Israël <3 Iran

Israël-Iran : des amours impossibles ? Pas si sûr. Certaines initiatives civiles israéliennes visent à créer des ponts entre les deux communautés

Israël <3 Iran (photo credit: REUTERS)
Israël <3 Iran
(photo credit: REUTERS)
J’ai autorisé tous les Juifs résidant dans nos frontières qui le souhaitent, à retourner dans leur propre pays, à reconstruire leur ville et bâtir le Temple de Dieu à Jérusalem, à l’endroit même où il s’élevait auparavant. » (Cyrus le Grand)
En 539 avant notre ère, après la conquête de Babylone, Cyrus le Grand libère les Hébreux de leur captivité et participe au financement de la reconstruction du Temple à Jérusalem. Au cours des milliers d’années qui ont suivi, Juifs et Perses ont souvent entretenu des relations amicales et fructueuses.
De nos jours, en revanche, les rapports entre Israël et l’Iran sont caractérisés par de violentes diatribes et l’hostilité politique mutuelle que se vouent leurs gouvernements respectifs. Les liens étroits qui, autrefois, unifiaient les peuples juif et perse, leur permettant de vivre côte à côte dans la paix et la prospérité, la liberté et l’égalité, la sécurité et le bonheur, semblent quasiment tombés en désuétude pour les populations israélienne et iranienne contemporaines.
Si l’on se penche plus avant côté israélien, par-delà la litanie quotidienne de petites phrases assassines diffusées par les médias ou proférées par les dirigeants envers l’Iran, on s’aperçoit que, malgré le conflit entre les deux Etats, les liens d’affection historiques entre ces deux peuples sont encore vigoureux et tenaces.
Ces dix dernières années, pendant la période peut-être la plus tendue de mémoire israélo-iranienne, on assiste à l’émergence d’un certain nombre d’initiatives de promotion des relations civiles au cœur de l’Etat hébreu. Leurs objectifs varient, mais toutes partagent un but commun : rétablir les relations amicales autrefois cultivées par les peuples juif et perse, afin d’éviter une guerre dévastatrice entre les deux pays.
En plus de la fameuse campagne sur Facebook « Israël aime l’Iran », on voit apparaître une floraison de stations de radio, campagnes sur les médias sociaux, blogs et autres groupes d’amitié qui cherchent à communiquer avec le peuple iranien et combler le fossé actuel. De source bien informée, on pense qu’il existe un total de 43 initiatives de ce type au sein de la seule communauté israélo-iranienne.
Amitié historique
L’un des pionniers en la matière est Shahyad, le seul magazine israélien en langue perse (farsi), fondé par le propriétaire d’une petite entreprise, Kamal Penhasi en 1990.
Penhasi est un Juif d’origine iranienne. Il a fait son aliya à l’âge de 19 ans, pendant la révolution de 1979 qui a vu la chute du Shah.
Depuis son modeste bureau de Holon, le projet vise au départ à apporter à la communauté israélo-iranienne son lot de littérature mensuelle. Très vite, il se transforme en un outil de communication pour le public iranien qui découvre ainsi la société israélienne et la vie des Iraniens en Israël.
Penhasi explique avoir commencé à éditer le journal avec, en tête, la volonté de s’adresser aux Iraniens d’Israël. Il se rend compte rapidement que des copies de son magazine sont interceptées, puis reproduites et distribuées par des admirateurs en Iran.
Aujourd’hui encore, il reçoit des compliments du cœur de l’Iran, sur le contenu de Shahyad, accessible sur le site Web de la revue depuis quelques années.
L’intérêt iranien pour son magazine made in Israël, ainsi que son rêve de voir se normaliser les relations entre l’Etat hébreu et le régime des Mollahs, comme au temps du Shah avant la révolution, poussent Penhasi à poursuivre ses efforts pour établir des relations à l’échelon individuel.
En 2009, après la diffusion sur toutes les chaînes de télévision internationales de la mort de la jeune Neda Agha-Soltan pendant les manifestations du Mouvement vert en Iran, Penhasi et quelques-uns de ses collègues fondent l’association Iran-Israël.
L’organisation à but non lucratif compte actuellement environ 170 membres dans le monde entier, y compris en Iran. Ils organisent des conférences et des manifestations dont le but est de promouvoir la paix entre les deux peuples.
A court terme, Penhasi souhaite promouvoir la compréhension culturelle et aider à prévenir la guerre. A cette fin, il donne régulièrement des conférences au public israélien et aux unités de Tsahal sur la culture et la politique iraniennes. Ou sur les divergences entre l’attitude et les désirs de la République islamique – qualifiée, par de nombreux spécialistes, de régime paranoïaque qui s’accroche désespérément au pouvoir – et ceux de ses habitants.
