Egypte-Israël : le dégel se fait attendre

Le président al-Sissi aura-t-il le courage d’initier un rapprochement avec l’Etat juif ?

Rencontre entre le Premier ministre israélien et Sameh Shoukry, en juillet à Jérusalem (photo credit: REUTERS)
Rencontre entre le Premier ministre israélien et Sameh Shoukry, en juillet à Jérusalem
(photo credit: REUTERS)
Il y aura bientôt quarante ans que le président Sadate a changé le cours de l’histoire en se rendant à Jérusalem en 1977, ouvrant la voie aux accords de paix qui ont suivi deux ans plus tard. On parle beaucoup en Israël de la coopération sécuritaire entre les deux pays relative au terrorisme islamique dans le nord du Sinaï, même si l’Egypte se montre nettement plus discrète sur le sujet. Mais au-delà de cela, la « paix froide », terme inventé dans les années Moubarak, ne se réchauffe guère malgré quelques récentes démonstrations de bonne volonté.
Certes, après un hiatus de quatre ans, il y a de nouveau un ambassadeur égyptien en Israël et l’ambassade de l’Etat juif au Caire a rouvert ses portes – dans les locaux de la résidence de l’ambassadeur. Sameh Shoukri, ministre égyptien des Affaires étrangères, a fait une visite remarquée à Jérusalem ; mieux, répondant aux questions d’élèves de lycée à son retour, il a déclaré que les efforts d’Israël pour se défendre ne pouvaient être qualifiés de terrorisme. Enfin, lors de la récente vague d’incendies, deux hélicoptères égyptiens sont venus prêter main-forte aux pompiers israéliens. Du jamais vu. Cependant, cela n’a pas été plus loin.
Priorité : l’économie
Pourtant, l’arrivée au pouvoir du président Sissi, qui venait de sauver son pays de la dictature islamique, avait fait naître l’espoir d’un dégel. Mais cela ne s’est pas – encore ? – produit. Il semble que le président consacre actuellement tous ses efforts au développement économique du pays. On l’a ainsi vu mettre son régime en péril en acceptant les conditions draconiennes du Fonds monétaire international pour l’octroi d’un prêt de douze milliards de dollars dont le pays a désespérément besoin : à cette fin, le chef d’Etat a fait flotter la livre égyptienne et introduit la TVA pour la première fois, après avoir supprimé les subventions aux produits de première nécessité. Conséquence : une hausse des prix sans précédent. Cependant, les manifestations de protestation attendues n’ont pas eu lieu. Le peuple a apparemment compris qu’il n’y avait pas d’autre choix pour sortir de la crise. Parallèlement à ces réformes économiques, le président a également fait preuve d’audace sur le plan religieux en s’adressant aux Sages de l’université al-Azhar, l’institution la plus révérée du monde sunnite, pour leur demander de procéder à une réforme de l’enseignement de l’islam visant à éliminer les contenus les plus extrémistes. Sous le choc, ces derniers n’ont pas encore réagi.
Abdel Fattah al-Sissi aura-t-il le courage, et les moyens, d’aller plus encore de l’avant en normalisant les relations avec Israël ? Un geste qui aurait non seulement un impact positif sur la paix au Moyen-Orient, mais bénéficierait à l’économie des deux pays. Aujourd’hui les échanges commerciaux sont bien modestes : de 150 à 250 millions de dollars par an, avec une pointe dans les années 2010-2012 quand l’Egypte exportait du gaz naturel vers son voisin. Ces échanges découlent d’accords entre gouvernements et non de personnes privées. Il s’agit essentiellement du traité sur les « zones industrielles qualifiées » ou QUIZ, intervenu en 2004, qui donne aux textiles égyptiens la possibilité d’accéder au marché américain sans droits de douane, dans le cadre des traités de libre-échange entre Israël et les Etats-Unis. Seule condition : 10,5 % du produit fini doit venir d’Israël. Grâce à ce pacte, les exportations égyptiennes sont passées de 200 millions de dollars par an à plus d’un milliard, donnant du travail à 700 entreprises qui emploient 280 000 personnes.
Partenariats à fort potentiel
Le marché de l’énergie a suscité de grandes espérances. Moubarak avait donné son aval à un projet réunissant l’Egyptien Hussein Salem et l’Israélien Yossi Meiman pour réaliser une raffinerie à Alexandrie avec la compagnie pétrolière nationale égyptienne. Mais les deux hommes d’affaires ont rapidement vendu leurs parts, et se sont tournés vers l’exportation de gaz naturel égyptien en Israël. Une affaire mutuellement rentable qui a pris fin en 2012, suite aux sabotages répétées du pipeline. De fait, l’exportation n’aurait pas pu durer encore très longtemps, Moubarak ne s’étant pas préoccupé de la recherche de nouveaux gisements. Aujourd’hui, s’il est de nouveau question d’exportation, c’est en sens inverse : le gaz du gisement israélien offshore Leviathan devrait être acheminé en Egypte à compter de 2019, par le biais d’un réseau complexe de sociétés internationales. Toutefois, les accords conclus pourraient être remis en question suite à la découverte de nouveaux gisements en Egypte.
Le tourisme – à sens unique – a longtemps été florissant. Des centaines de milliers d’Israéliens se rendaient chaque année en Egypte, qui dans les stations balnéaires du Sinaï, qui pour visiter les pyramides et autres merveilles de ce pays que leurs ancêtres ont quitté voici 2 300 ans. Des prévisions optimistes faisaient état d’un potentiel d’un million de visiteurs par an, une manne évaluée à plus d’un milliard de dollars. Jusqu’à cinq vols hebdomadaires directs pour l’Egypte ont été mis en place par El Al, et autant par la compagnie égyptienne Air Sinaï. Mais le terrorisme et la situation sécuritaire ont mis un terme à tout cela. El Al a cessé ses vols, et seuls quelques milliers d’Arabes israéliens se rendent encore en Egypte.
Dans les premières années de paix, Israël avait généreusement fait profiter l’Egypte de ses avancées dans le domaine de l’agriculture et de son expertise dans la culture de fruits et légumes en zones désertiques. Des fermes modèles ont été créées le long de la route du désert reliant Le Caire à Alexandrie. Des milliers d’agriculteurs égyptiens ont suivi une formation au kibboutz Bror Hayil, et ont reçu, à leur retour, des lopins de terre afin de mettre en application les techniques apprises. La production agricole égyptienne s’est véritablement envolée : le pays des pyramides, devenu autosuffisant, s’est même lancé dans l’exportation de primeurs vers l’Europe. Malheureusement, la propagande islamiste a étouffé cette coopération : on a accusé Israël de chercher à « empoisonner » la terre égyptienne. La chute de Moubarak a mis définitivement fin à une collaboration qui avait tant apporté à l’Egypte.
Et maintenant ? Pris en étau entre une économie en péril et le terrorisme dans le Sinaï et le long de la frontière poreuse avec la Libye, sans compter un establishment religieux rétif, Sissi est-il en mesure d’amener le dégel tant attendu ? Il est sûrement conscient des bénéfices potentiels qui en découleraient pour le pays : renouveau de la coopération agricole, transferts de technologie dans l’industrie et le high-tech, investissements, échanges sportifs et culturels. S’il existe des obstacles de poids – la question palestinienne ainsi que l’antagonisme, pour ne pas dire la haine, des vieilles élites islamistes ou nationalistes – des voix s’élèvent pour dire que l’Egypte a déjà fait beaucoup pour la cause palestinienne, et pour pointer la corruption des dirigeants palestiniens. Quant aux vieilles élites, elles vieillissent… L’aube d’une nouvelle ère ?
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