Pour une nouvelle judaïté israélienne

Le projet de loi sur l’union civile est essentiel pour ceux qui, en Israël, tentent de concilier identité juive et valeurs démocratiques.

P9 JFR 370 (photo credit: Marc Israel Sellem)
P9 JFR 370
(photo credit: Marc Israel Sellem)

C’était il y a fort longtemps. J’étais alorsune future jeune mariée pleine de rêves. Je me trouvais au Grand Rabbinat pource qu’on appelait « une séance d’orientation pour les futuresépouses ». L’épouse d’un rabbin nous expliquait, avec des métaphoresmaladroites, les grands principes de la pureté familiale et ses avantages. Pas un mot en revanche sur le concept deskiddoushin – la cérémonie de consécration de la mariée à son époux et à luiseul. Et, bien sûr, l’idée de kiddoushin mutuels n’était même pas l’ombre d’uneéventualité.

J’étais au début de mon cursus universitaire,et pleine d’enthousiasme après ma récente découverte de la Mishna, du Talmud,des Midrashim et de la philosophie juive. J’aurais voulu impartir un peu decette profondeur dans la première cérémonie importante de ma vie d’adulte. Maisle Grand Rabbinat des années 1980 m’a tourné le dos, à moi comme à beaucoupd’autres. Il était clair que, si mon futur partenaire et moi décidions de nousinscrire au rabbinat, il nous faudrait suivre à la lettre la seule cérémonie demariage envisageable, celle du rite strictement orthodoxe.

La coopération problématique entre lapopulation « laïque » et le rabbinat en ce temps-là était telle quenous menions des vies totalement séparées. Il nous arrivait de nous croiserlors de cérémonies importantes : la brit d’un fils, une bar ou bat-mitsva,un mariage, un divorce ou un enterrement. Lors de ces rencontres, un rabbin, engénéral un parfait inconnu qui ne serait jamais une source de conseils ou deréconfort dans le futur, présidait la cérémonie maladroitement, comme s’ilvoulait en finir au plus vite, afin d’échapper au milieu non orthodoxe autourde lui – mais pas avant de recevoir un paiement quelconque dans une enveloppediscrète.

Nous ne voulions pas cautionner cet accordtacite. Nous voulions prendre la pleine responsabilité de cette cérémonie quimarquait un tournant important dans notre vie. Nous ne souhaitions pas nous marierd’une manière qui ne refléterait pas nos personnalités. Nous pensions que cettepremière cérémonie devait ressembler au foyer juif que nous voulionsconstruire. Mais en tant que femme et juive, je ne pouvais pas trouver ma placedans le cadre religieux proposé.

Et comme en ce temps-là il n’existait pasd’autre option en Israël, mon partenaire et moi nous sommes envolés pourChypre, où nous nous sommes mariés au cours d’une cérémonie civile. Ce n’étaitpas l’idéal non plus. Seuls, un samedi matin, dans un bureau sombre de lamunicipalité de Larnaca, l’officiant a débité les questions traditionnelles.Nous avons répondu « I do » comme dans les films américains etéchangé les alliances. Nous étions heureux sur le moment, mais regrettionsl’absence de la famille et des amis et le fait que tout se déroulait dans uneautre langue que la nôtre.

Evolution n’est pas révolution

Aujourd’hui, en tant que députée, l’un de messoucis principaux est de créer une réalité différente pour mes enfants et pourtous les jeunes qui veulent vivre en couple dans l’Etat hébreu.

Ces derniers mois, un processus se met enplace sur le plan civil et politique pour nous rapprocher, petit à petit, d’unjudaïsme « plus accessible » en Israël. Il s’agit d’un processusévolutif, pas d’une révolution. Ceux qui sont derrière ce projet de loiespèrent profiter de l’air du temps, et insuffler des changements au niveau dela législation. Plusieurs propositions sont à l’ordre du jour de la Knessetqui, ensemble, visent à créer une image d’ouverture pour un judaïsme moderne etattrayant. Ils portent sur des questions telles que l’esprit du Shabbat dans ledomaine public, la cacheroute, les funérailles et l’étude de la Torah. L’idéemajeure est de mettre à la disposition du public juif dans son ensembled’autres moyens d’expression culturels et de favoriser en même temps l’égalitécivile et la liberté individuelle.L’une des initiatives clés de ce processus estle projet de loi sur l’union civile, défendu par Yesh Atid, que j’ai eu leprivilège de rédiger avec la députée Aliza Lavie.