« En tant qu’Israéliens originaires d’Iran, nous pensons que le problème entre les deux pays se situe à l’échelon gouvernemental et non pas au niveau des nations. Les Israéliens aiment les Iraniens. Les Iraniens aiment les Israéliens. Nous avons bénéficié d’une solide amitié historique pendant des milliers d’années. Ce n’est que très récemment que nous sommes devenus ennemis. Il y aura de nouveau la paix très bientôt, j’espère. »
Ainsi les membres de l’Organisation Iran-Israël incluent des Iraniens et des Israéliens, des juifs, des musulmans, des chrétiens et des zoroastriens, de partout dans le monde.
Allô l’Iran, ici Israël
En plus de la littérature et des entreprises éducatives, plusieurs stations de radio de langue perse ont fait leur apparition en Israël ces dix dernières années.
L’une des émissions les plus populaires est sans doute celle de la station privée sur Internet, Radio Radisin. Fondée en 2008 par Amir Shay, aujourd’hui PDG de la station, avec quelques-uns de ses collègues, Radio Radisin diffuse des émissions sur la musique, la poésie et l’actualité iraniennes avec l’objectif avoué de « répandre la paix » entre les peuples israélien et iranien. Basée à Tel-Aviv, la radio diffuse 24 heures sur 24 via Internet et le câble. Elle compte 45 bénévoles, dont beaucoup réalisent leurs propres émissions.
Selon le site de la station, 100 000 auditeurs écoutent ses programmes tous les jours, dont un nombre non divulgué depuis le République islamique, malgré la censure du gouvernement.
Comme Amir, qui a vécu en Iran pendant plusieurs années au cours de sa petite enfance, la plupart des Israéliens persanophones sur les ondes ont, dans une certaine mesure, des liens culturels avec l’Iran. Amir affirme, dans son farsi d’origine, que l’un des principaux objectifs à l’initiative de la création de la radio était de donner aux Iraniens – surtout en Iran, mais aussi dans toute la diaspora – une vision plus précise d’Israël.
« Le but de notre programme est d’établir un contact avec les persanophones du monde entier… musulmans, chrétiens, non-juifs peu familiers avec Israël. Ce qu’ils savent d’Israël est basé sur les rapports des grandes agences de presse internationales, chacune avec son point de vue propre… Les médias que consultent les Iraniens sont sans doute ceux de la République islamique… Ils présentent Israël comme l’ennemi et répètent à longueur d’antenne qu’ils veulent le rayer de la carte. Les organes de presse gouvernementaux en Iran ne se soucient guère de présenter la vérité sur Israël… Aussi ceux qui souhaitent en savoir plus sur le sujet n’ont jamais accès à des informations 100 % exactes.
Notre espoir est donc de rassembler des Israéliens de langue farsi, et montrer la vérité aux Iraniens afin de leur faire découvrir la culture israélienne… Nous nous sommes réunis pour créer une radio populaire et non gouvernementale, qui ne sert aucun organisme d’intérêt privé : une radio de citoyens israéliens. »
Téhéran–Haïfa–Tel-Aviv
L’une des initiatives les plus réussies, à la pointe de la technologie, est sans doute TeHTel (Téhéran–Haïfa–Tel-Aviv).
Ce projet virtuel est en fait un blog qui affiche des articles en persan (environ trois par jour), traduits directement à partir des journaux et des sites israéliens.
Le contenu traite de sujets divers comme toutes sortes d’événements à travers le pays, ainsi que sur l’art, la technologie, la politique et les divertissements en Israël. Chaque article publié est suivi d’une section de commentaires, où les Iraniens peuvent discuter du sujet en question.
Un second volet de cette initiative fournit la traduction des messages envoyés par les Iraniens à destination des Israéliens, puis relayés aux grands médias nationaux qui les publient à leur tour.
TeHTel a été fondé en 2008 par le Dr Soli Shahvar, qui dirige le Centre Ezri d’études sur l’Iran et le Golfe persique à l’université de Haïfa. Sharona Avginsaz, responsable éditorial, souligne qu’une grande partie de la communication avec les Iraniens – à la fois d’Iran et de la diaspora – se produit sur le forum du site, qui totalise près de 630 pages de fils de discussion à ce jour.
Parmi ceux-ci, de nombreux utilisateurs prétendument iraniens posent des questions sur les ressources éducatives ou le statut de demandeur d’asile en Israël, et discutent des événements actuels liés aux deux pays.
Avginsaz explique que par le biais du forum de TeHTel, les Israéliens, dont elle-même, ont été en mesure d’élargir leurs contacts avec les Iraniens sur d’autres plates-formes de communication, en particulier sur Skype ou le chat de Facebook.
Le forum de TeHTel est même devenu un outil instrumental pour la linguiste et professeur de langue perse, le Dr Thamar Gindin. Grâce au forum, Gindin est à même de connecter ses étudiants avec des Iraniens, ce qui leur permet de pratiquer la langue avec des interlocuteurs de langue maternelle farsi.
