Rendre la vue aux aveugles

Une micropuce israélienne pourrait bientôt rendre leur indépendance aux non-voyants

Efi Cohen Arazi équipé de ses lunettes révolutionnaires (photo credit: BERNARD DICHEK)
Efi Cohen Arazi équipé de ses lunettes révolutionnaires
(photo credit: BERNARD DICHEK)
Lorsqu’il était petit, il arrivait que l’on confie à Efi Cohen Arazi la garde de sa grand-mère. Car cette dernière était aveugle. « C’était très dur pour elle de se retrouver totalement dépendante des autres. Elle ne pouvait rien faire seule, ni se servir à boire, ni se déplacer dans la maison », se souvient-il. D’autant que c’est à un âge avancé que la vieille dame a perdu la vue, à la suite d’une dégénérescence maculaire (DMLA), maladie qui, en août 2013, endommageait les capacités visuelles de 8 % de la population française.
Nano Retina, une start-up cofondée par Efi Cohen Arazi en 2009, vient de mettre au point une technologie dont l’ambition est de rendre la vue aux personnes atteintes de DMLA ou d’autres maladies de l’œil. La fabrication du produit a commencé début mars dans une usine de semi-conducteurs du nord d’Israël. « Nous en équiperons le premier patient en 2016 », annonce Cohen-Arazi.
Nano Retina ressemble aux organes bioniques que l’on voit dans les films de science-fiction. Implantée à l’intérieur de l’œil, une micropuce fonctionne grâce à une alimentation électrique sans fil transmise par une batterie, elle-même placée dans une paire de lunettes que doit porter le patient. De la taille d’un quart de timbre-poste, le système équivaut à une caméra miniature qui convertit les images en messages neuronaux envoyés au cerveau. Celui-ci les décode alors avec une clarté visuelle de 600 pixels, ce qui correspond à la qualité d’image des tout premiers appareils photo numériques. Dans la version de deuxième génération, cette netteté devrait passer à 2 000 pixels.
« L’insertion de la micropuce dans l’œil se fait au cours d’une opération de 20 minutes relativement simple », explique Efi Cohen Arazi, en présentant le minuscule produit sur le bout de son index. Il chausse ensuite les lunettes associées et conclut : « Grâce à ça, beaucoup de gens vont pouvoir recouvrer leur indépendance. »
Sachant que cette technologie brevetée remet en rapport des nerfs qui avaient cessé de communiquer entre eux, d’autres applications possibles sont désormais à l’étude, dont la réparation de ruptures du canal rachidien.
Du côté des investisseurs
Cette technologie de pointe n’a pas manqué d’attirer des investisseurs israéliens, mais aussi américains et chinois.
Le premier d’entre eux, israélien, est Rainbow Medical. La société d’investissement et de gestion a déjà fondé 12 entreprises de matériel médical depuis sa création en 2008 par Efi Cohen Arazi et deux grandes figures de la scène commerciale israélienne, Leon Recanati, rejeton d’une importante dynastie bancaire et directeur général de GlenRock Israel, et Yossi Gross, homme d’affaires spécialisé dans le matériel médical. Avant de devenir PDG de Rainbow Medical, Efi Cohen Arazi a occupé des postes de direction dans des entreprises israéliennes, suisses et américaines spécialisées dans le domaine de la santé, en particulier chez Amgen, l’un des plus grands noms de la biotechnologie dans le monde.
Côté américain, c’est Jim Von Ehr, expert en nanotechnologies et créateur des laboratoires texans Zyvex Labs, qui s’est lancé dans l’aventure, en investissant des fonds et en participant à la création de Nano Retina. « Yossi et moi avons rencontré Jim à un congrès à Dallas », raconte Efi Cohen Arazi. « Il nous a fait visiter ses installations et nous avons vu le potentiel unique que présentait sa plateforme de nanotechnologie. Du coup, nous avons reporté notre vol de retour et sommes restés à Dallas pour travailler avec lui sur le concept de Nano Retina. »
Quant à l’investisseur chinois, il n’est autre que la compagnie d’assurances Ping An, qui gère un capital de plus de 600 milliards de dollars et emploie plus de 800 000 personnes. Efi Cohen Arazi rêvait depuis de nombreuses années de collaborer avec la Chine, car il existe, selon lui, une excellente adéquation stratégique entre la Chine et Israël en matière de technologie médicale.
