A chacun son plan. Ou presque…

Livni, Lapid, Liberman, Bennett: chacun est allé de son programme de l’après-guerre, une voix tarde à se faire entendre : celle de Bibi.

Rencontre Netanyahou Gantz Yaalon (photo credit: KOBI GIDEON/GPO)
Rencontre Netanyahou Gantz Yaalon
(photo credit: KOBI GIDEON/GPO)
Cela n’a étonné personne : le cessez-le-feu de 72 heures, expiré mercredi dernier à minuit, a bel et bien été précédé et suivi de tirs de roquettes sur Israël. Ce fait même ne devrait-il pas nous surprendre ?
Pourtant, si l’opération Bordure protectrice, qui a duré plus d’un mois, nous a appris quelque chose, c’est bien que la logique à laquelle nous sommes habitués ne s’applique pas dans ce combat particulier.
On pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le Hamas, pilonné par l’armée israélienne, après avoir semé la mort et la destruction à Gaza, mis au ban par la plupart des nations (même au sein du monde arabe, à l’exception de l’Iran, du Qatar et de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan) souhaite un cessez-le-feu dès le 15 juillet. A défaut, au moins à partir du 20 juillet. Sûrement à l’aube du 1er août. Sinon au moins le 4 août, et ainsi de suite…
A chaque fois, ceux qui pensaient que le Hamas allait céder, comme le chef d’état-major de Tsahal, le général Benny Gantz avec son envolée lyrique invitant les habitants du Sud à rentrer chez eux après un cessez-le-feu, n’ont pas manqué d’être surpris.
« Nous avons un été torride. L’automne viendra bientôt. La pluie lavera la poussière soulevée par les chars », déclarait Gantz dans un discours qui sonnait presque comme une version moderne du Cantique des Cantiques. « Les champs reverdiront, et le Sud sera de nouveau moucheté de rouge – au sens positif du terme – celui des anémones, des fleurs et de la stabilité, pour les nombreuses années à venir. »
Un tel degré d’obscurité
Ces mots de Gantz prononcés le 6 août, au lendemain de la déclaration d’un cessez-le-feu de trois jours, brisé deux jours plus tard par le Hamas qui refusait une autre trêve, se sont dispersés aux quatre vents.
Jusqu’au moment où plus personne ne semblait s’attendre à quoi que ce soit.
Mercredi à 14 h 30, neuf heures et demie avant l’expiration du dernier cessez-le-feu, le ministre du Renseignement Youval Steinitz tenait une conférence de presse. « Nous ne savons pas encore ce qui va se passer », déclarait-il, incertain.
Félicitations à Steinitz pour son honnêteté. Ce qui est troublant, cependant, c’est qu’il ne s’agit pas là d’un simple quidam interrogé au détour d’un trottoir pour donner son opinion sur les événements. Il s’agit bien du ministre du Renseignement, un homme au cœur des délibérations du cabinet de sécurité (certes sans droit de vote), considéré comme un proche du Premier ministre Binyamin Netanyahou.
Que Steinitz ne puisse pas envisager la réaction du Hamas après les douze coups de minuit, au terme du cessez-le-feu de 72 heures, illustre tout à fait le degré d’obscurité dans laquelle le gouvernement semble tâtonner vis-à-vis des plans et tactique de l’organisation terroriste. La logique du Hamas n’est pas notre logique, et l’aune à laquelle l’organisation terroriste mesure le succès est très différente de la nôtre.
Tout cela rend la guerre actuelle bien difficile à interpréter, même pour les spécialistes au sommet.
Relents rouge brun, vert brun
ou brun tout court
L’imprévisibilité des décisions du Hamas par rapport aux cessez-le-feu n’est pas le seul élément de ce conflit particulier à se situer à contre-courant, en dépit du bon sens. D’autres aspects défient les règles établies à l’aube de cette guerre inattendue.
Par exemple, la réaction de l’Europe. Non, pas les manifestations antisionistes et antisémites dans les rues de nombreuses villes européennes, plus ou moins prévisibles ! Mais plutôt, les réactions de gouvernements clés comme ceux de l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Angela Merkel en Allemagne, David Cameron en Grande-Bretagne et François Hollande en France ont accordé à Israël une certaine latitude diplomatique pour poursuivre le Hamas, ce qui, au départ, n’avait rien d’évident.
Et ce, en dépit d’abominables et nauséabondes manifestations anti-israéliennes, parfois violentes, dans les capitales de leur pays.
« La critique au niveau gouvernemental, en Europe, s’est avérée, la plupart du temps, bien moindre que ce qu’elle était dans la rue, où les manifestations ont souvent pris un ton antisémite », a déclaré Aviv Shir-On, directeur général adjoint pour l’Europe occidentale au ministère des Affaires étrangères, récemment nommé à ce poste.
« Les gouvernements ont fait preuve de retenue et de compréhension vis-à-vis de l’opération Bordure protectrice. »
Pourtant, selon Shir-On, malgré toute la compréhension affichée par les gouvernements européens, une fois ce conflit terminé, l’Europe va devoir faire face à deux phénomènes mis en lumière par les manifestations anti-israéliennes.
Tout d’abord, les gouvernements, la justice et les médias vont devoir s’attaquer à cette nouvelle prise de conscience : il y a en Europe une tendance antisémite plus large, plus profonde et plus troublante que l’on pouvait croire jusque-là.
