Médecins israéliens sans frontières

Le nouveau Centre médical de l’hôpital Sheba vise à améliorer la médecine de catastrophe et l’action humanitaire

Le professeur Eli Schwartz de Tel Hashomer, spécialiste mondial des maladies tropicales, traite un enfant au Sri Lanka après le tsunami de 2004 (photo credit: Courtesy)
Le professeur Eli Schwartz de Tel Hashomer, spécialiste mondial des maladies tropicales, traite un enfant au Sri Lanka après le tsunami de 2004
(photo credit: Courtesy)
Crises humanitaires, catastrophes naturelles et événements d’urgence majeure sont devenus monnaie courante ces dernières années dans le monde.
De 1994 à 2014, la base de données officielle d’événements d’urgence (EM-DAT) a enregistré 6 873 catastrophes naturelles à travers le globe, qui ont fait 1,35 million de victimes, soit en moyenne près de 68 000 morts par an. 218 millions de personnes ont été affectées par ces désastres naturels et humanitaires qui ont eu lieu principalement dans les pays à revenu intermédiaire et à faible revenu.
« On constate que les régions les plus affectées sont les plus défavorisées », souligne le professeur Elhanan Bar-On, directeur du nouveau Centre israélien pour la médecine de catastrophe et l’action humanitaire de l’hôpital Sheba-Tel Hashomer. « Une grande partie des dégâts est due au manque d’infrastructures, aux normes de construction médiocres et à la forte densité de population de ces régions. »
Le centre qui a récemment ouvert ses portes, a pour vocation de devenir un pôle mondial d’excellence en matière de préparation médicale et d’intervention dans les zones sinistrées. Il est le fruit de la longue tradition du centre hospitalier de Tel Hashomer en matière de secours humanitaire à l’étranger. « Cela faisait partie de la vision de Haïm Sheba d’étendre les traitements médicaux à l’extérieur des frontières israéliennes », explique le professeur Bar-On.
Du Kosovo au Rwanda
Le centre médical Sheba-Tel Hashomer a vu le jour en 1948, peu après la fondation de l’Etat d’Israël, en tant qu’ « hôpital militaire n° 5 », installé alors dans les baraques délabrées d’une caserne britannique abandonnée. Dès sa création, l’établissement s’est engagé à prodiguer des soins bien au-delà des limites du petit Etat juif. C’est ainsi qu’au fil des ans, le centre hospitalier a offert son assistance médicale, logistique et matérielle aux pays du monde entier, du Kosovo au Rwanda, en passant par l’Arménie, le Cambodge, le Sri Lanka, ainsi que les zones autour du site nucléaire de Tchernobyl en Ukraine. Pour la seule année 2017, il a apporté son soutien à la Tanzanie, au Niger, à la Mongolie, au Nigeria, au Népal et à la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Le professeur Bar-On raconte qu’une mission médicale de l’hôpital était sur place au moment de la création de la République du Congo dans les années 1960-1965, entraînant plusieurs guerres civiles qui ont fait 100 000 morts. « Après la révolution, tous les Belges sont partis, et il ne restait plus que trois médecins dans tout le Congo », explique-t-il. « Sheba a alors mis en place un hôpital qui a fonctionné pendant quelques mois jusqu’à l’arrivée des Nations Unies. Nos médecins ont accompli un travail incroyable là-bas, prodiguant souvent leurs soins au fin fond de la jungle… »
Les patients viennent à Tel Hashomer de tout le Moyen-Orient, y compris des territoires palestiniens. Selon les estimations de Bar-On, les enfants palestiniens hospitalisés en oncologie représentent 30 % des malades pris en charge par le service. L’hôpital travaille également en partenariat avec Tsahal et le Centre Péres pour la paix afin de traiter les victimes de la guerre civile syrienne. « Nous avons des patients de nombreux autres pays du Moyen-Orient dont je ne peux pas parler », confie Elhanan Bar-On.
Un quadruple objectif
Le centre s’est fixé quatre objectifs. Le premier est l’enseignement et la formation. Sheba accueille des équipes du monde entier et les prépare à faire face aux catastrophes naturelles et autres incidents majeurs. Ces équipes vont du personnel médical suivant une formation aux techniques de gestion des catastrophes, aux responsables de santé formés aux aspects organisationnels de ces situations d’urgence. Tout récemment, l’hôpital a accueilli un groupe venu de Chine. « Nous leur apprenons à pêcher plutôt que de leur fournir le poisson », insiste Bar-On, en référence à la notion chère au célèbre sage médiéval, Maimonide.
Le deuxième objectif est de préparer des équipes de professionnels médicaux prêts à être déployées dans les zones sinistrées et à fournir des soins d’urgence : sélection des patients, triage chirurgical, réanimation d’urgence, traitement des blessures et des fractures, interventions chirurgicales de première nécessité, chirurgie générale et obstétrique d’urgence, radiographies, stérilisation, laboratoire, transfusion sanguine et services de rééducation. Ces équipes doivent pouvoir opérer à la fois pendant la phase aiguë de la catastrophe et durant la phase de réhabilitation à la suite de celle-ci.
