Attentats islamistes à Paris : une semaine entre psychose et sursaut républicain

Pendant trois jours, la France a eu le souffle coupé par trois djihadistes français qui ont tué 17 personnes. Simultanément, elle défilait derrière un slogan en forme de hashtag : #JeSuisCharlie

Bougies déposées au pied de la statue place de la République (photo credit: EREZ LICHTFELD)
Bougies déposées au pied de la statue place de la République
(photo credit: EREZ LICHTFELD)
Charlie Hebdo s’apprêtait à sortir un numéro titré « Les prédictions du mage Houellebecq ». Ce mercredi 7 janvier, la conférence de rédaction matinale est en cours. Soudain, deux hommes en noir entrent dans les locaux de la rue Nicolas-Appert, dans le 11e arrondissement parisien, tuant onze hommes parmi lesquels le directeur de la publication, Stéphane Charbonnier (alias Charb) et le policier qui assurait sa protection, les caricaturistes historiques Cabu et Wolinski, ou encore l’économiste Bernard Maris.
Après avoir littéralement décimé la rédaction du journal satirique, les frères Saïd et Chérif Kouachi sortent. Des journalistes postés sur le toit filment leur fuite. On les entend crier : « On a vengé le prophète Mohammed, on a tué Charlie Hebdo ! », avant d’achever à bout portant un policier à terre. Bilan 12 morts, 11 blessés. C’est l’attentat le plus grave survenu en France depuis la fin de la guerre d’Algérie. D’aucuns parlent du « 11 septembre français ». De leurs côtés, les terroristes se revendiquant d’al-Qaïda au Yémen se lancent dans une cavale de 48 heures, entre l’Oise et la Seine-et-Marne.
#JeSuisCharlie
Vers midi à peine, un hashtag (ou mot-dièse) apparaît sur Twitter : #JeSuisCharlie. Son auteur, Joachim Roncin, un directeur artistique et journaliste musical, l’a tweeté en signe de solidarité. Trois jours plus tard, il devient non seulement le troisième hashtag le plus repris au monde (3,5 millions de fois), mais se retrouve aussi sur toutes les lèvres et pancartes, dans les rassemblements citoyens, en France et à l’étranger. A Paris, même les espaces publicitaires affichent le slogan sur fond noir. Mercredi soir, 35 000 personnes se réunissent place de la République, à Paris. Ils sont 10 000 à Lyon, 400 à Mâcon (Saône-et-Loire), etc.
Même rituel le lendemain soir, entre manifestation et veillée funèbre. A la République, la foule est tournée vers des groupes de lycéens montés sur la statue et qui donnent de la voix aux cris de : « Charliberté ! », « pas d’amalgame ! », « vive la France unie ! », « on n’a pas peur ! », « Charlie n’est pas mort », et même « plus jamais ça ! ». Sur les pancartes : « Lève ton stylo pour la liberté d’expression ». Au pied de la statue, un jeune homme allume une bougie et apprend à son ami que « certains lycéens ont refusé de faire la minute de silence pour Charlie ».
Plus loin, des quadras se rappellent des paroles de la chanson anti-FN Un jour en France du groupe Noir Désir : « Quelques fascisants autour de 15 %/Charlie défends-moi […] On devrait encore imprimer le rêve de l’égalité/On n’devra jamais supprimer celui de la fraternité ». Dans un coin de l’esplanade, un homme brandit un carton devant plusieurs caméras étrangères : « je suis musulman/je suis Charlie ».
Jeudi matin, très tôt, une jeune policière qui assurait la sécurité routière devant une école juive de Montrouge (Hauts-de-Seine) est tuée et un autre agent blessé – mais l’hypothèse d’un lien potentiel entre l’école juive et l’événement n’a été que très peu médiatisée. L’auteur de l’attaque prend la fuite. Le lendemain, un avis de recherche est lancé. Il désigne Amédy Coulibaly, délinquant récidiviste se revendiquant de l’Etat islamique. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, confirme sa connexion avec les frères Kouachi.
Vers 13 h 20, vendredi, les premières sirènes vibrent dans le 12e  arrondissement parisien. Leur bruit ne s’arrêtera pas de la journée. On parle déjà d’une fusillade à Saint-Mandé. Première d’une longue série de fausses alertes pointant la place du Trocadéro et même Montpellier, à la faveur d’un braquage.
Cauchemar à la Porte de Vincennes
De son côté, Coulibaly a ressurgi vers 13 heures, porte de Vincennes, lourdement armé. Il y aurait une fusillade et une prise d’otages dans un Hypercacher. Très vite, le quartier est bouclé. Civils et journalistes sont maintenus à distance, au milieu d’une route à deux voies. De 14 heures à 18 heures, quasiment aucune information n’est véritable. Jean-Marc, grossiste au Sentier, assure que son associé a une nièce retenue dans l’Hypercacher. Il parle d’environ cinq otages. Gaël Fabiano, du syndicat UNSA Police Paris est en mesure de confirmer « qu’il y a au moins un blessé grave ». Il confiera plus tard avoir su depuis le départ qu’« il y avait des morts dès le début », mais avoir eu « l’interdiction de le révéler ».
