Perspectives d’avenir pour une cité millénaire

Construction, sécurité, développement économique, Nir Barkat fait le point

Le maire de Jérusalem dans son bureau (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Le maire de Jérusalem dans son bureau
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Lorsqu’on dit de Nir Barkat, maire de Jérusalem depuis 2008, qu’il a délaissé ses fonctions ces derniers mois pour se préparer à des responsabilités nationales sous l’étiquette du Likoud, la réponse du principal intéressé est sans détour :
« Rien n’est plus éloigné de la vérité », affirme-t-il. L’édile assure être plus que jamais au fait des préoccupations et des défis qui se posent à la capitale en cette aube du 50e anniversaire de sa réunification. Et à ceux qui considèrent d’un œil suspicieux sa récente adhésion au parti de Benjamin Netanyahou, l’homme d’affaires multimillionnaire et père de trois enfants explique que sa décision va au-delà d’une progression logique et pragmatique dans sa carrière politique. « J’ai simplement pris conscience qu’après avoir été à la tête de Jérusalem durant plusieurs années, mon souhait n’était pas de retourner dans le monde des affaires. Je veux rester dans le service public et je serais heureux d’endosser des responsabilités sur le plan national », dit l’élu, affirmant toutefois vouloir prendre son temps avant de se lancer. « Quoi qu’il en soit, le fait d’être intégré au Likoud est un véritable atout lorsqu’il s’agit de traiter avec le gouvernement sur les questions de budget municipal », confie-t-il. « Cela rend les choses beaucoup plus simples. » Interrogé sur ses intentions de se présenter pour un troisième mandat de cinq ans en tant que maire de la capitale, Barkat indique ne pas avoir pris de décision.
Quid des rumeurs de tensions entre lui et le Premier ministre au lendemain de la dernière élection, après la nomination par Netanyahou de Zeev Elkin au poste de ministre des Affaires de Jérusalem ? Le maire admet son irritation : « Il est vrai que je n’approuvais pas cette initiative et que je l’ai ressentie comme une injustice. Mais j’en ai pris mon parti et j’ai avancé. Benjamin Netanyahou est mon Premier ministre, Zeev Elkin mon ministre, et j’entretiens de très bons rapports avec les deux. Nous ne sommes pas dans une république bananière. Nous travaillons ensemble afin d’améliorer la collaboration entre la municipalité et les autorités nationales. » Face à ceux qui s’inquiètent de la répartition de son temps entre ses responsabilités municipales et celles qu’il assume au sein du Likoud, Barkat ne se démonte pas : « La majorité des maires du pays se rendent à la Knesset une fois par semaine et passent du temps avec les parlementaires et les ministres afin de les solliciter au sujet de leur ville. C’est aussi ce que je continue à faire », dit-il. « Mon emploi du temps n’est pas franchement différent de ce qu’il était auparavant. »
Un seul mot d’ordre : construire
« Le comité municipal pour la construction n’a pas de limites imposées », indique Nir Barkat au sujet de l’édification dans Jérusalem. « Nous approuvons chaque projet proposé. Par la suite, certains obstacles peuvent être posés au niveau du comité de district qui est une organisation nationale. Certains projets font alors l’objet d’un délai d’approbation souvent dû à la pression internationale exercée sur le gouvernement. Mais sur le plan local, ma volonté est de ne jamais arrêter de construire dans la capitale. » Et d’exprimer l’espoir que la nouvelle administration américaine lèvera les barrières dans ce domaine. Que pense l’édile de ceux qui critiquent le développement des constructions juives dans la capitale ? « Je considère que ce point de vue est obtus. Ces gens oublient une chose importante : lorsque Washington ou l’Union européenne parlent de geler les constructions à Jérusalem en usant de tous les moyens de pression possibles, cela implique-t-il de geler également toute initiative à destination des résidents arabes, de ne plus leur octroyer de permis et de ne plus construire d’écoles ? Faut-il demander aux habitants s’ils sont juifs ou arabes afin de déterminer s’il faut stopper telle ou telle construction ? Une telle démarche est-elle conforme à la constitution américaine ? Attend-on de moi que je fasse des différences entre les résidents de la ville ? » Enfonçant le clou, l’édile fait remarquer que lorsque le gouvernement lance un appel d’offres pour une construction, il n’a pas le droit de demander ni la religion, ni la race, ni la nationalité du soumissionnaire.