En troisième lieu, le centre fournit de l’aide humanitaire dans les régions isolées du monde entier. Si les Etats-Unis comptent en moyenne un médecin pour 400 habitants, dans certains pays de l’Afrique subsaharienne, on ne trouve qu’un médecin pour 50 000 personnes. « Le Mozambique, un pays de 2 300 kilomètres de long pour 21 millions d’habitants, totalise 12 orthopédistes, tous installés dans la capitale », explique le Pr Bar-On. « C’est comme si Israël comptait seulement cinq orthopédistes et qu’ils se trouvaient tous à Eilat. »
Enfin, Sheba a pour vocation d’être un centre de recherche. « La recherche sur les catastrophes mondiales ou l’aide humanitaire est insuffisante », affirme le professeur. « L’une des raisons est qu’au cours de la catastrophe elle-même, on n’a pas de temps à consacrer à cela. Tout le monde est occupé à traiter les patients, ce qui complique la collecte de données. »
De père en fils
La plupart des accidents de masse surviennent dans les régions les plus pauvres du globe, où il y a souvent pénurie de médecins et d’infrastructures médicales (voire gouvernementales) pour assurer les soins. D’où le besoin impérieux d’innovation en la matière. Le centre nouvellement créé travaillera donc en étroite collaboration avec le centre d’innovation médicale de Sheba et son Centre de simulation médicale, dans le but de trouver de meilleures solutions pour opérer sur les lieux des catastrophes.
Le professeur Bar-On fait partie de l’équipe de déploiement médical de Tsahal en tant que réserviste. Il a servi en Inde, à Haïti, aux Philippines et au Népal lors de désastres naturels, et a formé des secouristes d’urgence partout dans le monde, notamment au Mozambique, en Tanzanie, en Chine, au Kosovo et en Albanie. Il marche sur les traces de son père, qui était l’un des fondateurs de Sheba. Bar-On se souvient avoir accompagné ce dernier en Ethiopie, en 1962, pour opérer des victimes de brûlures et corriger des malformations congénitales. Il l’a également souvent suivi à Gaza pour soigner des patients.
Le directeur général de Sheba, le professeur Yitshak Kreiss, possède des antécédents similaires. Il a servi dans l’armée israélienne pendant 30 ans, notamment en tant que responsable de la planification et médecin chef. De 2011 à 2014, il a dirigé les missions d’aide de Tsahal dans diverses zones sinistrées du monde entier.
Bar-On et Kreiss se sont rencontrés à Haïti lors d’une mission médicale en 2010. Sur place, les médecins et bénévoles d’ONG étaient pétris de bonnes intentions, mais sans aucune notion de médecine d’urgence dans le cadre de catastrophes naturelles.
« Nous nous trouvions face à des professionnels issus des meilleures universités américaines et européennes, mais sans aucune expérience de la médecine de catastrophe », soupire Elhanan Bar-On. « Et à Port-au-Prince, on ne peut pas pratiquer la médecine de Boston. »
Bar-On fait partie d’un groupe de travail de l’Organisation mondiale de la santé récemment créé pour établir des normes de formation et de soins dans les zones sinistrées.  Sheba aura également son rôle à jouer au sein de cet organisme et a déjà conclu plusieurs partenariats avec l’armée israélienne, le ministère de la Santé, le ministère des Affaires étrangères, le Comité international de la Croix-Rouge et Médecins sans frontières.
Au cours des derniers mois, le centre a envoyé des chirurgiens en chef travailler en Tanzanie, des chirurgiens cardiaques au Nigeria, des neurochirurgiens au Niger et des oto-rhino-laryngologistes en Mongolie. Un groupe de physiothérapeutes prévoit de se rendre en Ukraine dans les mois à venir, tandis qu’une équipe d’ophtalmologistes a prévu d’effectuer des opérations de la cataracte en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Une petite flamme dans la nuit
« Notre mobilisation pour la santé mondiale, en particulier dans les régions mal desservies, est devenue notre raison d’être, non seulement car nous agissons en faveur des plus démunis, ce qui est en soi un tikoun olam (une réparation du monde), mais aussi parce que cela fait de nous de meilleurs médecins une fois de retour à la maison », insiste le professeur.
Il y aura toujours des cyniques pour affirmer que l’aide médicale d’urgence prodiguée par Israël tend à servir ses propres intérêts, mais le médecin n’a que faire de ces commérages. « L’essentiel est que nous nous rendions sur le terrain, que nous soignions les gens qui en ont besoin : vous n’avez aucune idée de la gratitude que l’on nous témoigne lorsque nous secourons ne serait-ce qu’une seule personne », ajoute-t-il.
D’aucuns remettent en question l’assistance d’Israël dans ces régions, en se demandant si les efforts de l’Etat juif représentent plus qu’une goutte d’eau dans l’océan. « Chaque individu traité a vu sa vie changée grâce à nous. Hormis cela, nous avons redonné espoir à des milliers de gens, à un moment où ils pensaient que le monde entier les avait abandonnés », conclut le Professeur Bar-On. « Là où règne l’obscurité, une seule bougie dispense une grande lumière. »
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite