En quête de leurs racines

Calqué sur le modèle de Taglit, un programme permet à de jeunes Palestiniens de l’étranger de se rendre en Cisjordanie pour découvrir leur identité

Groupe palestinien (photo credit: TML/Dudi Saad)
Groupe palestinien
(photo credit: TML/Dudi Saad)

Les participants sont rassemblés surl’esplanade de la Mosquée Al-Aqsa, dans la Vieille Ville de Jérusalem, pour unephoto. Ils ressemblent à n’importe quel groupe scolaire de visite en Israëlpour un voyage d’été. Le photographe compte jusqu’à trois : “Palestine libre”,crient-ils tous en coeur, en riant.

Les 42 membres, moitié de Chrétiens et moitié de Musulmans, âgés de 18 à 25ans, sont ici pour un voyage de deux semaines appelé “Connais ton héritage” etsponsorisé par la fondation oecuménique chrétienne de Terre sainte. La plupartd’entre eux viennent des Etats-Unis, quelques-uns d’Australie, du Canada, d’Angleterre,ou encore de France.

Excepté sept garçons, le groupe est composé de filles, précise Rateb Rabie,président et fondateur de l’association. “C’est bien, parce que ce sont ellesqui vont ensuite élever leurs enfants. Cela les aide à comprendre leursracines”, notet- il. Aux participants de payer leur billet d’avion, puis lafondation, ainsi que d’autres sponsors, comme la Banque de Palestine ou Paltel,compagnie de télécommunications palestinienne, prennent en charge le reste duvoyage. “Les jeunes voient comment les Palestiniens vivent ici”, continueRabie, “comment ils ont construit un Etat sous occupation. Un accord est àvenir, quoiqu’en disent les médias, et nous seront prêts à faire fonctionnercet Etat”.

La plupart des participants ont déjà rendu visite à de la famille enCisjordanie, et parlent arabe. Mais ce voyage leur permet de renforcer leuridentité palestinienne, affirment-ils. “Je vais savoir qui est mon peuple”déclare Noor Diab, 23 ans, jeune diplômée de San Diego

Diab porte un hijab bleu ciel, qu’elle a mis pour se rendre à la mosquée. Ellea ensuite décidé de le garder pour le Saint Sépulcre. La jeune femme a trouvéla visite de la mosquée très forte, mais reproche les contrôles de sécuritéisraéliens : “Quand je suis dans une mosquée, je me sens à la maison. Mais lesdétecteurs de métaux et les check-points vous éloignent de la spiritualité dela terre. J’aimerais venir ici un jour sans que l’on me demande ma race ou mareligion”.

La Cisjordanie prend son envol

Pour accéder à la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam, lesvisiteurs empruntent une étroite passerelle qui mène au Mont du Temple. Surl’esplanade, le Waqf (organisme musulman indépendant) est en charge de lasécurité. Les soldats de Tsahal sont également autorisés à patrouiller et àmener des recherches.

Là, le groupe de jeunes a été confronté de plein fouet à la séparation desreligions : les gardes musulmans n’ont pas laissé entrer les délégués chrétiensà l’intérieur de la mosquée, l’accès étant strictement réservé aux Musulmans.Les touristes occidentaux sont également exclus. Plusieurs des membres dugroupe, comme la femme de Rabie, Rocio, originaire d’Equateur, sont allés seplaindre à l’administration.

Quelques-uns ont même essayé de négocier pour entrer. “C’était vraimentdécevant”, déplore Mohammed Iftaiha, un conseiller financier, et chef dugroupe, de Virginie. “C’était la première fois que la question de la religions’imposait à nous”.

Pendant le voyage, les étudiants ont séjourné à Bethléem. Mais Ramallah,capitale économique de Cisjordanie, figurait bien sûr au programme. Là, legroupe a pu rencontrer Hashim Shawa, président et directeur général de laBanque de Palestine. Selon lui, ces jeunes gens doivent réfléchir à ce qu’ilspeuvent faire pour aider à la construction du futur Etat palestinien. “Le paysne doit pas seulement être construit avec les aides américaines.

