La tension monte au Caire à l’approche du 30 juin

L’appel à la révolte gronde contre un président désavoué, accusé d’avoir trahi la révolution.

P8 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P8 JFR 370
(photo credit: Reuters)

A l’approche du 30 juin, premier anniversairede l’entrée en fonction du président égyptien, des manifestations monstress’organisent pour réclamer sa démission. Jamais sa popularité n’a été aussibasse. L’an dernier elle était de 58 % ; selon un sondage récent elle nedépasse pas aujourd’hui 28 %. Les jeunes descendus dans la rue pour mettre finau régime Moubarak appellent à « La révolte » – le nom de leur nouveaumouvement – contre un président qui, selon eux, a trahi la révolution, instauréun régime dictatorial et répressif et n’a rien fait pour redresser unesituation économique catastrophique ; le président ne pense qu’à mettre enplace à tous les postes de l’état des membres de la confrérie des Frèresmusulmans, organisation qui ne fait pas mystère de son intention de rétablir lecalifat.
Morsy, qui en faisait partie, a démissionné après son accession à laprésidence, mais son allégeance est restée entière. Il vient de nommer, à latête du ministère de la Culture, un Frère musulman qui s’est empressé deremplacer les chefs de tous les départements – musique, théâtre et artsplastiques.
Une mesure qui a scandalisé les Egyptiens et s’ajoute aux mesures similairesprises au ministère de l’Education et à celui des Cultes.
La Confrérie parachève ainsi son emprise sur l’éducation, la religion et lesactivités culturelles, les trois secteurs qui vont lui permettre de mouler àson idéologie les futures générations.
Porter atteinte aux libertés civiles 
Le président a nommé, ces joursci, 17nouveaux gouverneurs de province. Sept d’entre eux sont membres de laConfrérie, mais le véritable scandale est la nomination à la tête de laprovince touristique de Louxor d’un membre de la Gamaa al-Islamiya,l’organisation terroriste qui a perpétré en 1997 dans cette ville un attentatmeurtrier ou plutôt un massacre : 57 morts, la plupart des touristes étrangers.Autre sujet de discorde : la Chambre basse du parlement ayant été dissoute parles tribunaux, Morsy a délégué temporairement les pouvoirs législatifs que luiconfère la nouvelle constitution à la Chambre haute. Il la presse de légiférerconformément au programme de la Confrérie.
D’où une série de lois portant atteinte aux libertés civiles : loi limitant lefonctionnement des ONG, loi « organisant » le processus électoral de façon àfavoriser les Frères musulmans et enfin loi sur les droits politiques descitoyens qui limite en fait certains de ces droits.
La Cour suprême de la constitution a invalidé plusieurs de ces lois.
Les « révoltés » ont lancé une pétition déclarant que Morsy avait perdu toutelégitimité, et se sont engagés à réunir quinze millions de signatures avant le30 juin. Ils proclament en avoir déjà recueilli sept et travaillent maintenantà l’organisation des manifestations contre Morsy et contre la Confrérie quidevraient atteindre leur point culminant le 30 juin.
Leur but : forcer le président à démissionner. Le succès est loin d’êtreassuré. Certes, la plupart des partis non islamistes soutiennent leurinitiative et participeront aux grandes manifestations de la fin du mois. LeFront de salut national dirigé par le triumvirat Mohammad El-Baradei, AmrMoussa et Hamdeen Sabahi a donné son accord ; Moussa n’a pas hésité à déclarerque le 30 juin signifiera la fin de l’ère Morsy.
Un front d’opposition 
Seule formation politique d’opposition à l’heureactuelle, ce front rassemble libéraux, gauche et nassérisme populaire. Ilrefuse tout dialogue avec Morsy tant que trois conditions ne sont pas remplies: retrait de la nouvelle loi électorale, formation d’un gouvernement neutrejusqu’aux élections et renvoi du procureur de la République nommé illégalementpar le pouvoir.
Morsy et les Frères musulmans se retrouvent étrangement isolés ; lesorganisations salafistes, ainsi que d’autres groupes religieux et des militantsextrémistes revenus d’exil avec la bénédiction des autorités leur ont retiréleur soutien, trouvant qu’ils n’appliquaient pas la charia assez vite et seméfiant de leurs objectifs à long terme.
L’absurde, c’est que la Confrérie voudrait bien elle aussi appliquer la charia,mais doit procéder avec prudence devant l’hostilité du grand public et lanécessité de s’occuper d’abord de l’économie.
Seule la Gamaa al-Islamiya soutient ouvertement le régime. Faut-il le rappeler,cette organisation extrémiste est liée à l’assassinat du président Sadate et atenté d’assassiner Moubarak ; dans les années quatre-vingt-dix elle a perpétréavec l’aide de l’Iran des dizaines d’attaques terroristes à travers le pays,faisant plus de mille morts, égyptiens et touristes étrangers.
Une situation économique préoccupante 
Les Egyptiens sont si désenchantés parleur président que, vendredi 14 juin, quelques centaines des personnes l’ontpris à partie alors qu’il sortait de la mosquée, l’insultant et lui barrant laroute.
Ses gardes du corps ont eu le plus grand mal à le tirer de là sain et sauf. Desbureaux de la Confrérie sont attaqués chaque jour dans le pays et desprotestataires campent devant le palais présidentiel au Caire. C’est lasituation économique qui préoccupe essentiellement le peuple.
Le gouvernement arrive encore à importer les produits de première nécessité età les subventionner, mais uniquement grâce à l’aide et aux prêts du Qatar, del’Arabie Saoudite, de la Libye et de la Turquie.
Morsy ne peut toujours pas se résoudre à accepter les conditions du Fondsmonétaire international pourtant disposé à accorder à l’Egypte un prêt de 4,8milliards de dollars, mais demandant en contrepartie des réformes qui seraientdurement ressenties par les classes les plus défavorisées qui sont le pilier durégime.
A cela s’ajoute la crise provoquée par l’Ethiopie qui s’apprête à construire unbarrage sur le Nil bleu. Pour l’Egypte, entièrement dépendante des eaux dufleuve, c’est une menace insupportable.
Des efforts sont déployés des deux côtés pour apaiser les esprits, mais, làencore, les Egyptiens sont furieux devant ce qu’ils perçoivent commel’incapacité du régime à défendre les intérêts vitaux du pays.
Pour tenter de détourner l’attention, et faire preuve de leadership, leprésident égyptien a annoncé qu’il rompait les relations diplomatiques avec laSyrie. La mesure, qui était attendue, n’a intéressé personne. Les Frèresmusulmans commencent enfin à se rendre compte du sérieux de la situation àl’approche du 30 juin. On rapporte que les jeunes du mouvement s’organisent enformations paramilitaires pour défendre « leur » président et leurs bureaux àtravers le pays.
Il faut dire que l’armée, jouissant d’un taux d’approbation sans précédent – 94% – répète qu’elle n’a pas l’intention d’intervenir. Le ministère del’Intérieur va donc faire appel à des milliers de policiers et aux véhiculesblindés des forces de sécurité intérieure pour défendre le régime.
Curieusement, au lieu de traiter en urgence la situation économique, les Frèresmusulmans continuent à renforcer leur emprise sur le pays, comme si de rienn’était.
Le président répète à qui veut l’entendre qu’il est confiant, car Allah estavec lui. Il va donc falloir attendre le 30 juin pour savoir si l’oppositionsera en mesure de mobiliser les millions d’hommes nécessaires pour ébranler lepouvoir de la Confrérie.
Zvi Mazel est un ancien ambassadeur en Egypte et un chercheur au JCPA.