Gaza : les lendemains qui déchantent

Pour Israël et le Hamas, c’est maintenant l’heure des comptes. La disproportion qui caractérise les combats se déplace désormais sur le plan économique et politique.

Jeune Palestinien de Beit Lahiya devant son immeuble en ruine (photo credit: REUTERS)
Jeune Palestinien de Beit Lahiya devant son immeuble en ruine
(photo credit: REUTERS)
«Un temps pour détruire et un temps pour construire », disait le roi Salomon
Le temps d’une telle transition à Gaza est sans nul doute arrivé. Mais la ville côtière, mise à sac et rebâtie de nombreuses fois au cours de ses 3 500 années d’histoire, est sur le point de découvrir que, tout comme la dernière guerre qu’elle a provoquée, sa reconstruction économique et politique sera, à coup sûr, disproportionnée par rapport à Israël.
L’accalmie doit encore se transformer en un arrangement à plus long terme. Cependant, tandis que les négociateurs discutent au Caire, cette dernière série de violences semble perdre du terrain, et l’évaluation préliminaire des dommages indique que l’impact des combats sur l’économie israélienne reste, somme toute, marginal.
La preuve la plus flagrante de la défaite économique du Hamas a été l’introduction réussie, la semaine dernière, à la bourse de New York, de MobilEye, l’inventeur israélien d’une – quelle ironie ! – technologie de prévention des collisions. Avec 1,02 milliard de dollars recueillis, pour une entreprise évaluée à 5,3 milliards de dollars, c’est le placement d’actions le plus sensationnel jamais atteint par une société israélienne à l’étranger. Et ce, dans la chaleur des combats dans la bande de Gaza.
Une guerre à moindre coût
Le succès de MobilEye, remarquable même en dehors de ce timing particulier, reflète non seulement le peu de cas accordé par les investisseurs américains à la menace du Hamas sur leurs capitaux, mais aussi une transformation radicale de l’économie de guerre d’Israël.
Pendant les grandes guerres conventionnelles de 1967 et 1973, la population israélienne atteignait à peine la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui. L’économie ne représentait qu’une fraction de ses chiffres et de sa diversité actuels. Quant aux champs de bataille, ils exigeaient des centaines de milliers de réservistes, un recrutement massif qui paralysait presque l’économie du pays.
Dans ce dernier combat, en revanche, l’armée israélienne s’est contentée de 86 000 soldats de réserve, un nombre qui a peu affecté l’économie globale.
Si l’économie et la population sont en pleine expansion ces quatre dernières décennies, le champ de bataille, lui, s’est réduit d’autant. Par le passé, l’armée israélienne avait, face à elle, des pays entiers et plusieurs armées conventionnelles. Aujourd’hui, elle se trouve confrontée à une guérilla limitée à un étalement urbain.
Certes, la localisation et les tactiques du Hamas ont donné lieu à de nouveaux défis militaires, mais, sur le plan économique, le coût de la guerre est moindre par rapport aux conflits antérieurs. Le titre alarmiste d’un journal à sensation cette semaine, affirmant que la guerre de cet été avait été la plus coûteuse de l’histoire de l’armée israélienne, ne pouvait pas être plus éloigné de la vérité.
L’interception de près de 500 roquettes par le Dôme de fer pendant toute l’opération se monte à 50 millions de dollars. Les centaines de sorties de la force aérienne et les munitions utilisées, les obus d’artillerie et de blindés, ainsi que les heures de fonctionnement des moteurs et l’enrôlement des réservistes coûtent certes très cher : les fonctionnaires du Trésor en évaluent la charge à environ 4,5 milliards de shekels. Pourtant, cela reste sans commune mesure avec les pertes de la guerre du Kippour : des centaines de chars et d’avions de chasse, et l’enrôlement de centaines de milliers de réservistes, souvent pour six mois.
Le tourisme, la première victime du conflit
De toute évidence, pourtant, l’opération Bordure protectrice nuit à de nombreux pans de l’économie. La principale victime est l’industrie du tourisme. Selon les estimations, le tourisme entrant, pour les derniers six mois de l’année, se verra réduit de moitié, et un cinquième des employés de l’hôtellerie devrait être mis à pied. Le chiffre d’affaires de l’ensemble de l’industrie hôtelière, qui a pourtant bénéficié l’an dernier d’un chiffre record de 3,54 millions d’arrivées en Israël, atteignait 2,7 milliards de dollars, ce qui ne représente que 1,2 % du produit intérieur brut du pays.