Alors que sous la pression internationale, l’édification de nouveaux logements dans la capitale avance au pas, Barkat souligne néanmoins que cela a permis à la mairie de se focaliser de manière accrue sur les besoins en matière de développement urbain. « Jérusalem est l’une des villes qui profite du plus fort taux de renouvellement de ses logements. Actuellement plus de 80 000 appartements sont à divers stades de rénovation, soit beaucoup plus qu’il y a quelques années », indique l’élu. Pour ce qui est de la création de nouvelles unités d’habitation, ce dernier affirme que la ville pourrait en construire 34 000 dans les prochaines années. « Par le passé, nous avons choisi la voie de la facilité, c’est-à-dire amener les tracteurs pour construire un nouveau quartier en rasant des forêts. La gestion de la ville était constamment axée sur son expansion. Mais nous avons eu tort. Lorsque je suis arrivé à la mairie, j’ai mis le holà sur cette politique. J’ai proposé de nous recentrer sur les anciens quartiers afin de les restructurer et de les rénover », indique le maire. « Même si c’est un processus plus long et plus compliqué, je pense que c’est la bonne voie. » Une politique qui se traduit, selon l’édile, par une amélioration de la qualité de vie des résidents en s’attachant à renouveler les écoles, les routes et toutes les infrastructures en place, et qui permet, de surcroît, d’attirer de plus en plus de jeunes couples.
Points d’achoppement
A ce propos, Barkat expose les quatre raisons principales qui ont amené les jeunes couples à déserter la capitale : le manque d’emplois, la faible qualité de vie, le niveau de l’éducation et les prix des logements. « La première de ces raisons est on ne peut plus compréhensible, celui qui ne peut assurer son gagne-pain est obligé de partir. Le second aspect concernait le manque de loisirs et d’attractions, et nous avons fait d’énormes efforts là-dessus. Le troisième point touche à l’éducation. En 2001, nous recensions 64 000 élèves inscrits dans les écoles de la ville du CP à la Terminale dans le système public, religieux et non religieux confondus (hors élèves des écoles ultraorthodoxes et arabes). Le secteur harédi a connu une augmentation de 2 % d’élèves par an, idem pour les écoles arabes, tandis que notre système a chuté de 1,5 % en nombre d’inscrits chaque année. »
« Lorsque j’ai pris la tête de la municipalité fin 2008, la ville comptait ainsi 58 000 élèves. Cette tendance continue à la baisse avait amené mes prédécesseurs à fermer une ou deux écoles par an, parfois même trois. Aujourd’hui nous recensons 65 000 inscrits dans les écoles de la ville et ce chiffre est en constante augmentation dans le primaire. Le nombre d’élèves du secteur public est désormais équivalent à celui des secteurs harédi et arabe. » S’il concède que plus de la moitié des écoliers de la ville sont issus de ces deux derniers secteurs de la population, Nir Barkat souligne que la municipalité est en train de renverser la tendance. « C’était l’un de mes objectifs principaux lorsque je me suis présenté à la mairie », confie l’élu. « J’étais inquiet de l’avenir de la population sioniste à Jérusalem, mais aujourd’hui elle est en plein essor. »
Concernant le quatrième point d’achoppement, le prix de l’immobilier, le maire indique qu’il s’agit malheureusement d’un aspect sur lequel il exerce moins de contrôle, même s’il dit s’attacher à construire autant de logements que possible afin de remédier à la pénurie de logements. Selon Barkat, la démographie particulièrement élevée de Jérusalem et son ADN religieux ne sont pas un obstacle mais bien un atout. « Jérusalem a été construite et pensée pour accueillir tous les peuples – juifs et non juifs », dit le maire. « C’était sa vocation il y a 3 000 ans : c’était le seul endroit du pays à n’avoir été donné à aucune tribu spécifique. Il appartenait à tout le monde. La philosophie qui doit présider à l’avenir de la ville réside dans la compréhension profonde du fait qu’il y a une place pour chacun ici. Si un groupe n’est pas intégré correctement à la cité, alors celle-ci ne fonctionne pas de manière optimale. Cinq milliards d’êtres humains se soucient de Jérusalem. Nous ne sommes pas seulement soumis au regard de Dieu. Le monde braque également une loupe sur nous afin de scruter nos moindres faits et gestes. J’y vois l’une des preuves du caractère unique de notre capitale », affirme Nir Barkat.
