Judée-Samarie : l’auto-stop, une pratique à risques ?

La pratique du stop est courante dans les habitants des implantations. En dépit de l’actualité.

Si à Eli l'auto-stop est vénéré, d'autres cités comme Ariel sont plus réticentes à y faire appel. (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Si à Eli l'auto-stop est vénéré, d'autres cités comme Ariel sont plus réticentes à y faire appel.
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
La date du 30 juin 2014 marquera longtemps l’esprit des Israéliens. La nouvelle est tombée : les trois adolescents, Eyal Yifrah (19 ans), Naftali Fraenkel  (16 ans) et Gil-Ad Shaer (16 ans), kidnappés quelques jours plus tôt alors qu’ils rentraient chez eux, ont été sauvagement assassinés près de Hébron. Le dénouement douloureux d’une attente nationale.
Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’Israël fait face à ce genre de menace d’enlèvement, particulièrement forte en Judée-Samarie qui comptabilise 59 % de tous les rapts, selon un rapport publié par le Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien.
En revanche, ce kidnapping et les conséquences effroyables que l’on connaît servent de réflexion sur la pratique de l’auto-stop – le tramp – très développée dans cette région qualifiée de « poudrière » par les forces de sécurité. Une pratique qui fait d’abord office d’ultime recours face à une pénurie de transports. Mais qui, au-delà des impératifs techniques, symbolise envers et contre tout l’entraide des habitants.
Le Jerusalem Post est allé à la rencontre des résidents d’Eli, Shilo et Ariel, trois localités surplombant les collines de Samarie. Ils nous ont fait part de leurs émotions face aux derniers événements, mais aussi de l’importance du stop dans leur vie quotidienne. En dépit d’un sentiment d’abandon de la part du gouvernement, la notion de solidarité reste l’argument phare et se retrouve dans tous les témoignages.
« Deux bus par jour »
Yishai, résident à Shilo, transporte tous les jours des auto-stoppeurs quand il se rend à Jérusalem pour son travail. Ce père de famille pose néanmoins un regard critique sur le manque de moyens de locomotion. Selon lui, ils sont insuffisants pour les besoins des 300 000 habitants de la région qui se déplacent quotidiennement. « Les implantations en Judée-Samarie sont extrêmement mal desservies », dénonce-t-il, « mais c’est également le cas d’autres régions plus excentrées comme le Néguev ou la Galilée. Nous possédons des bus blindés affrétés par les compagnies Egged et Afiqim, mais dans les petites localités, ils ne passent que deux fois par jour. Quant au covoiturage, il s’agit d’un phénomène très banal. »
« Tous les jours des auto-stoppeurs montent dans mon véhicule. Les profils sont très variés, de l’étudiant au père de famille en passant par les touristes. Mon rôle est de les acheminer au maximum vers la destination de leur choix. Si j’approuve cette pratique, c’est parce qu’en tant que Juif, il est de mon devoir de rendre service à mon prochain, surtout dans cette région qui a vu naître les prophètes Elie, Jérémie, Ezechiel. »
Leah, fraîchement débarquée de Paris et installée à Eli où elle exerce la profession de psychologue, vante les bienfaits du covoiturage : « Nous avons la chance de vivre au sein de communautés soudées, où la notion d’entraide est très bien ancrée – d’où le recours à ce type de transports, naturellement. Malheureusement ces adolescents ont été piégés, nous sommes tous concernés, car ce sont aussi nos enfants », affirme-t-elle désemparée.
En Judée-Samarie, les routes sont communes aux Israéliens et aux Palestiniens. Mais la majorité des trampistes arrêtent les voitures aux carrefours des localités israéliennes qui se situent en zone sécurisée. Il s’agit d’un système gratuit pour les utilisateurs, et on estime que 150 000 Israéliens sont directement concernés.
Qui plus est, depuis trois ans, le système tend même à se structurer : des applications spécialisées pour Smartphone font leur apparition et des annonces sont postées quotidiennement sur les forums des sites des villes.
Développer la solidarité
David effectue la navette tous les jours entre Eli et Tel-Aviv où il exerce le métier d’avocat. Pas encore motorisé, il évalue mal le rapport entre l’auto-stop et le kidnapping. A la question si les derniers événements ont modifié ses habitudes, il estime : « Le covoiturage doit continuer à se pratiquer, car il illustre parfaitement cette notion de solidarité. D’un autre côté, lorsque vous traversez une autoroute, ou bien lorsque vous passez sous un immeuble en construction, vous prenez aussi des risques », tempère-t-il.
David n’envisage pas de changer son quotidien. « Je refuse de changer mon mode de vie ; ici, les terroristes kidnappent les autos-stoppeurs. Mais ils placent également des mines sur les routes, jettent des cocktails Molotov sur les véhicules et tentent de s’infiltrer dans les implantations pour y commettre des meurtres, comme à Itamar. Notre mot d’ordre est simple : continuer à pratiquer le covoiturage, continuer à se développer, à surpasser la peur, afin de prouver aux organisations extrémistes l’inefficacité de leurs actions, sans pour autant baisser la garde. »
Liorah, guide touristique, a tous les jours recours à l’auto-stop pour se rendre à Jérusalem. Elle considère cela comme une source de convivialité : « C’est l’occasion unique d’échanger, de créer des contacts. Chaque jour on entame une nouvelle aventure. C’est l’effet adrénaline. » Quant au danger que représente une telle « aventure », cette mère de quatre enfants rétorque : « La vision idéale et l’esprit de solidarité sont en voie de disparition. Ils doivent impérativement être préservés même si les infrastructures se développent. »
A consommer avec modération
Cependant, l’utilisation régulière de ce moyen de transport ne fait pas l’unanimité.
Si à Eli l’auto-stop est vénéré, d’autres cités comme Ariel sont plus réticentes à y faire appel. Une différence de mentalité qui se retrouve dans la nature de l’implantation : le rapport à la peur est très faible dans les localités dites « idéologiques », alors qu’il prend une proportion plus réaliste dans les localités dites « économiques ».
L’université d’Ariel, située à 17 kilomètres à l’est de la Ligne verte, est problématique car ses 15 000 étudiants sont potentiellement confrontés au phénomène du « tramp ».
Eran (nom d’emprunt) est étudiant en architecture. Pour cet originaire de Hod Hasharon, Ariel est comme une ville ordinaire. Même si les bus sont plus fréquents, il lui est pratiquement impossible de sortir du périmètre après 22 heures, heure à laquelle les transports publics s’arrêtent de fonctionner.
« Il est hors de question que je monte dans une voiture. Avec les derniers événements, je préfère attendre le bus pendant 2 heures », explique-t-il. « Ici, la majorité des habitants ont un esprit conventionnel et pragmatique. Mais je reconnais que le stop peut être un symbole d’unité. »