le recul de l’histoire, on aurait pu croire que Mahmoud Abbas ferait preuve de lucidité face aux sirènes islamistes. Mais à en croire les récents événements, il semble marcher tout droit dans les pas de ses prédécesseurs. Les historiens se demanderont longtemps s’il a mené ou rejoint la psychose palestinienne de ces derniers mois autour des lieux saints de Jérusalem. Quant à la question de savoir s’il a alimenté les flammes de la guerre de religion que les agitateurs islamistes locaux tentent de promouvoir, elle sera purement ignorée. L’identité et les desseins des fauteurs de trouble sont connus. Il s’agit des activistes de la Branche nord du Mouvement islamique et de leur leader, Raed Salah, mis récemment hors-la-loi par le gouvernement.
Pendant des années, Abbas s’est efforcé avec succès de se placer au-dessus de la mêlée islamiste. Et ce, même après qu’elle se soit emparée de la bande de Gaza, ou que le Hamas ait été expulsé de Damas en raison de son soutien à la montée sunnite. Mais ces derniers mois, l’historien de la cause soviétique a décidé de fumer l’opium du peuple. Un revirement nettement mis en évidence par ses récentes déclarations relayant les pires diatribes islamistes. Il a ainsi accusé les Israéliens de « désacraliser al-Aqsa avec leurs pieds sales », et salué le bain de sang provoqué par les « martyrs ». En alimentant également les fausses rumeurs, affirmant qu’Israël cherchait à s’emparer des lieux saints musulmans, ou accusant les forces de l’ordre d’exécuter de sang-froid les terroristes qui poignardent les passants, le leader palestinien a clairement choisi son camp. Tout comme beaucoup d’Arabes israéliens, séduits par les discours de la Branche nord. Seulement voilà : en associant leur cause à l’islamisme radical, Abbas, comme les autres, se range désormais du côté de ce que le monde civilisé est bien décidé à combattre.
Pour Abbas, il est trop tard. Il est désormais aussi discrédité qu’Arafat lorsqu’il se tenait aux côtés de l’impérialisme soviétique, de Saddam Hussein ou du dictateur ougandais Idi Amin. Tout est maintenant entre les mains de ses successeurs. S’ils ne parviennent pas complètement à déraciner les islamistes, ils devront au moins faire preuve de lucidité, prenant en compte les fiascos répétés du leadership palestinien en termes d’alliances. Et les impasses politiques qui en ont découlé.
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