Premier bâtiment vert en “or”

La planète est sous l’emprise indéniable du changement climatique. Mais les gourous de la technologie ont peut-être trouvé la solution

Premier bâtiment vert en “or” P18 521 (photo credit: Reuters)
Premier bâtiment vert en “or” P18 521
(photo credit: Reuters)
Qu’est-ce qu’un immeuble vert intelligent ? Pour le savoir, il suffit de faire un tour de la nouvelle structure d’Intel, dans le hub scientifique de Haïfa : le bâtiment ID9. Un nom faussement anodin qui ne rend pas justice à la technologie de pointe - et aux ingénieurs à l’origine de sa conception - qu’il renferme.
Car ID9 peut non seulement s’enorgueillir d’un design avant-gardiste, mais aussi de logiciels et d’équipements pour économiser l’énergie, l’eau et autres ressources. Le pic de chaleur enregistré cette année en juillet et août - le plus chaud de l’histoire d’Israël - illustre combien il est nécessaire de trouver des moyens pour réduire les gaz à effet de serre et ralentir le réchauffement climatique.
Pour l’heure, une grande part de l’attention se concentre sur les émissions de gaz carbonique des voitures. Mais à l’échelle mondiale, les habitations et autres immeubles produisent 40 % des émissions de CO2 de la planète - soit bien plus que les véhicules - dont la moitié provient des bâtiments commerciaux. Pourtant, à l’heure actuelle, et non dans un lointain 2025, il existe une grande variété de solutions pour réduire la consommation d’énergie dans les lieux de vie ou de travail.
ID9 est le premier bâtiment d’Israël classé “or” par le LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), un système nord-américain de standardisation environnementale. Selon cette classification, un édifice peut atteindre quatre niveaux : certifié, argent, or et platine. La nouvelle école Porter d’études environnementales de l’Université de Tel-Aviv devrait, elle, être déclarée “platine”, à son inauguration, en 2014.
Le système LEED se base sur plusieurs éléments : nature du site (ID9 est situé à proximité d’une gare ferroviaire et construit sur une ancienne aire de stationnement), traitement de l’eau, gestion de l’énergie, émission de carbones, matériaux et ressources utilisés, et qualité environnementale intérieure. Par exemple, la présence d’un parking à vélos et de douches rapporte des points.
Une entreprise où il fait bon vivre 
La vocation d’Intel : la performance. On peut alors se demander si, pour une entreprise basée sur le profit, investir dans l’écologie intelligente est payant. Réponse avec Tamir Zeliger, un ingénieur de la société qui dirige les opérations du bâtiment ID9. Selon lui, le retour sur investissement (temps nécessaire pour amortir les frais) est de 7 ans. Certes, bien plus que le palier de 3 à 5 ans visé par Intel habituellement. Mais il faut aussi prendre en considération les avantages non matériels, note le spécialiste.
Il explique : “Intel cherche à se positionner comme le chef de file du développement durable. ID9 génère une communication positive autour de la compagnie et ajoute au sentiment de fierté de ses employés”. Et pour cause : ID9 est le premier bâtiment Intel certifié “or” par LEED dans le monde.
Parmi les caractéristiques “vertes” de l’édifice, certaines ne sont pas révolutionnaires, comme le fait de recycler l’eau qui s’écoule du climatiseur pour le jardinage. Mais ID9 va plus loin : la condensation du bâtiment est recueillie pour être réutilisée dans les tours de refroidissement, soit une économie de 2 000 mètres cubes d’eau par an. Et les eaux usées qui proviennent de ces mêmes tours de refroidissement sont elles aussi récupérées pour les toilettes et l’irrigation, soit une nouvelle économie de 2 500 mètres cubes par an.
En matière d’éclairage, les bonnes habitudes sont prises pour certains d’entre nous : éteindre systématiquement les lumières, à la maison et au bureau. ID9 a mieux à proposer. Zeliger présente alors le système Internet de contrôle développé par son équipe, qui permet d’économiser à l’entreprise quelque 400 000 shekels par an en électricité. A chaque étage du bâtiment : des espaces de travail ouverts, dotés de box de taille identique, y compris celui du directeur. Chaque employé gère luimême son éclairage individuel par le biais d’un site Web, et peut ajuster la température de l’air à partir de son ordinateur. Les lumières s’éteignent automatiquement lorsque les espaces sont inoccupés, jusqu’à ce que les employés les rallument. “Nous cherchons maintenant à exporter cette technologie à tous les sites d’Intel”, précise Zeliger.
Comme c’est le cas de bon nombre d’entreprises high-tech, les serveurs d’Intel avalent les kilowatts/heure comme des gloutons. A ID9, un logiciel sophistiqué aide les serveurs à planifier leurs tâches de manière plus efficace, lorsque les ingénieurs surestiment le temps requis. Ce qui permet d’économiser de manière très significative la consommation d’électricité.