En attendant, Jean-Marc discute avec un jeune musulman : « Ce sont les types qui partent en Syrie que je rejette, pas les musulmans ». Quelques instants plus tôt, il déclarait pourtant à la presse : « A la fin, on s’en prend toujours aux juifs. […] Maintenant, je vais voter Marine (Le Pen) car elle est la seule à proposer de retirer les papiers des gars qui partent en Syrie ». Un morceau de France semble se fissurer. Concurrence victimaire de minorités qui s’envoient à la figure l’islamophobie, l’antisémitisme ou l’esclavage.
La tension est d’autant plus forte que l’on sait l’assaut contre les frères Kouachi imminent. Leur cavale a pris fin quelques heures plus tôt à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne). Retranchés dans une imprimerie et cernés par la police, ils font feu à 16 h 57 sur le GIGN et sont finalement abattus. Un civil qui se cachait dans le bâtiment est libéré sain et sauf. La scène est à suivre sur les chaînes d’information en continu. Pour la première fois, deux services de police – la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) et le Raid – et un de gendarmerie – le GIGN – se sont coordonnés lors d’une double opération. L’adjoint à la sécurité du maire du 11e arrondissement de Paris, Stéphane Martinet, nous apprendra d’ailleurs que le dévoilement d’informations par les médias a forcé la police à changer de stratégie.
17 heures, porte de Vincennes. Quatre fortes détonations secouent le quartier. L’assaut est donné. Le défilé des ambulances commence. Une heure plus tard, Gaël Fabiano parle non plus d’un, mais de deux preneurs d’otages. Le deuxième homme est en fait un employé malien. Lassana Bathily est menotté dans un premier temps avant que l’on s’aperçoive que c’est lui qui a aidé plusieurs personnes dont un bébé à se cacher au sous-sol du magasin, dans une chambre froide.
Bilan définitif : 4 hommes juifs tués par Coulibaly qui trouve aussi la mort, 4 policiers blessés dans l’assaut et une vingtaine de civils sauvés.
« Avant leur dérive islamiste, les trois terroristes étaient des délinquants archiconnus des services de police », déclare Gaël Fabiano aux caméras. « Il n’y a rien de plus démotivant pour la police que de ne pas avoir les moyens suffisants. Il faut que les lois soient appliquées dans ce pays. On est trop laxiste. » Daniel Corcos, un passant qui a écouté la déclaration s’adresse à lui : « Merci pour votre action, mais sachez qu’aujourd’hui c’est le top départ pour que les juifs quittent la France en masse. L’été dernier, j’ai vu une manifestation à Bobigny », poursuit-il, « où vous vous faisiez cracher dessus et insulter de “sales Français” et de “sales flics”. » Réponse du policier : « on est tétanisé d’intervenir ». Une habitante du quartier, jeune mère qui a passé l’après-midi cloîtrée chez elle n’est pas du même avis : « Je suis sous le choc », raconte-t-elle au téléphone le lendemain. « Je suis juive et laïque et je pense qu’il ne faut justement pas quitter la France dans ces moments-là. »
« La plus grande mobilisation jamais recensée en France »
Samedi, dès 18 heures, 1 000 personnes, en majorité appartenant à la communauté juive, se rassemblent devant l’Hypercacher. Beaucoup scandent « Je suis juif ! Je suis Charlie ». Manuel Valls se rend à l’hommage aux victimes entouré de nombreuses personnalités politiques. L’imam de Drancy a aussi fait le déplacement. Le Premier ministre prend la parole : « La France, sans les juifs de France, n’est plus la France. […] Nous sommes tous aujourd’hui Charlie, tous policiers, tous des juifs de France ». Le Premier ministre appelle également tous les Français à se rendre à la marche républicaine prévue le lendemain à Paris.
Ils répondront à l’appel. Avec près de 4 millions de personnes défilant dans tout le pays – dont 1,5 million rien qu’à Paris selon l’AFP – cette manifestation contre le terrorisme est, selon le ministère de l’Intérieur, « sans précédent ». Le 1er mai 2002, 2 millions de personnes avaient manifesté contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.
« Paris est aujourd’hui la capitale du monde », déclare François Hollande. Des chefs d’Etat venus du monde entier défilent à part. Parmi eux Benjamin Netanyahou et Mahmoud Abbas, à quelques mètres l’un de l’autre. Mais quelque chose de plus spectaculaire encore se produit : les policiers sont systématiquement applaudis sur leur passage. Entre République et Nation, une foule sentimentale, intergénérationnelle et de tous milieux sociaux fait bloc, tantôt en chantant La Marseillaise, tantôt au cri de « terroriste, t’es foutu, le peuple est dans la rue ! ».
Des pancartes aux couleurs de Charlie sont affichées sur les balcons, aux côtés de drapeaux tricolores et, moins fréquemment, israéliens. A l’arrivée à la Nation, la metteuse en scène Ariane Mnouchkine défile aussi pour la liberté accompagnée d’une marionnette géante relookée en République. Admirant le spectacle, un élu lève les yeux et sourit : « Demain, les gens iront mieux ». 
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