Exodus, face à la mer

Près de 70 ans après les faits, pour 800 jeunes Juifs de France, retour sur l’histoire de l’immigration clandestine vers Israël à l'époque pré-étatique.

Des centaines de jeunes venus de toute la France embarquent à Haïfa (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Des centaines de jeunes venus de toute la France embarquent à Haïfa
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Chypre – Natacha Lellouche, 17 ans, originaire de Nice, est membre du mouvement de jeunesse des EEIF (Eclaireuses et éclaireurs israélites de France). A peine arrivée en Israël, elle prend la direction du port de Haïfa. Il ne s’agit pas de sa première visite dans le pays, mais cette fois, elle ignore où ce voyage la conduira.
Le même sentiment habite les 800 autres jeunes Juifs venus de toute la France pour cette croisière thématique. Le but du projet : la reconstitution des voyages clandestins vers Israël à la veille de l’Indépendance, et les inciter à une réflexion commune sur des sujets liés à la vie des participants en tant que Juifs. Les responsables, l’équipe de « l’Expérience Israélienne », fondée par l’Agence juive, leur ont concocté un programme passionnant.
« Je connaissais l’histoire du bateau Exodus, parti d’Europe en 5707 (1947), nous dit Natacha, vêtue de son uniforme des EEIF. Je savais que le séminaire serait intéressant, mais j’ignorais tout des voyages clandestins, et je ne connaissais pas l’histoire juive dans les détails. Par contre, je savais que, là, je vivrais une expérience passionnante. »
Juste avant d’accoster sur les plages de Chypre, Natacha rencontre Shmouel Savion sur la passerelle. Natif de la ville de Sefrou, à 20 km de Fez, Savion était monté sur le bateau Yehouda Halevi après avoir atteint, malgré d’énormes difficultés, la ville de Ténès en Algérie. A l’âge de 16 ans, il se dirigeait enfin vers Israël, immigrant illégal, affamé et mort de soif, à la veille de la déclaration à l’ONU de la création de l’Etat juif.
« La faim et la soif dans le camp étaient bien pires que ce que l’on peut décrire en mots », se souvient-il.
Sur le bateau (« Ils avaient la prétention de transporter 500 clandestins sur cette épave, à la fin 400 sont montés »), il se rend compte que la route menant à Israël était pavée d’embûches, il ignorait encore à quel point. Les conditions sanitaires étaient extrêmement difficiles, les 400 immigrants ont dû s’y confronter du fond du bateau.»
Quand ils se sont rapprochés des côtes israéliennes, les avions britanniques ont commencé à les survoler. Leurs chefs, dont Guideon (Gueda) Schohat et le commandant du navire Israël Horev, ont compris que l’arraisonnement était proche. Et ils avaient raison. La « bataille » contre des clandestins qui jeûnaient depuis plusieurs jours a conduit ces derniers, le 30 mai 1947, droit sur le bateau d’expulsion des Britanniques, Empire State. « Ils ont embrassé la poussière du pont, et sont partis pour le camp de détention britannique à côté de Pamagosta à Chypre », raconte-t-il.
Quand les employés de l’Agence juive sont venus leur rendre visite dans le camp chypriote, on a demandé à Savion d’accueillir Golda Meïr, et il l’a fait en ces termes : « Au nom des enfants de l’école, je vous souhaite la bienvenue à Chypre. J’espère que notre prochaine rencontre aura lieu dans notre pays libre. »
Pour des jeunes de 9 à 97 ans
Au programme de ce voyage à Chypre, sous la houlette des guides de « l’Expérience Israélienne », Motti Likowernik et Ouriel Feinerman, visite de ce qui reste du camp de détention des clandestins Dekhelia, près de Larnaca.
Les jeunes pouvaient contempler la Méditerranée tandis qu’on leur relatait la vie des prisonniers pendant les longs mois de leur détention, jusqu’à leur départ vers
Israël.
Egalement l’occasion d’apprendre l’hébreu, le krav maga (sport de combat rapproché) et les grandes lignes de l’histoire d’Israël, rapporte Ouriel Feinerman.
L’équipe pédagogique était très soucieuse de réaliser le programme prévu, dont la conception avait duré des mois. Ses membres : Yaël David Touati, Gallia Melloul, Sandra Allouche, Brenda Yona, Anaëlle Cohen, Eli Benichou, David Ohnona, Muriel Sabban, Dani Sebban et Arie Abitbol, tous pédagogues confirmés dans le domaine de l’éducation juive française.
C’est Ilanit Corchia, directrice pour « Expérience israélienne » du département Europe, Amérique Latine et pays du bloc de l’ex-URSS, qui a savamment orchestré l’opération. Elle souligne que le projet a été conçu pour des jeunes de 9 à 97 ans.