« Une partie du cours d’été de langue perse, à l’université de Haïfa, offrait aux étudiants la possibilité de dialoguer avec des Iraniens sur Skype. Le blog TeHTel de Soli m’a aidé à trouver des contacts potentiels. En fait, il y avait plus d’Iraniens intéressés que d’étudiants au cours. »
« Un double objectif a ainsi été atteint. Tout d’abord, sur le plan académique : développer leurs capacités d’expression, car nous n’avons pas assez de temps en classe pour cela. (Par ailleurs, en tant qu’enseignante, même si mon niveau de persan est excellent, ce n’est pas ma langue maternelle). Et bien sûr, le second objectif : créer des liens d’amitié entre les Israéliens et les Iraniens, sur le plan humain et personnel.
Avant la connexion avec les Iraniens, je conseille d’éviter les sujets politiques. »
Contourner la censure
Malgré la volonté affirmée et les efforts pour recréer des liens avec le peuple iranien, il existe côté iranien de sérieuses barrières qui empêchent ces initiatives de se développer pleinement.
Tout d’abord, comme en atteste l’expérience personnelle de l’auteur de ces lignes, toute initiative qui fait appel au Web est censurée par la police Internet du gouvernement iranien. Les Iraniens en contact avec des Israéliens à travers ces initiatives ont dû contourner les filtres de leur gouvernement, en utilisant un certain nombre de méthodes et de systèmes différents pour déguiser leur identification informatique iranienne. En Iran, cela se pratique couramment. Il suffit de changer l’adresse IP et le serveur proxy de l’ordinateur, ou de faire appel à un système anti-filtre comme un réseau privé virtuel.
Si cela permet aux Iraniens d’accéder aux initiatives israéliennes de rapprochement, il reste encore à surmonter deux obstacles majeurs.
Le premier est le danger réel que représente pour les Iraniens le fait de tendre la main à Israël. Bien qu’il ne semble pas exister de loi spécifique qui interdise de communiquer avec un Israélien, le risque existe bel et bien de voir le gouvernement interpréter le geste le plus bénin, par exemple de converser avec un Israélien, comme un acte d’espionnage et de complot contre l’Iran.
Une des initiatives civiles qui cherchait à établir des liens avec la population locale travaillait en étroite collaboration avec un groupe de jeunes autochtones iraniens. Les deux groupes avaient convenu de s’engager dans un acte militant mineur : écrire les mots « Pas de guerre » en persan, en hébreu et en anglais sur un mur abandonné dans leurs villes respectives.
Après cela, l’initiative israélienne a perdu la trace des jeunes hommes pendant des semaines, jusqu’à ce qu’un des Iraniens refasse finalement surface en Turquie et renoue le contact. Il leur révèle alors avoir été arrêté et emprisonné avec ses amis pour mise à exécution leur projet de graffiti. Après sa libération, il a dû fuir vers la Turquie. Aujourd’hui, il est toujours en quête d’asile dans plusieurs pays.
Le spectre du Mossad
En bref, cette réalité empêche de nombreux Iraniens intéressés à établir des liens avec les Israéliens de le faire, afin d’éviter les conséquences tragiques de la part du gouvernement.
En outre, en plus de la censure officielle, la République islamique s’engage dans des campagnes de calomnie et de dénigrement à l’égard des initiatives israéliennes de rapprochement et de leurs fondateurs. Les responsables iraniens dressent un portrait des plus noirs de celles-ci, afin de faire peur aux Iraniens et de les décourager d’entrer en contact avec elles.
Par exemple, des photos de Penhasi et de Shay, extraites de leurs comptes Facebook, ont été retouchées pour les faire passer pour des agents du Mossad en activité, et publiées par les agences de presse iraniennes à la solde des mollahs. TeHTel a également été qualifié de site de recrutement du Mossad par des organismes d’Etat.
Pourtant, ces efforts du régime pourraient bien se retourner contre lui. D’après Avginsaz et plusieurs autres Israéliens utilisateurs du portail TeHTel, plusieurs cas se seraient présentés d’Iraniens qui auraient visité le site et manifesté leur intérêt de joindre le Mossad.
Alors que l’Iran entame potentiellement une nouvelle ère dans ses relations avec le monde, en raison des négociations en cours avec les 6 puissances mondiales des E3 + 3, les initiatives civiles pourraient jouer un rôle plus pertinent pour orienter les rapports, ou au moins faire fondre les tensions, entre Téhéran et Jérusalem.
Même si la possibilité de relations formelles ne semble pas se profiler dans un proche avenir, à moins d’un virage à 180 degrés dans la gouvernance du régime, ces initiatives de rapprochement pourraient permettre de poser les jalons de telles relations au niveau local. Il serait certes présomptueux de vouloir miser sur l’orientation politique iranienne, vu son instabilité au cours du siècle dernier. Mais l’on peut supposer sans risque au moins une chose : quelle que soit l’attitude des gouvernements des deux pays, les liens d’affection entre ces deux peuples historiques ne sont pas prêts de s’altérer.  u
L’auteur est un jeune chercheur associé du Centre Ezri d’études sur l’Iran et le Golfe persique de l’université de Haïfa.
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