Les principales victimes microéconomiques ont été les usines et les entreprises des endroits les plus intensément visés. Le commerce dans des villes comme Ashdod et Ashkelon a évidemment fortement ralenti ces quatre dernières semaines. De même, la production industrielle a diminué parfois jusqu’à 30 %, en raison des perturbations des livraisons et de l’absence de certains travailleurs.
Pourtant, l’Association des fabricants d’Israël estime que les bénéfices industriels à l’échelle nationale n’ont baissé, au cours des combats, que de 8 % tout au plus.
Parallèlement, les agriculteurs du Sud du pays, dont les récoltes ont pourri parce qu’ils ne pouvaient pas se rendre aux champs, ont subi de lourdes pertes à titre individuel. Cependant, collectivement, on estime les pertes à 50 millions de shekels.
Les chiffres étant ce qu’ils sont, les indemnités du Trésor à titre de compensations aux victimes économiques de la guerre sont, dans l’ensemble, abordables. On est déjà en train d’en calculer le montant et la distribution est en cours. Le principe établi veut que les entreprises situées dans un périmètre de 40 kilomètres de la frontière de Gaza obtiendront un montant supérieur. Les hôtels recevront une aide indépendamment de leur emplacement.
En tout, le gouvernement va probablement dépenser 1 milliard de shekels en mesures d’indemnisation, estimait cette semaine le directeur de l’administration fiscale, Moshé Asher.
La gestion économique du Hamas
L’homologue de Moshé Asher au sein du Hamas, s’il existe, doit encore sortir de son trou pour expliquer aux habitants de Gaza, qui ont perdu leurs maisons et leurs entreprises, comment leur gouvernement a l’intention de les aider à retomber sur leurs pieds.
Les dégâts à Gaza se montent clairement à des milliards de dollars, mais il va falloir un certain temps pour voir émerger des chiffres exacts et impartiaux.
Avec ses milliers de maisons rasées et ses infrastructures en eau, électricité et traitement des eaux usées encore plus insuffisantes qu’avant le début des combats, Gaza a soif d’une reconstruction massive.
Là encore, la bande côtière de 365 kilomètres carrés requiert une véritable opération chirurgicale en matière économique depuis des années, mais certains ont tout fait pour bloquer activement l’arrivée du chirurgien.
Gaza est isolée depuis près de dix ans maintenant, depuis le retrait d’Israël en 2005. Durant tout ce temps, les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon et la Chine brûlaient de l’aider à construire une économie viable, une tâche relativement facile.
Compte tenu de son emplacement en bord de mer, de son sol fertile et de sa main-d’œuvre qualifiée, Gaza peut développer une agriculture, une industrie et un tourisme solides afin de nourrir honorablement ses quelque 1,8 million d’habitants.
Toutefois, le Hamas a entraîné l’Egypte et Israël à fermer ses frontières, et dissuadé dans le même temps les grands investisseurs étrangers de procurer du travail à sa population.
Il a préféré investir dans les roquettes, les tunnels et les bandes armées : c’est maintenant évident. Il ne fait aujourd’hui aucun doute que le Hamas préfère la lutte à la prospérité. La prospérité ne faisait pas du tout partie de ses objectifs, au contraire elle frisait l’anathème, dans un gouvernement qui voulait se servir d’une population disponible et prête à aller au combat.
Changer cette attitude est désormais le défi qui attend la communauté internationale, dont l’objectif est d’aider une nouvelle bande de Gaza à émerger des ruines de l’ancienne.
Le retour de l’AP ?
Les chances de voir le Hamas changer son fusil d’épaule et embrasser un programme civil sont des plus minces. Au lieu de cela, le Hamas réclame l’argent du Qatar et de la Turquie ainsi que l’ouverture des frontières et de nouveaux ports. De cette façon, il pourra superviser juste un minimum de reconstruction pour contenir la colère publique, tout en reprenant ses lourdes dépenses pour la guérilla et le terrorisme.
Mais ce scénario n’est pas prêt de se réaliser. Le Hamas va l’apprendre à ses dépens. Avec son entrée en guerre, il a perdu ses atouts diplomatiques.
