L’école de l’espoir

Un centre d’études pour migrants africains tente de renverser le cours de la fatalité

Des réfugiés à l'issue de leur cursus au sein de SchoolHouse (photo credit: COURTESY SCHOOLHOUSE)
Des réfugiés à l'issue de leur cursus au sein de SchoolHouse
(photo credit: COURTESY SCHOOLHOUSE)

Lorsqu’Ahmed est arrivé à la frontière du Sinaï, il a entendu des coups de feu. L’un de ses compatriotes soudanais a été touché et capturé par les soldats égyptiens. Lui a réussi à entrer en Israël sans encombre. C’était il y a six ans. Depuis, ce demandeur d’asile, âgé de 30 ans, a travaillé successivement dans un hôtel à Eilat, dans un supermarché à Tel-Aviv et dans un fast-food à Holon. Une précarité aux allures de fatalité pour Ahmed, qui ne peut retourner dans son pays et qui s’est vu refuser le droit d’asile par le gouvernement israélien. « Je serais tué si je retournais au Soudan », affirme-t-il, expliquant qu’il a fui son pays après que ses dirigeants aient envoyé des milices pour terroriser la population du Darfour où il vivait.

L’histoire d’Ahmed ressemble à celle des 40 000 autres demandeurs d’asile africains qui se trouvent actuellement en Israël. Malgré tout, le jeune homme entrevoit aujourd’hui un peu de lumière. Deux soirs par semaine, il étudie l’anglais à la Schoolhouse, un centre éducatif pour adultes à destination des migrants africains, situé au sud de Tel-Aviv. Ce programme a été créé en 2012 par Sara Stern, une éducatrice spécialisée qui travaille depuis plusieurs années auprès de la communauté africaine en tant que bénévole. Lorsqu’elle a entendu parler pour la première fois des réfugiés du Darfour qui passaient la frontière israélienne, la jeune femme a tout de suite pensé qu’il fallait faire quelque chose pour les aider. « J’étais en vacances à Eilat, assise près d’une piscine, quand j’ai entendu à la radio qu’une personne d’Efrat, la ville dont je viens, organisait du bénévolat pour aider ces réfugiés », raconte Sara. « Leur situation m’a beaucoup touchée et j’ai décidé de me joindre à ce groupe. »
Sara sait ce que c’est que d’être un nouvel arrivant : sa famille a immigré en Israël depuis les Etats-Unis quand elle était adolescente. « Durant mes quatre années de lycée, je m’efforçais de ne pas parler trop fort car j’avais honte de mon accent », se souvient-elle. Sa famille compte également plusieurs réfugiés. Ses grands-parents se sont installés aux Etats-Unis dans les années trente après avoir fui l’Allemagne. Ils n’avaient pas un sou.
Rassemblant d’autres volontaires, Sara a ensuite mis sur pied un réseau informel de bénévoles à Jérusalem. Ces volontaires apprenaient l’hébreu aux réfugiés, les aidaient dans leurs démarches médicales et intervenaient lorsque ceux-ci rencontraient un problème avec leurs employeurs. « A ce moment-là il n’existait ni structure gouvernementale ni ONG susceptible de leur fournir une assistance de base. Nous nous sommes servis des quelques compétences dont nous disposions et avons fait de notre mieux », dit la jeune femme.
Problème de perspectives
Lorsque les réfugiés en provenance du Soudan et d’Erythrée ont commencé à arriver en masse, Sara a compris qu’ils ne repartiraient pas dans leur pays de sitôt. Au même moment, le gouvernement israélien a pris des mesures restreignant l’accès à l’emploi des migrants. « J’étais assise un jour dans un restaurant et j’observais un étudiant israélien et un réfugié africain qui travaillaient tous les deux dans cet établissement. Je me disais que pour l’Israélien, il s’agissait sûrement d’un job d’appoint en attendant de finir ses études et d’avoir de meilleures perspectives d’avenir. Mais aucune carrière ne se profilait à l’horizon pour le réfugié. Je me suis alors souvenue que lorsqu’on demandait aux demandeurs d’asile ce qu’ils souhaitaient le plus, ils répondaient qu’ils voulaient étudier. » Sara en a conclu que si les réfugiés pouvaient optimiser le temps passé en Israël à apprendre, cela leur donnerait à la fois de l’espoir et leur permettrait de contribuer au développement de leur pays une fois de retour chez eux.
Par la suite, la jeune femme a travaillé pour HIAS, l’Agence de réfugiés juive américaine originellement créée afin de venir en aide aux réfugiés juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est. Elle a passé six mois à voyager dans tout le pays afin d’évaluer les besoins des réfugiés africains pour le compte de cette agence. Et c’est en 2011, alors qu’elle était en voyage en Afrique de l’Ouest avec son mari pour développer un projet musical, qu’elle a eu l’idée d’une structure qui n’existait pas encore en Israël : un centre éducatif pour adultes destiné aux réfugiés. C’est ainsi qu’avec le soutien de HIAS et d’une autre ONG, la Schoolhouse a vu le jour.
« Nous avons décidé de nous concentrer sur des enseignements exportables, que les migrants pourraient emmener et qui leur serviraient quel que soit l’endroit du monde où ils se trouvent. Nous avons donc entrepris de commencer par l’informatique et l’anglais », explique Sara. La Schoolhouse propose également des cours de maths et de français ainsi qu’un cursus pour développer les capacités à enseigner et à diriger. La jeune femme et ses soutiens sont parvenus à mobiliser une équipe de professeurs incluant des professionnels et des bénévoles possédant, outre des capacités à enseigner, un bon sens de la communication ainsi qu’une sensibilité envers les autres cultures.
