Iran : un gâchis imperial

La monnaie en chute libre de l’Iran révèle de sérieuses fissures économiques et d’intenses rivalités politiques

Iran : un gâchis imperial (photo credit: Reuters)
Iran : un gâchis imperial
(photo credit: Reuters)
Mercredi 3 octobre, alors que les manifestants se confrontent aux forces de police devant le marché de Téhéran, les observateurs et spécialistes s’interrogent. Les protestations ne sontelles basées que sur la chute de la monnaie nationale ou reflètent-elles un malaise plus profond, issu de la politique économique du président Mahmoud Ahmadinejad ? “La chute libre du rial est due à une mauvaise gestion du président, alliée aux conséquences des sanctions internationales”, affirme l’expert Ali Alfoneh, de l’Institut American Enterprise basé à Washington. “La population iranienne blâme toutefois en premier lieu le régime. Après tout, l’application des sanctions fait suite à une faille dans la gestion des affaires étrangères du pays.”
Le taux de change officiel de l’Iran s’est maintenu à 12 260 rials pour un dollar, durant des années. Mais lundi 1er octobre, le taux a chuté et affiché 34 500 rials pour un dollar. Le lendemain, le taux indexé faisait état de 35 000 rials pour un dollar.
Jusqu’à présent, l’Iran tenait tête aux sanctions occidentales et clamait que la République islamique ne capitulerait jamais.
Les revenus issus de la vente de pétrole représentent pourtant près de 70 % de son chiffre d’affaires, mais le régime n’avait de cesse d’assurer que l’économie du pays ne souffrirait pas des embargos des Etats-Unis et de l’UE. Son plan de sauvetage : se tourner vers d’autres marchés comme ceux de l’Inde ou de la Chine ; et s’appuyer sur les quelques milliards de dollars en devises étrangères qui sommeillent dans ses réserves.
Ahmadinejad en porte-à-faux
Force est de constater cependant que la valeur du rial ne cesse de baisser et que l’économie iranienne s’effondre. Ahmadinejad fait dès lors face à une pression constante.
Mardi 2 octobre, il incriminait tour à tour l’organisation des Gardiens de la révolution islamique, le pouvoir judiciaire et les législateurs ; les désignant comme les responsables de la situation.
Le président iranien avait promis haut et fort de résoudre les problèmes économiques de son pays à son arrivée au pouvoir en 2005. Selon lui, la crise monétaire actuelle n’est que le fruit d’une “guerre psychologique” perpétrée par les ennemis de la nation, à l’étranger comme en interne.
Seul le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a échappé à la critique directe présidentielle. Peut-être un soupçon égratigné quand Ahmadinejad a souligné que son gouvernement était “la seule institution du pays responsable devant le peuple”.
Le chef d’Etat a enfin accusé les sanctions internationales des dégâts ; tout en niant que ses propres choix économiques puissent avoir une quelconque responsabilité dans la situation. Même s’il est largement pointé du doigt dans la bataille politique qui découle de cet état de fait. Certains puissants responsables du pays, dont Ali Larijani du parlement (Majlis), désignent Ahmadinejad comme le principal responsable de la crise.
Et l’article principal du quotidien iranien Jomhouriye Eslami, mercredi 3 octobre, tentait de prouver que 80 % des problèmes économiques actuels sont liés à une mauvaise gestion économique. Quant à Téhéran-e Emrooz, qui soutenait le rival d’Ahmadinejad, Mohammad-Bagher Ghalibaf, lors des élections de 2009, il accuse le président de se soustraire à ses responsabilités.
Un éditorial paru sur le site Mashregh Nouvelles, affilié aux Gardiens de la Révolution, reproche de son côté au gouvernement en place d’avoir omis de prévoir un plan pour contrer les effets des sanctions. “Ce n’était pas quelque chose que le gouvernement n’était pas en mesure de prédire !”, peut-on lire. “Aucun programme systématique et efficace n’a pourtant été mis en place pour faire face aux sanctions et à leurs conséquences. La seule chose qui a été faite ? Clamer que les sanctions seraient inefficaces...”
L’article s’achève avec une requête adressée au gouvernement : mettre un terme à son “apathie dangereuse”, face à des sanctions “aux terribles conséquences”. Et d’ajouter que les ennemis de l’Iran utilisent cette crise pour prouver que Téhéran est affaibli.
