Le fils prodigue du Hamas, à Tel-Aviv

L’ancien agent double, surnommé le Prince vert, a accordé un entretien exclusif au Jerusalem Post

hamas (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
Mossab Hassan Yousef s’installe confortablement sur son siège. A le voir assis dans ce café bourgeois du centre commercial Dizengoff, à Tel-Aviv, sirotant de l’eau et bavardant dans un anglais courant, on n’imagerait jamais que ce jeune homme d’à peine trente ans, vêtu d’un élégant costume gris, soit le fils du fondateur du Hamas, Hassan Yousef, l’un des plus grands noms du terrorisme du siècle dernier.
On dirait plutôt une star de cinéma. Le plus jeune des Yousef, qui vit aujourd’hui à Los Angeles, était autrefois considéré comme l’un des grands hommes du Hamas, élevé dans un environnement islamiste et radical, à la violence et la haine inconcevables pour la plupart des Occidentaux. Il grandit à Ramallah, et prend part à toutes les activités du Hamas, en tant que bras droit de son père.
Il connaît à la fois l’organisation islamiste radicale et sa rivale laïque-nationaliste, le Fatah.
Mais les années passant, le jeune homme se prend à s’interroger sur les valeurs qui lui ont été inculquées et le sens de son existence. Durant un bref passage dans les prisons israéliennes, il se décide à risquer sa vie en devenant espion du Hamas pour le compte du Shin Bet (Agence de sécurité intérieure israélienne). Il sert d’agent secret pendant dix ans, déjouant des attaques terroristes et permettant l’arrestation de nombreux leaders du Hamas, y compris son propre père.
Parallèlement à sa remise en question nationaliste, il entame un renouveau religieux en substituant à son éducation islamique sa nouvelle foi chrétienne : il sera secrètement baptisé sur la plage de Tel-Aviv par un touriste étranger.
La meilleure hasbara au monde
Décidant un beau jour qu’il n’en peut plus, Yousef s’enfuit aux Etats-Unis et devient réfugié politique. Il travaille aujourd’hui à l’adaptation sur grand écran de son bestseller, Fils du Hamas, qui raconte par le menu sa carrière d’espion. Le récit de Yousef semble tout droit sorti d’un James Bond. Comme cette histoire incroyable où le Shin Beth envoie l’armée l’arrêter, tout en l’en avertissant afin qu’en échappant à Tsahal, il puisse maintenir son image d’homme recherché et consolider sa couverture de combattant islamiste.

Après plus de 6 ans à l’étranger, il revient finalement sur sa terre natale en repérages pour son film, qu’il veut tourner à Jérusalem-Est. Ramallah est, bien entendu, hors de question.
En attendant Yousef, qui passe la journée avec son ancien contact du Shin Bet, Gonen Ben-Itzhak, le député Likoud et leader de la communauté druze Ayoub Kara tente d’expliquer son retournement de loyauté. Yousef, avance le parlementaire, est le meilleur ambassadeur d’Israël dans le monde. En tant que palestinien et ancien membre du Hamas, il peut dire la vérité, comme aucun Israélien ne peut le faire sans susciter l’incrédulité.
Et c’est pourquoi Kara lui-même, dit-il, en tant qu’arabophone non juif est un porte-parole si efficace pour son pays auprès du monde arabe. Yousef, dont la longue silhouette et les cheveux flottants en font un homme fort différent de celui qui est parti il y a six ans, se verrait bien profiter de son séjour en Israël, “faire du vélo, du sport et aller à la plage”.
Mais Kara a d’autres projets pour lui. Des discours devant des assemblées politiques, universitaires et médiatiques sont prévus. Yousef hausse les épaules et explique ne pas avoir de message politique. Il se verrait bien, lui, “vivre au jour le jour”, mais il ne veut pas “dire non” lorsqu’on lui demande de raconter son expérience. “Dans quelques jours”, espère-t-il, “je pourrai me détendre”.
Un voyageur - presque - comme les autres
Apatride, il est interrogé des heures durant lors de son arrivée en Israël, il y a quelques jours. Les officiers de sécurité ne savent que faire de ce Palestinien qui arrive sans visa et sans s’annoncer à l’aéroport Ben Gourion. C’est du moins l’histoire qui circule dans les médias, et que la presse palestinienne a reprise.
Mais Yousef et Mendi Safadi, l’assistant de Kara, avancent une autre version. “J’ai attendu près d’une heure. Ils étaient confus et essayaient de comprendre pourquoi un Palestinien d’origine arrivait par Ben Gourion (et non par Amman)”, explique le jeune homme. Et Safadi d’ajouter que Yousef n’est pas un citoyen américain, ses papiers attestant de sa domiciliation aux Etats-Unis n’étant pas suffisants pour les autorités israéliennes. Mais en fin de compte, une fois l’imbroglio bureaucratique éclairci, les officiers l’ont “chaleureusement” accueilli, note Yousef. Les forces de sécurité avaient surtout à coeur que, pour sa propre sécurité, il ne se rende pas à Ramallah.