Les employés apprécient-ils leurs conditions de travail à ID9 ? Car si le bâtiment ne trouve pas grâce aux yeux de ses occupants, à quoi cela sert-il qu’il soit vert et intelligent ? “Bien sûr,” répond Zeliger. “L’immeuble est moderne, empli de lumière naturelle, doté d’une salle de sport dernier-cri, et d’une cafétéria halavi (lait) qui surplombe la Méditerranée.” Et de fait, le mur de verre qui fait face au nord offre une vue spectaculaire sur la mer et inonde le bâtiment de lumière du soleil.
Des entrepreneurs frileux 
Si les Etats-Unis ont été les précurseurs des édifices écologiques au début des années 1980, le Japon et l’Europe occidentale leur ont vite emboîté le pas. Aujourd’hui, la construction de structures vertes et intelligentes est sans aucun doute à portée de technologie, mais quid des bâtiments anciens ? Leur modernisation est elle aussi possible. Pour preuve, l’Empire State Building, l’emblème de New York qui a longtemps été le plus haut bâtiment du monde. A 80 ans, il a été restauré pour un coût de 550 millions de dollars. Résultat : une cote en “or” et une réduction de sa consommation d’énergie de 38 %.
En Israël, où des normes écologiques volontaires - 5281, 5282 et 1738 - ont été mises en place pour toute nouvelle construction, la priorité se porte également sur les bâtiments existants. Car selon le professeur Evyatar Erell de l’Université Ben Gourion du Néguev, “si nous nous concentrons uniquement sur les normes pour les bâtiments neufs, il faudra beaucoup de temps pour obtenir des résultats. Nous devons de toute évidence nous occuper des édifices déjà debout.”
Dans sa thèse de maîtrise pour l’Université de Tel-Aviv, la chercheuse Hadas Gabay a analysé les coûts et les profits d’une construction verte intelligente, pour les constructeurs et la société israélienne dans son ensemble. Ses conclusions ? Pour les entrepreneurs, les coûts supplémentaires de mise en conformité avec les normes sont amortis sur trois ou quatre ans. On peut alors se demander pourquoi il n’existe pas davantage de constructions de ce genre.
Car les constructeurs - hommes d’affaires et de profits - ont en général un rapport conflictuel avec la technologie moderne. “Les entrepreneurs ne comprennent pas la nature de la construction écologique”, note Gabay, “ils sont préoccupés par les coûts supplémentaires qu’elle engage, sans se rendre compte de ses avantages et du potentiel économique qu’elle représente.” La solution vient peutêtre du public. Soumis à une forte demande écologique, les entrepreneurs seraient bien obligés de s’adapter aux exigences d’un client averti et sensibilisé à la protection de l’environnement.
Penser à l’avenir 
Et ce ne serait pas une mauvaise affaire pour l’énergie israélienne, aujourd’hui en mauvaise posture. Tout au long de l’été 2012, particulièrement torride, le risque de chute de tension était omniprésent avec une production d’électricité sur le point d’atteindre ses capacités maximales. Et fait qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir : au cours de la première moitié de l’année, la consommation électrique a augmenté de 10 %. Certes, Israël envisage de compter sur les énergies renouvelables (éolienne, solaire, etc.) à hauteur de 10 % en 2020 pour produire son électricité. Bien, mais pas assez, rétorque le Conseil européen de l’énergie renouvelable, en comparaison de la Suède (50 %), la France (23 %) et même la Grèce (18 %). Une chose est sûre, la compagnie israélienne d’électricité est aujourd’hui dans le rouge avec ses 20,6 milliards de dettes dont elle devra s’acquitter sur le champ en cas de durcissement de sa situation financière.
A l’heure actuelle, que fait Israël pour réduire les gaz à effet de serre ? Selon la professeure Ofira Ayalon de l’université de Haïfa, experte en développement environnemental, un plan officiel a été décidé qui prévoit de débloquer quelque 2 milliards de shekels. 1,4 milliard de shekels ont d’ores et déjà été investis en “appareils économes” - une politique qui consiste à accorder aux consommateurs des aides financières pour l’acquisition de réfrigérateurs et climatiseurs moins gourmands en énergie. Mais, fait-elle remarquer, si ces appareils sont utilisés dans des bâtiments inefficaces, l’effet est considérablement réduit. Et pour cause : en cas de mauvaise isolation, les climatiseurs fonctionnent à plein régime puisque l’air froid se perd.
Pour ceux qui doutent encore de la menace du changement climatique, il suffit de regarder les chiffres : cet été, l’hémisphère Nord a affiché une hausse de 4 à 7 degrés par rapport aux températures moyennes. La seule solution pour enrayer la situation : se lancer à fond dans la construction écologique et la restauration de bâtiments anciens. Pour cette génération, et surtout pour les suivantes.