Entre dictature et censure
Le gouvernement iranien a pourtant fait quelques piètres tentatives pour contrôler la chute du rial.
En juillet, alors que l’embargo pétrolier de l’UE entrait en vigueur, le gouverneur de la Banque d’Iran, Mahmoud Bahmani, annonçait que le pays avait accumulé 150 milliards de dollars en devises étrangères pour lutter contre les effets des sanctions.
Le 24 septembre dernier, alors que la devise iranienne continuait sa chute vertigineuse, Bahmani ouvrait un nouveau centre de transactions Forex à Téhéran. Le gouvernement prévoyait d’utiliser les recettes de ses ventes de produits pétrochimiques ; et 14,5 % de ses ventes de pétrole pour fournir le centre en dollars. Son but : permettre à certains importateurs d’acheter des dollars, 2 % moins chers que le taux du change de la rue. D’après Bahmani, le centre Forex devrait permettre à la monnaie de regagner de la valeur. “Le taux de change sur le marché va baisser car une partie de la demande en dollars est gérée par le centre”, assurait-il.
Selon d’autres experts, cependant, l’établissement géré par l’Etat est loin d’être capable de répondre à la demande.
Mercredi, les protestations spontanées, devant le souk de Téhéran, ont obligé les autorités de la capitale à se concentrer sur un nouveau défi : empêcher l’agitation de se propager.
Alors que la nouvelle des affrontements se répandait, les Iraniens ont signalé que les sites Internet de taux de change avaient été infiltrés. Apparemment, la Banque centrale leur aurait ordonné de cesser d’afficher le taux dollar-rial. Le lendemain, les principaux sites d’échanges de devises, dont Mesghals, ne mentionnaient toujours pas le cours en vigueur.
D’après le gouvernement, les infrastructures et agences de communication du pays ont été victimes d’une “cyberattaque” qui a obligé le Conseil suprême du Cyberspace à “limiter” Internet.
Et la radio Farda en langue persane basée aux Etats-Unis a indiqué que ses émissions avaient été, une fois de plus, bloquées en Iran ; tout comme la BBC perse.
Mercredi également, le chef de la police iranienne Esmail Ahmadi Moghadam a annoncé qu’une nouvelle unité de police allait être créée pour “combattre les spéculateurs de devises”.
Répercussions sur le nucléaire ?
Pour certains analystes optimistes, les protestations qui agitent Téhéran pourraient s’amplifier et donner lieu à des troubles plus violents. Qui forceraient l’Iran à reculer son programme nucléaire.
Mais selon un récent rapport du Groupe international Soufan, la République islamique n’est prête à aucun compromis concernant son programme nucléaire, à court terme. L’enquête prédit toutefois que d’ici la seconde moitié de l’année 2013, les sanctions provoqueront l’effondrement économique du pays et obligeront les dirigeants à faire marche arrière.
L’expert Meir Javedanfar, qui enseigne au Centre interdisciplinaire d’Herzliya, estime que le fait que la monnaie iranienne s’effondre prouve clairement que les sanctions causent des dommages importants à l’économie. “Elles pourraient se transformer en une menace existentielle pour le régime”, déclarait-il cette semaine sur Bloomberg TV. En outre, note-t-il, la réaction d’Ahmadinejad ébranle encore la confiance de la population.
Certes, il est possible que les Iraniens blâment l’Occident pour leurs problèmes économiques, mais il est davantage probable qu’ils tiennent le régime pour responsable de leurs tracas. L’élection controversée de 2009, qui avait permis à Ahmadinejad de conserver les rênes du pays, avait déjà sérieusement endommagé la crédibilité du gouvernement.
Pour Alfoneh de l’Institut American Enterprise, la capacité du régime iranien à faire face à la crise en cours dépend de sa capacité à proposer à la classe moyenne des produits alimentaires de base à des prix stables et subventionnés.
“Que l’Iran soit, ou non, en mesure d’éviter des troubles à grande échelle dépend aussi de sa capacité à gagner la course à l’armement nucléaire”, souligne enfin l’expert.
La dernière carte à abattre pour la République islamique, à ses yeux : qu’elle réussisse à obtenir la bombe atomique plus tôt que prévu. “Alors le régime pourra survivre à la crise économique et aux troubles sociaux”, avertit Alfoneh.