Ce dont il a vraiment besoin, c’est de l’investissement de sa proprepopulation, comme venir travailler un an ou deux ici, par exemple”, lance-t-il.Jusqu’à récemment, explique-t-il, pour Visa et Mastercard, la Cisjordaniefaisait partie d’Israël. Mais la Banque de Palestine a eu à coeur de lesconvaincre de considérer ce territoire comme un “Etat indépendant”

Aujourd’hui, tous les paiements par cartes bleues s’opèrent via la Banque dePalestine, le plus gros établissement bancaire de Cisjordanie. Egalement auprogramme du groupe : la société de téléphonie Paltel. La politique s’invitedans le débat quand le directeur commercial Kamal Abou-Khadijeh décrit lesdifficultés rencontrées par sa compagnie.

“Nous ne pouvons pas desservir la zone C”, explique-t-il, faisant référenceaux 60 % de la Cisjordanie sous seul contrôle administratif et militaire israélien.“Si nous ne pouvons pas installer nos propres antennes-relais, nous offrons unservice limité. Vous devez faire partie d’un réseau israélien pour opérer d’unlieu à un autre”.

En conséquence : bon nombre de Palestiniens possèdent deux téléphones portables.Un numéro palestinien et un numéro israélien, afin de pouvoir couvrir toute lazone. Autre remarque d’Abou- Khadijeh : les commutateurs sont situés enJordanie et à Londres, alors que la compagnie opère en Cisjordanie.

Le programme “Connais ton héritage” est vaguement calqué sur le célèbreTaglit, qui a conduit quelque 300 000 Juifs, de 18 à 26 ans, en Israël, dans lecadre d’un séjour de 10 jours, pour renforcer leur identité juive. Un succèstel que la famille du millionnaire Sheldon Adelson, magnat des casinos, apromis un don de 13 millions de dollars pour réduire la longue liste d’attente.Mais pour Rabie, “Connais ton héritage” est différent du tour organisé parTaglit. “Les Juifs nous ont proposé de bonnes idées, et nous les remercions”, dit-il.“Mais nous avons un but différent, et nous ne sommes pas impliqués dans lapolitique ou la religion”.

Vers un dialogue ?

Le mot “diaspora” est un terme juif, reconnaîtil, mais les Palestiniensl’ont d é s o r m a i s adopté pour faire référence aux sept millions des leursqui vivent à l’étranger. Pour la plupart des participants, l ’ o b j e c t i fmajeur du voyage consiste à renforcer leur lien avec la Cisjordanie et avecleur héritage palestinien.

Pour Hadeel Abnadi de San Diego, il s’agit de la première visite. Son père,né à Lod, est parti pour la Jordanie en 1948. A 14 ans, il s’envole pour lesEtats-Unis et s’inscrit à l’Université de Michigan. Après la fac, il estretourné à Aman où il a rencontré sa future femme, jordanienne.

“J’ai tenu à faire ce programme parce que j’ai toujours entendu deshistoires sur notre terre”, explique la jeune femme. “Je regardais CNN etAl-Jazzera et voulais voir la terre que l’on se disputait. Connaître la cultureet mes racines. Quand on voit la réalité sur le terrain, tout est remis enperspective”.

Même son de cloche chez Sarah Ikhnayes, 23 ans. Son père, né à Surif a vécudans le camp de réfugiés de Deheishe, des environs de Bethléem. Elle-même estnée au Koweït, où elle a grandi dans un camp de réfugiés appelé Talibiye,jusqu’à l’âge de 8 ans, avant que la famille ne rejoigne New York. “C’étaitgénial de revenir sur la terre où mon père, mes grands-parents et mesarrière-grands-parents sont nés”, dit-elle. “Cela nous permet d’avoir unnouveau niveau de connaissance de notre héritage”.

Dans le cadre de Taglit, les participants rencontrent des Arabesisraéliens, mais aucun Palestinien de Cisjordanie. Idem pour “Connais tonhéritage” : au programme du voyage organisé, nul débat avec des Israéliens.Rabie déclare pourtant ne pas être contre l’idée d’établir un dialogue avec desIsraéliens ou des participants juifs de Taglit. “C’est la chose la plusimportante”, note l’organisateur. “Quand les gens sont assis face à face, ilsreviennent à la raison”.

Un désir qui émane aussi de la part de certains participants. “J’aimeraisrencontrer les jeunes générations israéliennes”, avance Wassam Rafidi, 21 ans,de Houston, Texas. “Les anciennes générations sont impliquées dans la guerre etdans les combats. Le ressentiment est trop fort des deux côtés. Vous vousrappelez toujours, vous ne pouvez pas oublier, mais nous, nous voulonspardonner. C’est à la jeune génération de faire cela”.