Courage et détermination
Cependant, les enseignants d’anglais ont vite constaté que leurs méthodes d’apprentissage n’obtenaient pas les résultats escomptés, bien que ces étudiants parlent souvent déjà deux ou trois langues. Ils se sont alors efforcés de développer une méthodologie adaptée à des étudiants habitués à un apprentissage informel. « Lorsque nous essayions de faire des exercices comme “remplir les blancs” ou de s’appuyer sur d’autres méthodes structurées comme un tableau de verbes, nous n’allions pas très loin », relate Zohar Friedman, directeur et coordinateur pédagogique à la Schoolhouse.
« Nous avons mis du temps avant de trouver la bonne méthode, mais ensuite, nos élèves ont progressé à une vitesse incroyable. J’ai été surpris par leur courage et leur détermination lorsqu’ils se sont plongés dans l’étude de nouveaux mots et de nouveaux concepts », ajoute Zohar Friedman, qui poursuit actuellement un master d’enseignement de l’anglais à l’université de Tel-Aviv. La capacité des étudiants à retenir rapidement les mots et les idées n’a pas été la seule chose qui a étonné Zohar Friedman. « Il y a une vraie dissonance entre les épreuves terribles que ces réfugiés ont traversées et l’état d’esprit positif qui est le leur quand ils sont en classe », dit le directeur qui a fait son aliya récemment. Actuellement plus de 100 personnes étudient à la Schoolhouse ; presque toutes paient une partie des frais liés aux cours.
Sara Stern constate que ce programme permet également aux réfugiés d’augmenter leur confiance en eux-mêmes, de développer leur esprit critique et d’apprendre à exprimer leurs opinions. Autant d’attributs également essentiels dans le leadership, qui pourront leur servir plus tard. Développer ces capacités est également au centre d’un autre programme mis en place par la Schoolhouse pour le centre de détention de Holot.
Le centre de Holot a ouvert ses portes en 2014 dans le but de déloger les migrants africains des grandes villes du pays. L’idée était de les y garder indéfiniment jusqu’à ce qu’ils se découragent et décident de retourner dans leur pays d’origine. La manœuvre visait aussi à décourager d’autres réfugiés potentiels à rejoindre le pays. Cependant, la Cour suprême a décrété que les garder plus d’un an dans le centre de Holot constituait un abus. C’est ainsi que chaque année, 3 000 migrants sélectionnés au hasard effectuent un séjour de douze mois dans le centre, comme s’ils purgeaient une peine de prison collective. Ils sont autorisés à sortir durant la journée mais doivent y retourner tous les soirs. « Le gouvernement utilise cette tactique afin de jouer sur leur moral pour les forcer à partir. J’ai pensé que proposer à ces personnes de suivre un programme éducatif serait pour elles une manière optimale et productive d’utiliser leur temps passé à Holot », explique Sara.
Les visiteurs n’étant pas autorisés sur les lieux de détention, la Schoolhouse s’est installée dans un centre éducatif de la localité de Nitzana, proche de Holot. Le programme a démarré en 2014 sur le modèle de celui de Tel-Aviv. « Nous n’avions pas les ressources pour toucher un grand nombre de détenus. C’est alors que nous avons réalisé que beaucoup d’entre eux possédaient des compétences pour enseigner et diriger. Nous avons donc décidé de concentrer nos efforts sur la formation d’un groupe de détenus, afin de leur permettre d’enseigner eux-mêmes. Et une fois qu’ils sont formés, ils sont capables d’enseigner différentes choses. »
Des résultats probants
L’un des principaux soutiens de la Schoolhouse est l’UNHCR, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Sharon Harel, qui s’occupe des relations publiques de l’organisation, se félicite du travail du centre éducatif de Sara Stern, qui demeure à ce jour la seule structure à proposer des cours aux migrants africains. Les enfants, eux, sont autorisés par l’Etat à aller à l’école publique. Sharon Harel se montre toutefois critique vis-à-vis de l’attitude du gouvernement face aux réfugiés, notant que seul un réfugié soudanais a obtenu l’asile de la part des autorités israéliennes, et ce au terme d’une très longue bataille judiciaire.
Ces dernières années, 13 000 réfugiés africains ont quitté le pays pour s’installer au Canada, en Suède ou bien en Ouganda et au Rwanda, deux pays d’Afrique qui ont signé des accords avec Israël afin d’accueillir les migrants qui partent de leur plein gré. L’employée de l’UNHCR se dit particulièrement inquiète de prochaines mesures qui pourraient être adoptées par la Knesset et qui risquent d’entraîner un durcissement des conditions de vie des migrants. Les employeurs pourraient notamment être contraints de payer une taxe s’ils emploient des réfugiés.
La Schoolhouse a déjà fait la preuve de son efficacité, permettant à beaucoup de ses élèves de gagner en autonomie et d’aller plus loin dans leurs études. L’un d’eux s’est vu offrir les frais de scolarité afin d’entreprendre un cursus d’études à l’Université interdisciplinaire d’Herzliya tandis que d’autres, comme Ahmed, ont été acceptés pour suivre des cours universitaires en ligne. « Je vais commencer des études pour passer un diplôme en droit », dit-il. « Un jour, j’espère pouvoir travailler dans ce domaine, en Israël ou ailleurs. »
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite