L’honneur et la honte dans le conflit israélo-palestinien

Oubliée par les Occidentaux, la dynamique honneur-honte est une donnée incontournable pour résoudre les conflits au Moyen-Orient.

Yasser Arafat et Bill Clinton (photo credit: REUTERS)
Yasser Arafat et Bill Clinton
(photo credit: REUTERS)
Le 30e cycle de conférences annuelles, organisé par l’Association pour les études sur Israël et le sionisme de l’Institut de recherche Ben-Gourion, s’est tenu sur le campus de Sde Boker, dans le Néguev. Au programme : la dynamique honneur-honte dans le conflit israélo-arabe. Qualifiée de « raciste » et « politiquement incorrecte » dans le discours post-colonial, l’analyse de cette dynamique prégnante dans les mentalités arabo-musulmanes, a été exclue du débat pendant des années.
Or, parce qu’elle est au fondement du système tribal qui constitue le socle culturel de ces populations, ainsi que celui du système politique du Moyen-Orient, elle est toujours en vigueur. Il n’est que de constater les crimes d’honneur et l’absence de liberté de la presse qui perdurent dans ces sociétés, comme l’a souligné Bassem Eik, du PHRMG (Palestinian Human Rights monitoring groups). Mordehaï Kedar, de l’université de Bar-Ilan, fait remarquer que les territoires sous autorité palestinienne sont aux mains de clans. Pour preuve, une famille de Jénine ne donnera jamais en mariage sa fille à un garçon de Hébron, affirme-t-il. « Il n’est pas de chez » nous sera l’argument. Ce qui montre bien leur difficulté à s’unifier sous le dénominateur commun de « Palestinien ».
Sur le plan politique, construire une société moderne dans une culture tribale est un défi de taille. Le fonctionnement de nos sociétés libérales et démocratiques repose sur une constitution basée sur des lois, des organisations gouvernementales et une société civile organisée, et n’obéissent pas à une loi de groupe. Avec pour conséquences des malentendus en série dont la politique occidentale au Moyen-Orient a durement pâti.
Les exemples sont légion. « J’accompagnais une délégation israélienne à Casablanca pour prendre part à des négociations économiques », se souvient Mordehaï Kedar de l’université de Bar- Ilan. « Nous venons vous apporter la paix », ont dit les Israéliens. « Cela a fait scandale. Chose que l’on peut comprendre seulement si l’on sait que, pour les Arabes, cela signifie “nous venons vous apporter notre domination” ». « Bien sûr », rebondit Lucien-Samir Oulahbib, de l’université Jean Moulin à Lyon, « car le mot paix n’a pas la même signification. Salam Alekhoum, ne veut pas dire tout simplement bonjour, comme quelques férus d’orientalisme occidentaux se plaisent à le croire », insiste-t-il. « Dans Salam (paix), il n’est pas question de la paix au sens absolu, métaphysique entre êtres humains. Dire Salam Alekhoum, revient à dire que l’on accepte la paix de l’islam ».
La victoire d’Israël, l’humiliation suprême
Dans nos esprits démocratiques, la justice repose sur la vérité. Or, pour les arabo-musulmans, la justice repose sur l’équilibre de cette dynamique de l’honneur et la honte. Penser en termes de solutions équilibrées pour les deux camps, pour autant qu’ils fassent des concessions, afin, en contrepartie, d’en tirer bénéfice, fait sens dans nos démocraties. Mais, si tel était le cas dans le monde arabo-musulman et si le conflit israélo-palestinien se posait uniquement en termes de territoires et d’autodétermination, cela pourrait se résoudre par mail, a fait remarquer un journaliste de BBC. « Mais, dans ces cultures, sauver son honneur ne peut que reposer sur la honte infligée à l’adversaire. »
« Mon honneur ne peut se construire que sur votre honte ; si vous gagnez, je perds ; si vous perdez, je gagne ; ce qui a été pris par la force doit être reconquis par la force, les concessions sont donc perçues comme source de honte et on ne peut que laver sa honte dans le sang », explique Richard Landes de l’université de Boston.
Ce que nous appelons les relations de « win-win » (gagnant-gagnant), sur le plan politique ou économique qui permet aux deux parties d’en tirer avantage tout en faisant des concessions, n’a pas cours dans le monde arabo-musulman où tout compromis est perçu comme un échec. Gagner signifie retrouver son honneur sur le dos de l’humiliation (honte) de l’autre. Nier cette logique exposerait à un retour de bâton féroce.
Dans ce contexte, la victoire d’Israël est perçue comme une humiliation suprême. La perte d’honneur enregistrée avec les défaites arabes a impacté durablement les mentalités et le désir de laver cette honte dans le sang est ancrée.
Richard Landes, de l’université de Boston, considère la Naqba comme une humiliation collective du monde arabo-musulman. Mais plus largement, c’est le monde moderne –la modernité dans toutes ses manifestations, économiques et culturelles – qui est perçu comme une Naqba et le siècle qui a suivi l’avènement de l’Islam, un âge d’or aux parfums de paradis perdu.
« Toute terre qui a été sous la bannière de l’islam est considérée pour toujours comme islamique. Par conséquent, Israël ne peut être légitime d’aucune façon, car un peuple dhimmi (inférieur par nature) ne peut pas être souverain sur une terre islamique », précise Lucien-Samir Oulahbib.
Ne pas perdre la face à tout prix
Toute stratégie politique devrait pourtant prendre en compte l’impact de cette dynamique sur les mentalités arabo-musulmanes qui explique l’échec cuisant des accords d’Oslo ou le « Printemps arabe ». « Quand Arafat a fait capoter les négociations de paix, il a dit : « Je ne veux pas boire le café avec Sadate », rappelle Harold Rhodes, journaliste et membre du Gatestone Institute, « ce qui voulait dire en clair que ces accords auraient signifié sa mort, si le groupe auquel il appartenait devait perdre la face » explique-t-il.
L’irrédentisme arabe est aujourd’hui encore une source de fierté, et claquer la porte, une contenance très populaire pour les leaders du monde arabe. « Arafat n’a jamais dit “non”, mais il n’a jamais été capable de dire “oui”. La fierté précède la chute », écrit Bill Clinton dans ses mémoires My life. La société arabe devrait admettre ses erreurs. Mais même si cela devait contribuer à la renforcer ensuite, le faire signifie perdre la face. « Et l’Occident contribue à les maintenir dans cette impasse, quel qu’en soit le prix à payer pour les Juifs et les Arabes », déplore Lucien-Samir Oulahbib.
Pour les diplomaties occidentales et leurs stratèges, connaître le narratif de ces sociétés est indispensable. Là où il n’est question que de perdre la face, la vengeance, le ressentiment ne peut être remplacé par une approche rationnelle, condamnée à échouer, voire pire, expose à un retour de bâton féroce.
Or Israël est le miroir des échecs du monde arabo-musulman, ou plutôt du monde arabisé et islamisé. L’antisionisme est devenu, qu’on le veuille ou non, l’expression contemporaine de l’antisémitisme. Dans le monde arabe, il vire à l’impérialisme religieux et à l’ethnocentrisme. L’échec de la solution des Etats repose en grande partie sur l’ignorance américaine et européenne des véritables causes qui sous-tendent le conflit et leur refus de prendre en compte ces dynamiques honte-honneur, qui n’a, de fait, aucune chance de trouver sa résolution.
Le principal obstacle à la paix est de ne pas aller à la racine du problème. Il importe de déterminer d’où vient cette terreur de la honte et cette quête d’honneur désespérée.
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