Œil pour œil
Revenant sur la situation sécuritaire de Jérusalem, ensanglantée par la récente vague d’attaques au couteau, l’édile salue la décision du gouvernement d’injecter un milliard de shekels pour la construction de six nouveaux postes de police dans les quartiers arabes les plus sensibles de la capitale, la mise en place de centaines de caméras de vidéosurveillance et le déploiement de 1 200 officiers de police supplémentaires dans les rues de la ville. Au-delà des mesures de sécurité, le maire explique en outre qu’il effectue un travail de fond avec la communauté arabe de la ville afin d’améliorer ses conditions de vie mais aussi les liens économiques et sociaux avec la communauté juive. « Nous avons mis en place quelque chose d’entièrement nouveau, ce que j’appelle un “partenariat civil et sécuritaire”, un système gagnant-gagnant. On ne peut pas simplement s’armer de bâtons incarnés par la police. Il faut également des carottes. Ce sont les bases du pacte que nous avons initié. »
« Depuis la dernière vague de violence, nous avons compris que nous devions traiter le problème à la source, c’est-à-dire en surveillant les réseaux sociaux arabophones. Nous avons également augmenté le nombre d’heures dans les écoles arabes, y compris après les cours proprement dits, de façon à ce que les élèves puissent rester occupés au moins jusqu’à cinq heures de l’après-midi plutôt que de traîner dans les rues. Nous avons également installé des blocs sur les axes routiers des quartiers arabes afin de faciliter les contrôles et sécuriser les rues de la capitale. Sur ce point, nous travaillons main dans la main avec les dirigeants arabes des quartiers. Le noyau de notre stratégie : “Etre bons avec les bonnes personnes et mauvais avec ceux qui se conduisent mal.” Nous nous efforçons de montrer que celui qui veut dévier du droit chemin n’a rien à y gagner et qu’il paiera au contraire un prix très élevé. »
En dépit de la conviction largement répandue que Jérusalem est l’une des villes du monde les plus en proie à la violence, Barkat affirme au contraire que les statistiques attestent qu’elle est l’une des plus sûres, avec l’un des plus faibles taux d’homicide. « Aux Etats-Unis on compte 9 meurtres pour 100 000 habitants, 11 dans les grandes villes ; Johannesburg et Le Cap en Afrique du Sud en dénombrent respectivement 39 et 60 pour 100 000 habitants. Quant à Jérusalem, elle affiche un taux de… 1,5 pour 100 000 ! Il est vrai que l’année dernière a été une année noire avec 13 homicides recensés, mais en dehors de ces pics de terrorisme, il ne fait nul doute que notre capitale est, de loin, l’un des endroits les plus sécurisés du monde. » Ce sentiment général à propos de la ville s’explique, selon son maire, par l’attention disproportionnée dont cette dernière fait l’objet. « Je vous assure que lorsque je me rends aux Etats-Unis, je prie pour revenir sain et sauf dans ma bonne ville de Jérusalem », confie l’édile dans un demi-sourire.