« J’ai vu moi-même », raconte-t-elle, « comme éducatrice puis comme directrice, combien le projet organisé par l’Agence juive et ses associés influence la vie des participants. Jusqu’à aujourd’hui je reçois des réactions, qui me témoignent que l’expérience les a profondément influencés et leur a donné à réfléchir sur le sens de leur vie. »
Les jeunes ont montré un grand enthousiasme pour tout ce qu’ils ont appris durant leur visite et pour les activités qu’on leur a proposées avant et après. Dan Layani, de Marseille en France, témoigne : « J’ai été très ému par tout ce que j’ai entendu. Je suis sûr de monter en Israël, pas tout de suite, mais dès que j’aurai le bac en poche », affirme-t-il.
Un chapitre pédagogique de plus
Le Dr Dov Maimon, chercheur à l’Institut pour la politique du peuple juif, émanation de l’Agence juive, qui a écrit le programme d’immigration des Juifs de France (« La France d’abord »), était du voyage. Selon lui, 40 % des participants réaliseront leur immigration en Israël.
Selon Ilanit, le programme comporte d’autres buts que l’aliya. Entre autres, « créer une rencontre entre différents mouvements de jeunesse, et travailler sur ce qu’ils ont en commun. Nous avons demandé à chacun de noter la prière qui lui tient le plus à cœur. Puis nous les avons toutes rassemblées dans un fascicule commun. Cela renforce leur sentiment d’identité juive, avant leur retour en France. Le programme a vraiment changé la vie de certains d’entre eux, et je crois que ce sera la même chose pour les participants venus cette année. »
Les jeunes et l’encadrement, garçons et filles, ont vécu une expérience commune, ils ont chanté et dansé, écouté des conférences et organisé un office à la mémoire des trois jeunes assassinés le mois dernier à côté de Halhoul. Tout ceci, au loin des côtes israéliennes, quittées une heure à peine après avoir atterri en tant que touristes. Mais cela les a rapprochés d’eux-mêmes, de leur judaïsme et de l’expérience qu’ils vivent.
A la fin du voyage, jeudi 10 juillet, le bateau a jeté l’ancre dans le port de Haïfa. Les participants ont assisté à une émouvante cérémonie, pleine de symboles qu’ils ont emportés chez eux.
Amos Hermon, directeur général d’« Expérience israélienne » : « La reconstitution du périple du navire clandestin et l’aliya de 800 jeunes des mouvements de jeunesse sionistes de France constituent un chapitre pédagogique de plus qui lie la jeune génération juive en France et l’Etat d’Israël. L’“Expérience Israélienne”, projet émanant de l’Agence juive, permettra cette année à 6 000 jeunes de France de prendre part à des programmes pédagogiques en Israël, et réalisera pour 500 étudiants français des programmes d’intégration dans les sociétés de high-tech et dans les grandes écoles.»
Un modèle d’énergie et d’optimisme
La sortie du bateau et le retour en Israël en plein milieu de l’opération militaire dans le sud, ont brutalement ramené les participants à l’Israël d’aujourd’hui, à une distance de 67 ans d’une autre réalité, celle qui a déplacé l’Exodus de Haïfa en Allemagne. Les problèmes auxquels Israël fait face aujourd’hui sont différents de ceux du Foyer national d’alors. La situation du peuple juif, exsangue au sortir de la Shoah, a changé elle aussi, et elle est différente de la réalité française.
Yaakov Hagoel, chef du département pour l’action en Israël et pour le combat contre l’antisémitisme au sein de l’Organisation sioniste mondiale a ainsi déclaré : « Nous sommes actuellement dans une période où l’antisémitisme ne fait qu’augmenter et s’aggraver en Europe. Les Juifs de Diaspora affrontent de nombreux défis qui les plongent dans des situations complexes. La reconstitution du voyage des clandestins permet à des centaines de jeunes de France de s’occuper de sujets auxquels ils sont confrontés au quotidien, à côté de réflexions plus générales. »
A Atlit (ancien camp de détention proche de Haïfa au nord du pays), les jeunes se sont séparés des immigrants clandestins de l’époque, les porteurs de la mémoire du combat qui réalisaient le rêve de générations entières.
Parmi eux Noah Klieger, rescapé du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et rescapé de l’Exodus, journaliste au quotidien Yediyot Aharonot. Noah n’est pas arrivé à Chypre sur l’Exodus, il a été dirigé vers l’Allemagne avec quelque 4 500 autres rescapés. Mais il est revenu en Israël, patrie des Juifs, où il vit depuis, et jusqu’à ce jour. Témoin régulier et infatigable à Yad Vashem et en Pologne, il est à près de 90 ans un modèle d’énergie et d’optimisme.
© Reproduction interdite - Droits réservés Jerusalem Post