Aliya française : une « montée » difficile

Alors qu’ils devraient être plus nombreux à s’installer en Israël cette année, les immigrants français rencontrent des difficultés de taille.

P16 JFR 370 (photo credit: Yohav OREMIATZKI)
P16 JFR 370
(photo credit: Yohav OREMIATZKI)
« Israël a cessé d’investir dans l’aliya ; on l’a vu en juin au moment du vote du budget 2013-2014, en première lecture. C’est grave. » Catégorique sur ce point, Yoni Chetboun, député HaBayit Hayehoudi, s’est pourtant montré optimiste le 3 juillet dernier à Tel Aviv, lors du colloque échanges et emploi : perspectives France-Israël – Europe, organisé par la Chambre de commerce et d’industrie Israël-France (CCIIF), et le Collectif franco-israélien.
« L’aliya française est de qualité, extrêmement sioniste et très satisfaisante pour le futur de l’Etat d’Israël », a réaffirmé le député de 34 ans, membre de la commission des Affaires Sociales, du Travail et de la Santé à la Knesset depuis le début de l’année. On n’en attendait pas moins de la part de ce sioniste religieux, élevé par des parents immigrants juifs français à Netanya, et autoproclamé « représentant des francophones » lors de la dernière campagne électorale, dans les rangs de Naftali Bennett.
Une aliya de qualité, soit, mais parfois hésitante sur son statut. « Au-delà de l’aliya de 50 000 Juifs français depuis 1990 (10 % de la population totale), 20 000 à 30 000 vivraient avec le statut de touriste quelques mois par an en Israël, selon les associations de nouveaux migrants », estime Dov Maimon, chercheur à l’Institut de planification d’une politique pour le peuple juif (JPPI) qui s’appuie sur une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA). « Mais potentiellement, ils pourraient passer dans les années à venir à 100 000 si les organisations juives francophones d’Israël et de France faisaient pression sur le gouvernement. »
Côté associations francophones, on est par contre loin de la carence. Le cabinet de Yoni Chetboun reçoit « pratiquement chaque semaine un appel d’une nouvelle association se présentant comme le représentant de la communauté ». Mais on peut se demander si une telle multiplicité est réellement efficace. Car les lacunes existent. Les personnes âgées d’origine française sont souvent limitées en hébreu, et au contraire d’autres communautés, rien ou presque n’est fait pour pallier ce fossé linguistique. Ne serait-ce qu’à Netanya, « comble du paradoxe, sur 40 travailleurs sociaux, seuls un ou deux sont francophones », fait remarquer Chetboun.
Les Français, lésés ? 
Autre point faible des Français : leur incapacité à s’organiser pour incarner une force à la Knesset, malgré leur nombre. « Ils se sentent tellement Israéliens qu’ils estiment ne pas avoir besoin de créer un lobby », plaisante Chetboun. « A l’inverse, l’association d’intégration des olim russes pourrait s’appeler le Misrad Haklita (ministère de l’Immigration) », juge celui qui comprend le français, mais ne le parle pas, faisant le spectacle devant une assemblée acquise à sa cause.
Pourtant, on ne peut pas dire que les Juifs de France se voient mettre des bâtons dans les roues par les autorités pour se structurer. Sur le papier, la ministre de l’Intégration Sofa Landver, née à Saint-Petersbourg (ex-Léningrad) en 1949, n’est pas défavorable à l’idée d’un lobby français, à en croire le député. « L’intérêt du nouveau gouvernement pour la communauté française existe », explique Dov Maimon. « Natan Sharansky, président international de l’Agence juive était le 20 juillet à Paris, et Oded Forer (Israël Beiteinou) vient de s’y rendre le 28 juillet ».
En définitive, avec un seul représentant au parlement contre 8 pour la communauté russophone, les francophones sont clairement lésés. Et pas seulement au niveau politique. Ils sont aussi moins bien dotés que les anglophones ou russophones, au regard des données compilées par Dov Maimon, en termes de fonds dédiés par le gouvernement israélien aux Agences juives nationales.
Ainsi, pour 2 000 olim d’origine française, ce think tank chiffre le budget de la stimulation de l’aliya de France (et non l’aide globale à l’installation des olim en Israël incluant oulpan professionnel, aide familiale…) à une somme dérisoire de 170 000 shekels, soit environ 85 shekels par personne.
En comparaison, ces fonds seraient de 35 millions de shekels pour 3 500 olim anglophones, soit environ 10 000 shekels par personnes. Et les dotations versées aux russophones sont, elles, bien supérieures, alors même qu’une grande partie de l’aliya russe est passée.
Si l’aliya russe (7 626 personnes en 2012) et celle des pays anglophones (3 389 personnes la même année rien que pour l’Amérique du Nord) sont toujours plus importantes numériquement, l’aliya française reste la plus forte au monde, en proportion du nombre de Juifs vivant en France. Le Misrad Haklita a ainsi recensé 1 907 Juifs français venus vivre en Israël en 2012, confirmant une tendance stable, autour de 2 000 personnes par an. 2013 devrait cependant être un meilleur cru : pas moins de 3 500 personnes sont attendues par le ministère de l’Immigration d’ici la fin de l’année.
Validation des diplômes français en Israël : le barrage de la langue bientôt levé ?
Pour valider un diplôme étranger, le ministère de l’Education exige un document : le « Supplément du diplôme ». Une double page décrivant en anglais le détail des matières enseignées. « Mais les universités françaises ne le délivrent pas et c’est une exception en Europe », constate Daphné Rousseau, journaliste à la radio Kol Israël. Ce document n’était jusqu’ici publié que dans un français technique, au Journal officiel : du charabia pour les services israéliens.
Lors de la dernière enquête réalisée en 2012, 82 % des universités françaises déclaraient pourtant délivrer ce sésame sur demande, et 69 % spontanément. Les faits sont décidément plus têtus.
« Après un premier refus du secrétariat des diplômes de Paris IV – La Sorbonne de délivrer le supplément correspondant à mon master de journalisme, spécialité radio, au CELSA, à Paris, je me suis tournée vers Alain Zeitoun et Gérard Benhamou du Collectif franco-israélien », explique Daphné Rousseau. « Ils travaillent depuis plusieurs mois à lever ce blocage. La direction du CELSA (Paris IV – La Sorbonne) a été mise au courant de la situation via la Conférence des présidents d’université (CPU), et j’ai reçu le document en moins d’une semaine ».
« Ce que ça va changer ? A la radio publique, les grilles de salaires varient selon les diplômes. Jusqu’à ce jour, je n’étais donc pas considérée comme “journaliste diplômée”. Par ailleurs, le Bitouah Leoumi (assurance chômage) m’aurait indemnisée à l’échelon le plus faible en cas de licenciement, c’est-à-dire comme une employée n’ayant pas même le baccalauréat. »
Sensible au problème, Christophe Bigot, actuel ambassadeur de France en Israël qui termine son mandat fin août, a annoncé qu’un budget serait affecté prochainement pour aider les associations sur les aspects techniques de la reconnaissance des diplômes. Et un cycle de formation pour la traduction du contenu des diplômes paramédicaux devrait, lui, bientôt commencer.