« Leur marché ne cesse de croître. Leur classe moyenne, qui compte déjà plus de 300 millions de personnes, est en pleine expansion », fait-il observer. D’où le budget de 70 milliards de dollars alloué par le gouvernement chinois dans son plan quinquennal actuel pour le développement dans le secteur de la santé. Et puis, ajoute-t-il, les Chinois tiennent la technologie et la culture israéliennes en haute estime. « Seulement, pour pouvoir travailler avec eux, il faut être sur place », explique-t-il. Ainsi se rend-il lui-même très souvent en Chine et connaît-il très bien le mode de vie et les habitudes des habitants.
Efi ne craint pas de voir les produits israéliens copiés illégalement. Nano Retina et les autres technologies figurant au catalogue de Rainbow Medical sont extrêmement complexes, affirme-t-il. En outre, Rainbow Medical reste majoritaire dans l’entreprise. A la différence du contrat très controversé conclu entre Tnouva, le célèbre fabricant israélien de produits laitiers, et une société chinoise, qui en a acquis 75 % des parts, Ping An demeure un actionnaire minoritaire chez Nano Retina.
Le couple Israël-Chine, une valeur sûre
La collaboration avec Ping An a représenté un tournant pour Rainbow Medical. Depuis, d’autres investisseurs chinois ont acquis des parts dans une autre société du groupe, GluSense, qui a mis au point un implant destiné aux diabétiques. « En introduisant en Orient de nouvelles habitudes alimentaires, l’Occident a eu une influence très néfaste sur les populations », fait observer Efi Cohen Arazi. « Les Chinois se sont mis à consommer beaucoup de produits céréaliers, comme le pain, et de fritures, comme les beignets. D’où la montée en flèche du diabète en Chine. »
Mais l’événement le plus significatif pour Efi reste l’apport de 25 millions de dollars versés par des investisseurs chinois dans la société Rainbow Medical, en vue de soutenir des projets existants ou futurs. Outre Ping An, le groupe a ainsi suscité l’intérêt de ZTE, le géant chinois des télécommunications, ainsi que celui d’une importante compagnie de gestion financière et de plusieurs fonds chinois de capital-risque.
« Les Chinois sont en train de diversifier leurs investissements et Israël est un pays qui les attire », affirme Efi Cohen Arazi. Désormais, Rainbow Medical possède à Shanghai des bureaux qui fonctionnent à plein temps sous la houlette d’une responsable chinoise.
« La nation cerveau »
Ces 25 millions de dollars ont atterri dans l’escarcelle de Rainbow Medical quelques semaines avant la conférence Brain Tech. Un événement dédié à la recherche sur le cerveau humain, qui a eu lieu à Tel-Aviv en mars. Beaucoup de jeunes inventeurs et aspirants entrepreneurs israéliens se trouvaient dans la salle quand Efi Cohen Arazi a présenté les divers projets de Rainbow Medical.
Présent dans la salle, Shimon Peres, ancien président de l’Etat, visionnaire et passionné de technologie, a alors émis l’idée de faire d’Israël un centre mondial en matière de technologie du cerveau. « Nous voulons passer de “nation-start-up” à “nation-cerveau” », a-t-il déclaré.
Car plus d’une centaine d’entreprises israéliennes ont déjà mis au point ou sont en train de développer des technologies liées au cerveau. Parmi elles, figurent Lifegraph, qui utilise des smartphones pour contrôler l’état de patients atteints de maladies psychiatriques, NiNiSpeech, qui propose un système pour aider les bègues à parler avec plus de fluidité, et Myndlift, qui exploite le neuro-feedback pour calmer les hyperactifs (souffrant du TDAH, trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité) et améliorer leur niveau de concentration.
« Il existe une multitude de brillants scientifiques israéliens dont les idées méritent d’être commercialisées », estime Efi Cohen Arazi. Avec le très novateur modèle de R&D low-cost de Rainbow Medical, combiné à des capitaux d’investissements venus du monde entier, sa compagnie devrait pouvoir lancer beaucoup de nouvelles start-up dans un avenir proche.
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