Le Hamas va avoir du mal à digérer la proposition européenne d’établir un dispositif international pour financer et superviser la reconstruction de Gaza par l’Autorité palestinienne, tout en empêchant les importations et les installations militaires. Mais c’est bel et bien la direction que semblent vouloir prendre les affaires.
Huit ans après avoir fait tomber les hommes du chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas des toits de Gaza, les voilà qui émergent bientôt de sous les décombres.
Un autre ennemi du Hamas, l’Egypte, va se retrouver en outre fortement impliqué dans l’avenir du territoire, rôle que le Hamas lui a déjà accordé à contrecœur en acceptant la médiation du Caire.
Enfin, le Hamas se retrouve isolé sur le plan diplomatique, car les derniers alliés qu’il lui reste, la Turquie et le Qatar, sont éloignés géographiquement et ne sont pas en mesure de rivaliser politiquement avec l’Egypte et l’Arabie Saoudite dans l’élaboration des affaires interarabes.
S’ils ne veulent pas tout perdre, les dirigeants de Gaza doivent maintenant accepter un effort de reconstruction sur lequel ils n’auront aucun contrôle et ne pourront donc pas le détourner à leur profit.
Nos enfants ou ceux de l’ennemi
Parallèlement, alors que les combats s’estompent, certains estiment qu’Israël aussi émerge de sous les décombres de Gaza affaibli au plan diplomatique. Ils ont tort.
Les remontrances de la Maison-Blanche, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et du président français François Hollande adressées à Israël, n’offrent pas matière à rire. Tous étaient sincèrement concernés par ce qu’ils ont dénoncé.
En Israël également, l’opinion publique dans son ensemble regrette les pertes civiles des récents combats.
La différence réside dans les conclusions tirées par les Israéliens : tel est le prix de combats disproportionnés. Et ce sont nos enfants ou ceux de l’ennemi. Reste à convaincre ceux qui ne vivent pas sous les roquettes et au-dessus des tunnels du bien-fondé de cette analyse.
Israël sort donc de Gaza avec un défi de sensibilisation à relever, qu’il lui faudra traiter dans le cadre d’une guerre disproportionnée, et auquel il lui faudra répondre avec la même ingéniosité qui a produit le Dôme de fer et le même esprit combattant qui a fait tomber les tunnels.
Ce front comporte trois volets : la diplomatie, le droit et les médias. Dans tout cela, Israël aura deux objectifs majeurs : d’abord, débarrasser le Hamas de son aura de libérateur national et le présenter plutôt comme un oppresseur fondamentaliste, partie intégrante d’une ligne qui s’étend de Boko Haram au Nigeria, en passant par le Hezbollah libanais, l’Etat islamique d’Irak, et les ayatollahs iraniens jusqu’aux talibans afghans et aux Ouïghours de Chine. Le fait qu’ils soient tous en désaccord les uns avec les autres ne les empêche pas de partager un islamisme qui fait figure d’anathème aux yeux du reste du monde, des Etats-Unis à l’Europe en passant par la Chine, l’Inde et l’Afrique.
Deuxièmement, Israël va devoir déplacer le débat du « qu’avez-vous fait ? » au « que pouvait-on faire ? ». Entraînés en Iran, les ennemis d’Israël ont transformé le champ de bataille de telle sorte que le droit international et les doctrines militaires occidentales ne peuvent pas s’appliquer.
La révision des lois de la guerre pourrait donc ressortir des récents combats en tant qu’objectif israélien, tout comme les solutions militaires pour isoler les armes implantées parmi les populations civiles.
L’efficacité avec laquelle Israël va se battre sur ce front reste à prouver, mais une image plus large au plan diplomatique devrait finir par apparaître au grand jour, quoi qu’il en soit.
Oui, les canons de l’été 2014 ont suscité quelques frayeurs au sein des relations étrangères d’Israël, mais une fois la poussière retombée, deux principes fondamentaux subsisteront : le monde non musulman doit faire face à un fléau appelé l’islamisme, et l’Occident se trouve confronté à un stratagème appelé guerre disproportionnée que l’on devrait rebaptiser « combat déloyal ».
Tandis que la compréhension de ces faits sinistres gagne du terrain, la tentative de présenter Israël comme partie prenante du problème cédera alors la place à son acceptation comme partie pleine et entière de la solution.
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