Comme de coutume, Yesh Atid a apporté dans ceprocessus de rédaction les valeurs et les sensibilités des communautésorthodoxes et laïques dont nous sommes issus. Cette interaction nous a permisde trouver un juste milieu et de faire progresser nos objectifs sans nuire àl’une des communautés que nous représentons.

L’objectif du projet de loi est de permettreaux citoyens israéliens de choisir librement entre le mariage religieux etl’union civile. La nouvelle institution de l’union civile veut offrir à ceuxqui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier par le biais d’une cérémoniereligieuse sous l’égide du Grand Rabbinat, de vivre en couple, d’une manièrequi ait un sens pour eux, et qui leur alloue tous les droits civils conférésaux couples mariés en Israël aujourd’hui.

La nouvelle loi vise à modifier la situationactuelle, dans laquelle la seule façon légale pour des Juifs résidant en Israëlde se marier et de divorcer passe par le Grand Rabbinat orthodoxe. Cela crée unesituation dans laquelle le rabbinat est obligé de servir des communautés qui nereconnaissent pas son autorité, avec l’antagonisme qui en découle des deuxcôtés.

Contrairement aux initiatives législativesantérieures, toutefois, le but du projet de loi n’est pas de manifester contreou de saper les pouvoirs du Grand Rabbinat. Mariages et divorces orthodoxesresteront sous sa seule juridiction. Le projet de loi tend simplement à créerune voie parallèle civile pour le mariage et le divorce.

Respecter la diversité des courants

Il faut être clair cependant : l’unioncivile, en soi, n’est pas l’équivalent d’un mariage juif. Chaque couple quis’unit par l’union civile peut également, s’il le souhaite, tenir toute autrecérémonie religieuse à sa convenance. Dans cette nouvelle réalité, un couplequi décide de se marier par le rabbinat le fera librement, par un engagementtotal et non par absence d’alternative. Les kiddoushin auront un sens pour lui.Le choix du rabbin sera une part importante de la cérémonie et de leur vie parla suite de couple marié.

Cela bénéficiera à l’émergence d’une nouvellejudéité israélienne. L’union civile est un excellent exemple de législationjuive et démocratique. Elle ouvre de nouvelles possibilités et permet depréserver le caractère juif de l’Etat, tout en conférant à ses citoyens lafaculté d’exercer leurs droits fondamentaux d’une manière qui correspond à lavision qu’ils ont du monde. La puissance, la résilience et la richesseculturelle de la tradition juive découlent de sa capacité à évoluer avec letemps.

Parallèlement aux notions de solidaritéuniverselle entre tous les Juifs, les nombreuses communautés de la diaspora ontsuivi des chemins distincts sur le plan de la tradition. Ici en Israël, nousavons hérité d’un large éventail de courants religieux, de coutumes et decérémonies religieuses variées, de modes de vie différents. Nous devonsrespecter et honorer cette diversité, et encourager l’Etat d’Israël à créer unespace juif accueillant qui englobe, honore et respecte les différentescommunautés juives ainsi que les religions et les groupes minoritaires.

La liberté n’est pas une faiblesse. Aucontraire, le fait de relâcher la pression orthodoxe renforcera le rabbinat etfavorisera la culture juive israélienne. Un certain degré de liberté aidera àrestaurer les liens avec les communautés juives de la diaspora qui, une fois deplus, pourront se tourner vers Israël comme vers leur propre maison. Cela nepeut que nous renforcer et nous enrichir en tant que peuple.

La proposition de loi sur l’union civile estessentielle en Israël pour tous ceux qui tentent de concilier l’identité juiveavec les valeurs démocratiques. Lentement, au fil du temps, nous serons enmesure de voir émerger un Israël plus juif et plus démocratique, dans toute sabelle diversité.

Je crois fermement que la nouvelle loi vaaider les Juifs qui ne se sentent pas à l’aise dans le monde orthodoxe, et, enmême temps, permettre au Grand Rabbinat d’établir une relation plus saine avecle grand public.

Cette nouvelle option civile va apaiser lestensions causées aujourd’hui par le manque d’alternative. Cela va égalemententraîner de nombreux Israéliens laïques à considérer favorablement l’idée del’union civile complétée par un mariage orthodoxe.

Cela incitera, en outre, le Grand Rabbinat àune plus large ouverture d’esprit vis-à-vis des besoins de la population laïqueet à faire un effort – à mon avis, c’est déjà le cas – pour être une sourced’inspiration dans le mariage et la vie juive en général, envers tous ceux quichoisissent de franchir son seuil. 

Titulaire d’undoctorat en études talmudiques, le Dr Ruth Calderon est députée et membre duparti essentiellement laïque Yesh Atid.

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