Le maire revient ensuite sur la récente décision controversée de la municipalité de détruire 14 bâtiments construits illégalement dans le quartier arabe de Beit Hanina à l’est de la ville, impliquant le déplacement de 40 familles. « Cette décision fait suite à un arrêté de la Cour suprême stipulant que ces logements devaient être détruits. Le tribunal a néanmoins donné un délai afin que les propriétaires puissent trouver un arrangement avec la mairie. Peut-être que des permis de construire pourront être délivrés d’ici là », explique Barkat. Lorsque l’on pointe le fait que cette annonce de la mairie a directement suivi le jugement de la Haute Cour en faveur de la destruction de l’implantation d’Amona en Judée-Samarie, l’élu se défend avec force de tout acte de vengeance.
Revitalisation économique
Qu’en est-il de la situation économique de la capitale, listée comme la plus pauvre des grandes villes du pays par le Bureau central des statistiques ? Nir Barkat se veut rassurant, expliquant qu’un certain nombre d’initiatives lancées par la municipalité commencent à porter leurs fruits et qu’à terme, cette tendance finira par se renverser de façon très significative. Pour appuyer son propos, le maire cite un article datant de 2015 paru dans le Time magazine qui classait Jérusalem à la première place des villes émergentes dans le domaine de la technologie. « Sur le plan économique, mon rôle est d’être un teneur de marché », dit-il. « Concernant Jérusalem, le point central est de créer une forte demande ainsi que les infrastructures nécessaires afin d’y répondre. Il faut donc, dans le même temps, synchroniser et gérer la croissance. Celle-ci doit être dirigée, elle ne survient pas comme cela », insiste le maire. « Il faut pousser la demande en rendant la ville attractive pour les entrepreneurs du high-tech. Nous sommes sur le bon chemin dans ce domaine », assure Barkat. Et de souligner les efforts constants de la municipalité dans ce sens. Prochain grand chantier : la création d’un quartier d’affaires à l’entrée ouest de la ville, qui profitera largement du prochain train à grande vitesse entre Jérusalem et Tel-Aviv prévu pour 2018. Ce nouveau pôle devrait générer 40 000 emplois. « Grâce à mon expérience d’entrepreneur, j’ai une idée bien précise de ce qu’il faut faire pour atteindre nos objectifs. Notre second atout est que nous sommes largement soutenus par le gouvernement dans cette tâche. » Les chiffres sont éloquents : alors que la ville accueillait il y a quatre ans près de 250 entreprises, elle en compte aujourd’hui 600.
L’autre grand domaine d’activité que le maire espère développer est celui du tourisme. « Nous rencontrons certains obstacles en raison de la situation sécuritaire, mais l’industrie hôtelière est aujourd’hui convaincue de la direction à prendre et se montre de plus en plus attractive. » L’offre culturelle ne cesse, elle aussi, de se diversifier. « Le festival des Lumières, le marathon, le festival de la musique et tous les autres grands événements ainsi que nos différentes institutions culturelles coûtaient auparavant 5 millions de shekels par an, auxquels venaient s’ajouter 10 millions de subventions gouvernementales. Ils reçoivent aujourd’hui entre 50 et 60 millions supplémentaires ce qui a permis de passer du simple mode de survie à celui de la création », se réjouit l’élu. Pour clore le chapitre du dynamisme de la ville, celui-ci pointe en outre les initiatives qui ont vu le jour ces deux dernières années afin de favoriser l’emploi des secteurs arabe et ultraorthodoxe. « La première année nous avons réussi à placer 2 000 harédim sur le marché du travail et 4 000 l’année dernière », indique Barkat qui précise qu’au regard de ce succès, les programmes d’embauche ont été étendus aux jeunes et aux olim.
Enfin, concernant le jubilé de la réunification de Jérusalem qui doit avoir lieu en 2017, le maire montre le paysage depuis son bureau de la mairie et dit : « Regardez autour de vous. Vous voyez une cité souveraine. Il y a des grues partout, et près de 600 000 juifs vivent dans la capitale. Il s’agit d’une réussite et d’un accomplissement historiques. Si vous aviez dit à n’importe quel juif durant la période de la Shoah que 70 ans plus tard il pourrait vivre à Jérusalem comme on y vit aujourd’hui, il est certain qu’il ne vous aurait pas cru. »
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite