Loin de la campagne

La première ferme urbaine d’Israël a pris ses marques à Beersheva

Adam Ganson avec des clients. Totseret Guimel est une association à but non lucratif. (photo credit: RAFFI WINEBURG)
Adam Ganson avec des clients. Totseret Guimel est une association à but non lucratif.
(photo credit: RAFFI WINEBURG)
Au début, Adam Ganson se demandait s’il était bien raisonnable de créer une ferme de produits bio juste derrière une station-service. D’autant que le terrain vague proposé par la municipalité de Beersheva était envahi de 70 tonnes de gravats. Mais quand il s’y est attelé et a entrepris de tout déblayer, il a vite apprécié de pouvoir solliciter l’aide des conducteurs de tracteurs qui s’arrêtaient à côté pour faire le plein. En somme, la proximité de la station-service avait du bon…
Morane, sa femme, et lui-même dirigent Shvouat Haadama (les promesses de la terre), une ONG de Beersheva qui vient de lancer Totseret Guimel (Produit à Guimel), la première et unique ferme urbaine commerciale. Elle s’est contentée de reprendre le nom du quartier (Guimel) où elle est implantée ; elle est constituée d’un petit hectare de terrain poussiéreux qui a repris vie et produit désormais des légumes en tous genres, du chou au chou-rave, en passant par la betterave et la tomate.
En Israël, les potagers urbains ont mis un certain temps à faire des adeptes, alors qu’ils ont déjà acquis leurs lettres de noblesse dans bien des villes du globe. L’idée est née du désir d’autosuffisance et du souhait de remédier aux méfaits écologiques de l’agriculture industrielle.
Booster l’économie locale
Pour Ganson, qui gère déjà une poignée de potagers communautaires à Beersheva sous l’égide de Shvouat haadama, l’agriculture urbaine représente un premier pas vers une autosuffisance globale.
« Il y a beaucoup de jardins communautaires en Israël », explique-t-il, « et la plupart atteignent très bien leurs objectifs : créer non seulement des espaces verts, mais des liens entre les gens. »
« Quand nous sommes arrivés, Morane et moi, avons vu là une idée de génie, mais à laquelle il manquait quelque chose. Ce quelque chose, c’était le côté économique ! »
Il ne s’agit pas seulement d’impliquer les habitants et de travailler à défricher des terrains publics à l’abandon, mais d’offrir aux gens un accès à l’alimentation bio tout en boostant l’économie locale. Les produits très locaux qui sont achetés, vendus et consommés chez Guimel font que l’argent circule au sein de la communauté, et des consommateurs venus d’autres quartiers se pressent pour acheter. Tous les revenus générés par le potager (les produits cultivés sont vendus sur des marchés locaux, aux habitants du quartier, ainsi qu’à des restaurants) vont avant tout à l’entretien de la ferme elle-même. Le reste est reversé à la communauté (« Après tout, nous sommes une organisation à but non lucratif », commente Ganson.) Cet argent sert alors à aider des jardins de quartier, des projets ou des événements organisés, comme le festival Ecothiopia, qui en est à sa cinquième édition.
Ce festival, qui vise à promouvoir l’écologie et la culture éthiopienne, a déjà attiré près de 600 visiteurs. On peut y goûter la cuisine éthiopienne, participer à des ateliers, assister à des spectacles de danse et faire des activités liées à l’écologie. « Il s’agit de sensibiliser la communauté aux différentes activités écologiques », précise Ganson.
En ville, rien ne va de soi
Originaire de Cincinnati, aux Etats-Unis, le codirecteur de Shvouat Haadama est un personnage haut en couleur, avec une carrure de géant et un éternel couvre-chef. Auprès de lui, les Tunisiens, les Marocains et les Ethiopiens qui peuplent la ville ont l’air minuscules. Sans parler de l’aura qu’il dégage… Quand il se promène en ville, tout le monde vient lui serrer la main et lorsqu’il va manger un couscous, le patron du restaurant ne manque jamais d’ajouter une boulette supplémentaire sur son assiette en annonçant à qui veut l’entendre : « Offert par la maison ! »
Ganson est un pilier de la communauté. Arrivé à Beersheva en 2012, il a tout de suite commencé à travailler avec les populations d’immigrants dans les jardins communautaires. L’an dernier, il a réussi à obtenir de la municipalité l’autorisation d’utiliser un terrain inoccupé pour créer une ferme urbaine.
C’est à Beersheva que l’on trouve le plus grand nombre de terrains inemployés d’Israël, aussi la municipalité a-t-elle accepté de lui louer ce lopin de terre tout en l’exemptant de taxes pendant cinq ans. Un changement de taille pour les habitants du quartier Guimel, puisque le terrain était à l’abandon depuis vingt ans.
Faire pousser des légumes dans la ville réclame de grandes capacités d’adaptation : il faut prendre ce que le milieu urbain a à offrir et le préparer en vue de cultiver, tout en sachant qu’en ville, rien ne va de soi.
Car, une fois le terrain débarrassé de ses gravats, il doit être labouré. Le faire avec un motoculteur aurait pris deux heures ; seulement, les motoculteurs ne se louent qu’à la journée. Une somme importante que Shvouat Haadama a choisi de ne pas débourser, préférant tout faire à la main. Même chose quand Ganson a voulu acheter des semences bio : la commande minimum représentait à peu près 500 fois la quantité dont on avait besoin…
L’agriculture n’est plus ce qu’elle était
« L’agriculture traditionnelle n’a aucune idée de la manière dont elle doit nous traiter », explique Ganson. Le personnel de Shvouat Haadama et « l’extraordinaire groupe de volontaires qui travaillent avec nous » sont donc contraints de trouver des solutions.
« C’est la partie la plus belle de l’aventure ! » s’exclame-t-il. « Avec l’industrialisation et les réseaux de transports massifs, l’agriculture n’est plus ce qu’elle était. Elle est devenue trop complexe, elle a oublié à quel point il est simple d’exploiter la terre. Mais les gens qui ont envie de voir pousser leurs légumes et de comprendre comment ils arrivent à maturité en ont le droit. « Toute personne », ajoute-t-il, « ressent un jour le besoin d’interagir avec la terre, de prêter attention aux petites choses, de voir comment la graine se transforme peu à peu en ce que l’on va manger… Je trouve qu’il y a beaucoup de spirituel là-dedans ! »
L’agriculture israélienne revêt déjà une sorte de dimension spirituelle, étant donné sa relation au sionisme et à la naissance d’une nation. C’est, comme dit Ganson, « une vache sacrée », une industrie très innovante et talentueuse. Chaque année, les agriculteurs se font moins nombreux, tandis que la quantité de nourriture produite augmente, avec une durabilité plus importante. Généralement, il s’agit là d’une bonne chose. Cependant, moins d’agriculteurs à la campagne signifie plus d’anciens agriculteurs à la ville. Et pas seulement… Les villes deviennent de plus en plus peuplées de gens qui posent de nouveaux défis, qui ont des questions et des besoins.
Partages entre voisins
« Quitter la campagne pour la ville s’apparente à une bénédiction, puisque c’est la seule façon pour nous, êtres humains, d’exister durablement », estime Ganson. « Le problème, c’est que nous devons créer nos villes de manière à pouvoir y subsister de façon durable. »
Pour lui, la durabilité doit tout inclure. Il ne s’agit pas seulement de relier les gens à la terre et au cycle de la nature, mais de tisser des liens entre divers groupes de population pour constituer une communauté unie.
« Nous nous trouvons en plein centre d’un quartier, ainsi nous avons des contacts permanents avec les voisins », dit-il. « Et c’est très important. »
Car ces voisins peuvent créer leur propre cycle de partage de connaissances et d’apprentissage. Le but de Ganson est de former un petit groupe d’agriculteurs urbains qui étendront ensuite leurs efforts pour prodiguer leur savoir dans toute la ville. Dans les cours qu’il a prévu de donner, il entend enseigner comment on cultive en environnement urbain. La ferme Guimel, espère-t-il, ne sera qu’un point de départ pour inspirer les gens et parvenir à étendre le réseau des potagers urbains. « Le seul moyen pour que l’agriculture urbaine puisse prendre forme et naître n’importe où, c’est de mettre en place un réseau de fermes qui fonctionnent bel et bien et produisent de la nourriture », explique-t-il.
Avec ses nombreux terrains inemployés, Beersheva se prête tout particulièrement à un tel projet. Toutefois, si la vision de Ganson doit se réaliser, il faudra innover et trouver des modes de culture plus créatifs.
« Nous devons être interventionnistes quand nous planifions nos paysages urbains », conclut Ganson. « Car ceux-ci font partie de l’obligation démocratique que nous avons vis-à-vis de notre société. »
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