S’inquiète-t-il de sa sécurité, ici à Tel-Aviv ? Yousef répond, moqueur, en demandant au journaliste s’il est lui-même nerveux d’être assis en sa compagnie. “Pourquoi aurais-je peur ?” interroge-t-il. On se risque prudemment à lui rappeler que certains vétérans du Hamas le voudraient mort, mais il répond ironiquement : “Vraiment ? C’est étonnant.
Beaucoup de membres du Hamas vous haïssent, vous, en tant que juif et israélien. Nous sommes donc dans le même bateau. Si vous n’avez pas peur, je n’ai pas à être effrayé”.
Son séjour en Israël s’est décidé à la dernière minute.
Deux semaines seulement avant son départ. “Je discutais avec mon producteur de mon souhait de tourner en Israël.
L’un de mes objectifs est d’attirer l’attention sur les impératifs de la sécurité israélienne, et sur le drame humain qui se joue à cause du conflit. Je pense que Fils du Hamas fera la lumière sur des faits que le monde ignore. C’est du moins mon rêve”.
Alors que son producteur, israélien, l’invite à venir, il réserve son billet immédiatement et appelle Ben-Itzhak, qui contacte Kara afin de faciliter sa venue. Selon ce dernier, de nombreux politiciens israéliens avaient déjà invité Yousef, mais celui-ci a toujours refusé.
La profession de foi des hommes du Hamas
L’ancien agent du Shin Bet reste cependant ouvert à l’idée d’une citoyenneté israélienne. “Ce serait un grand honneur pour moi”, dit-il. “Je ne dirais pas non à une chose pareille”. De tels propos qui sont évidemment aux antipodes de la haine dans laquelle il a été élevé.

Dans son livre, le Prince vert - son surnom en référence à la fois à l’islam et à sa filiation - il dresse un portrait nuancé et parfois sympathique de sa famille. Sans chercher à les blanchir, il humanise des hommes aux horribles crimes de guerre pour faire entrer ses lecteurs dans un monde qu’ils seraient incapables de comprendre autrement.
Comme il l’explique, les membres du Hamas ne se perçoivent pas comme des terroristes. Ils se battent pour des valeurs auxquelles ils croient. Il raconte avoir luimême cru en ces valeurs.
“Mais j’ai progressivement commencé à les interroger.
Cela n’est s’est pas fait du jour au lendemain, cela a pris plusieurs années. J’ai mis longtemps à comprendre que je n’étais pas là où je voulais être et que j’avais de bien plus grandes ambitions que de devenir un terroriste du Hamas”.
Yousef est alors entièrement intégré au monde du radicalisme et du nationalisme islamiques et ne comprend pas ce qu’était Israël. “A l’époque, je vivais en Judée-Samarie en étant impliqué dans toutes sortes d’opérations.
Je n’avais jamais vécu en Israël ni appris à connaître des Israéliens, à part mes contacts du Shin Bet.
Honnêtement, nous n’avions jamais eu l’occasion de découvrir la culture juive ou israélienne. Le but était que je devienne un terroriste du Hamas. Donc, tout mon entourage était le Hamas, même lorsque je rencontrais les services secrets israéliens”. Aujourd’hui, après avoir connu la communauté juive des Etats-Unis au cours de ses conférences, et après avoir passé du temps dans une culture moins limitée que celle du monde islamiste, il a le sentiment de connaître Israël bien mieux qu’il n’en aurait été capable auparavant. Il voulait “voir Israël avec la sagesse et les connaissances que j’ai acquises à l’étranger. C’est vraiment un pays incroyable. En marchant dans la rue, j’ai l’impression de connaître tout le monde.”
Le conflit ? Un choc d’idéologies
Il répète ne pas avoir envie de parler politique, mais reconnaît tout de même que le récit historique palestinien n’est pas aussi exact que ce qu’on lui a enseigné. “Le droit historique d’Israël sur cette terre est évident et clair comme de l’eau de roche pour quiconque sait lire. Il n’y a pas besoin d’être un historien pour comprendre la vraie histoire de cette terre et le droit historique d’Israël à y exister”. Le conflit, pense-t-il, “n’est pas un problème palestinien, mais résulte d’un choc d’idéologies entre le totalitarisme et les sociétés démocratiques de la région”. Et de continuer : “Les valeurs d’Israël sont totalement différentes de ses voisins et c’est là que le conflit commence.
Pour moi, ce n’est pas un conflit israélo-palestinien. Cela prend ses racines dans toutes les régions alentour”. Yousef espère néanmoins que les voisins d’Israël pourront apprendre à apprécier l’expérience de l’Etat hébreu et en prendre de la graine afin de faire naître la liberté et la prospérité dans la région. La solution au conflit ne viendra, selon lui, que lorsque les gens auront le courage de dire la vérité. Et il se bat lui-même “pour donner l’exemple”.
“J’aimerais tant que mon peuple puisse voir où j’en suis aujourd’hui et comprendre qu’il est possible pour chaque individu de la région de réaliser ses rêves de la bonne façon et non en tuant et détruisant”. Yousef ne fait pas dans l’angélisme non plus. Il connaît les difficultés inhérentes à une paix avec les Palestiniens, mais espère que les défis seront un jour surmontés par des hommes de bonne volonté. “L’Autorité palestinienne ne peut pas encore se qualifier de vraie partenaire pour la paix”, souligne-t-il.
En dépit de la couverture positive de sa visite dans les médias juifs et israéliens, le Prince vert sait que son message ne pénètre pas dans l’opinion arabe et s’en attriste. Il espère néanmoins que ses actions inspireront le changement et qu’un jour la solution à cet interminable conflit viendra. S’il a pu changer, conclut-il, tout le monde le peut.