« L’antisémitisme évident apparu dans ces manifestations doit certes préoccuper Israël, mais aussi les Européens eux-mêmes », affirme Shir-On, diplomate chevronné, ancien émissaire d’Israël en Suisse et plus tard en Autriche, pas du tout du genre à sombrer dans l’amalgame facile entre la critique légitime envers la politique israélienne et l’antisémitisme. Mais, pour lui, ce que l’on a aperçu dans les rues européennes le mois dernier efface la frontière souvent floue entre la critique légitime et celle aux relents rouge brun, vert brun ou brun tout court.
Dans les villes et les villages
La taille des manifestations, fait-il également remarquer, était différente de celle observée par le passé : on parle désormais de milliers et non plus de centaines, ce qui atteste de la présence croissante de la population musulmane en Europe, à la base de cette vague de contestations. Et quand les manifestations prennent une telle ampleur, la couverture médiatique va de pair et cela crée une certaine atmosphère très problématique pour Israël.
Shir-On souligne aussi qu’un grand nombre de Turcs ont participé à de nombreuses manifestations européennes, incités en bonne partie par les propos antisémites et antisionistes du président Erdogan.
Le second phénomène auquel l’Europe va devoir faire face est l’importation du conflit au Proche-Orient dans ses villes et villages, et ce, en dépit des souhaits de ses dirigeants. Pas seulement sous la forme classique d’affrontements entre Juifs et Arabes, comme à Paris, au début du conflit.
Mais plutôt avec tous ses aspects politiques, culturels, sociologiques et économiques qui montrent que l’islamisme mondial est en train de gagner là aussi du terrain.
« La menace posée par l’EIIL (l’Etat islamique formé par un groupe terroriste) concerne tout le monde », poursuit Shir-On. « Je pense que les manifestations anti-israéliennes sont une démonstration de force pour les extrémistes, et cela devrait sonner l’alarme. »
Le silence de Bibi
Autre sous-produit assez inattendu de l’opération Bordure protectrice : l’apparition de plans d’après-guerre soumis par plusieurs dirigeants politiques israéliens ces derniers jours.
La ministre de la Justice Tzipi Livni, le ministre des Finances Yaïr Lapid et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman ont tous présenté la semaine dernière les grandes lignes de projets à mettre en place après l’arrêt des combats.
Celui de Tzipi Livni comporte, entre autres, les éléments suivants : le retour du « contrôle effectif et légitime » à long terme de l’Autorité palestinienne sur la bande de Gaza, à commencer par celui des postes frontières alloué aux responsables de l’Autorité palestinienne ; le désarmement de Gaza de toutes les armes illicites ; et la reprise des négociations de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne. Au cours de ces pourparlers, « nous discuterons avec eux de tout ce qui a trait à la bande de Gaza : un port maritime, un aéroport et tout ce qu’il faut pour parvenir à un accord-cadre dont la finalité est un plan de paix définitif. »
Le plan de Yaïr Lapid prône, lui, la tenue d’une conférence internationale à laquelle participeraient les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Jordanie, dont l’objectif serait la démilitarisation de la bande de Gaza et le transfert éventuel du contrôle à l’Autorité palestinienne. Il prévoit, entre autres, le retour du contrôle des postes frontières à l’Autorité palestinienne ; le fait d’accorder à cette dernière la responsabilité totale de la réhabilitation de la bande de Gaza, en tant que seul organisme responsable de la gestion des fonds de réhabilitation ; et d’assurer la démilitarisation du territoire.
Si les projets de Lapid et de Livni s’appuient fortement sur le président Mahmoud Abbas, Liberman disqualifie le leader de l’Autorité palestinienne et prêche la tenue d’élections au sein de l’AP, pour désigner celui qui aura une vraie légitimité et la pleine autorité pour mener à bien les négociations.
Le plan du ministère des Affaires étrangères est de renverser le Hamas, d’organiser des élections palestiniennes et de travailler ensuite à une « solution régionale globale », et non pas à des négociations israélo-palestiniennes du style Oslo. Pour lui, Israël n’est pas en conflit avec les Palestiniens, mais plutôt avec le monde arabe. Et ce conflit comporte trois dimensions : les pays arabes, les Palestiniens et la « double identité » des Arabes israéliens.
A son avis, ce qu’il faut, c’est résoudre globalement – ou selon ses dires, « organiser les relations entre Israël et ces trois dimensions en même temps ».
Ce qui est surprenant, ce n’est pas la présentation de ces plans, ou même le fait qu’ils illustrent de profondes divergences au sein de la coalition en place. Ce qui est inattendu, c’est que tous les ténors ont fait entendre leur voix… à l’exception de Netanyahou.
Et, selon une source diplomatique de premier rang, ce que de nombreux décideurs clés de la communauté internationale sont impatients d’entendre, c’est bien ce plan-là. D’après lui, la seule façon pour Israël de regagner une partie des points perdus sur la scène internationale ces dernières semaines, suite aux images de carnage diffusées tous les soirs sur les écrans du monde entier, serait de lancer un programme qui présente une vision globale pour Gaza et la Judée-Samarie. Liberman a un plan, tout comme Livni, Lapid et même le ministre de l’Economie Naftali Bennett, bien qu’il ne l’ait pas dévoilé cette semaine.
Seul celui de Netanyahou tarde à venir. Dommage, car c’est celui qui aurait le plus de poids. 
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