Favoriser l'accès des handicapés à la high-tech.

Le Brésil donne le « la » et Israël répond présent

Virginia Chalegre : changer le point de vue des individus sur les handicapés au travail (photo credit: DR)
Virginia Chalegre : changer le point de vue des individus sur les handicapés au travail
(photo credit: DR)
Le Dr Virginia Chalegre est investie d’une mission : offrir aux personnes handicapées une vie meilleure et plus d’autonomie. Nous avons rencontré cette brillante informaticienne brésilienne au lendemain d’une conférence à Beersheva, lors de laquelle ont été présentés les plus récents développements en matière de tests logiciels. Virginia Chalegre a époustouflé les participants, qui ont découvert son travail dédié aux malvoyants et malentendants.
« Au Brésil, nous lançons des projets qui changent la vie des gens », dit-elle avec enthousiasme. Sa vocation et celle de son entreprise, T-Access : mettre au point des tests logiciels axés sur l’accessibilité pour les handicapés. « Nous avons des projets avec des aveugles, des sourds et des personnes ayant une déficience intellectuelle. L’objectif est de former cette population à réaliser ces tests logiciels. Nous voulons leur donner la possibilité de travailler dans des entreprises de haute technologie. »
En 1999, le Brésil a voté une loi exigeant que les sociétés de plus de 100 employés engagent des personnes souffrant de handicaps. « Mais il y a la théorie et la pratique », explique la jeune femme. « Il y a d’un côté la loi, et de l’autre, des employeurs qui n’ont pas la compétence pour former les handicapés. » C’est donc ce à quoi s’attelle T-Access : donner à ces personnes la possibilité de réussir sur le marché du travail. « Ils manquent d’opportunités pour étudier et trouver des emplois. Ce qui a bien sûr des incidences socio-économiques et des répercussions psychologiques négatives. En règle générale, les personnes handicapées sont pauvres et souffrent d’un manque d’estime de soi. Elles sont cantonnées à des emplois où elles n’ont pas beaucoup besoin de réfléchir. » L’objectif de Virginia Chalegre est donc de changer les mentalités et de faire en sorte que le potentiel des handicapés soit mieux évalué. Elle veut prouver qu’ils sont tout à fait aptes à occuper des emplois « normaux », voire à faire carrière.
Israël emboîte le pas
« Au Brésil, 45 millions de personnes souffrent d’un handicap. Sur une population totale de 190 millions, cela représente 23 % », explique Virginia Chalegre. « En Israël, il me semble que la situation est similaire. Selon mes recherches, un million de personnes en âge de travailler sont handicapées. Sur une population de huit à neuf millions, cela fait beaucoup. »
Selon les données recueillies par plusieurs organismes de statistiques et publiées en 2014, 50 % des personnes ayant des besoins spécifiques en Israël travaillent, contre 72 % pour le reste de la population. Ceux qui travaillent gagnent en moyenne 1 400 shekels de moins par mois que les employés sans handicap. 61 % des personnes handicapées ne sont ainsi pas satisfaites de leurs revenus, contre 41 % des non handicapées. Et 54 % des handicapés qui travaillent sont dans l’incapacité de couvrir leurs dépenses mensuelles, contre 36 % des autres travailleurs. Enfin, près d’un quart (22 %) des personnes souffrant d’un handicap disent vouloir travailler, mais peinent à trouver un emploi, ce qui s’explique aisément dans la mesure où seulement 5,4 % des employeurs israéliens sont prêts à les embaucher.
Le travail du Dr Virginia Chalegre semble donc venir à point nommé. Surtout compte tenu du fait qu’Israël se positionne comme leader sur le marché des hautes technologies.
La révélation d’un sacerdoce
Virginia Chalegre a trouvé sa vocation il y a quelques années déjà. « Je préparais mon master qui devait porter sur les tests logiciels. En parallèle, au sein de l’entreprise dans laquelle je travaillais, j’avais parfois affaire à des aveugles. Je ne savais absolument pas comment m’y prendre avec eux, mais j’ai été sidérée de voir ce qu’ils étaient capables de faire. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’ils puissent travailler aussi bien. » Pour la jeune femme, cette rencontre est déterminante. Elle informe immédiatement son directeur de thèse qu’elle oriente ses recherches vers un autre sujet. « Je lui ai dit que j’avais trouvé ma voie », se souvient-elle. « J’ai commencé par une tentative d’adaptation des tests logiciels pour les malvoyants. Une fois mon master en poche, j’ai publié un livre sur les tests d’accessibilité, et j’ai fondé mon entreprise. » C’était en 2011.
La jeune pionnière n’en démord pas : la notion de handicap est relative. « Tout le monde a des limites quelque part. Moi, par exemple, dès que des gens parlent hébreu autour de moi, je suis handicapée, étant incapable de les comprendre. Les malvoyants qui utilisent notre logiciel peuvent accéder à son contenu avec un clavier et grâce à leur ouïe. Ils entendent les informations beaucoup plus rapidement que nous. Il m’est impossible de les comprendre à une telle vitesse. C’est là que j’ai réalisé que moi aussi je suis une personne handicapée. »
Virginia Chalegre insiste : les personnes handicapées représentent une manne pouvant enrichir les forces vives du pays, pour peu qu’on leur en donne les moyens. La jeune femme se réjouit des très nets progrès réalisés au Brésil, même s’il reste encore un long chemin à parcourir. « Dans certaines entreprises, par exemple, les sourds assistent à des réunions, mais ils ne peuvent avoir accès au contenu des discussions qu’en lisant le compte rendu qui leur est envoyé par mail plus tard. Ils ne bénéficient pas d’une traduction simultanée en langage des signes. Tout le monde est perdant. L’entreprise se prive ainsi de la participation active des employés malentendants, de leur contribution aux discussions, tout en freinant leur implication dans la vie de la société. »
Egalité des chances
L’insertion des personnes souffrant de handicaps dans le marché de l’emploi est, estime Virginia Chalegre, un vaste défi que le monde du high-tech doit relever. « Nous le pensons et nous y travaillons au Brésil. Et c’est aussi pourquoi je suis venue en parler ici. J’ai rencontré des chefs d’entreprise à Tel-Aviv qui cherchent des moyens d’intégrer les handicapés. Et je veux les y aider. Un simple exemple : quand des aveugles viennent à une réunion, ils ont envie de savoir combien de personnes sont présentes dans la salle, comment sont disposées les chaises, et où ils peuvent s’asseoir. Les aveugles veulent avoir le droit de faire des choix – y compris pour des choses aussi élémentaires que choisir sa place dans une pièce. » Déjà, Virginia Chalegre a commencé à travailler avec Esther Zabar, une collègue israélienne du centre AQA. Son rôle est de mettre sur pied des formations pour autistes et personnes atteintes du syndrome d’Asperger, afin de pouvoir les intégrer dans le monde du travail. Esther Zabar est à la recherche d’entreprises israéliennes qui ont envie de donner à ces personnes aux besoins spéciaux une chance équitable.
« Je veux parcourir le monde et démontrer aux gens sans handicap, qu’il est tout à fait possible d’intégrer les personnes handicapées dans le monde du travail », insiste Virginia Chalegre. « Leurs capacités sont largement sous-estimées. Les gens ont des idées préconçues, et je veux changer cela. »
Avant de nous séparer, le Dr Chalegre et moi avons échangé nos cartes de visite. La sienne, bien qu’esthé­tique et intelligemment conçue, m’a fait une étrange impression. « C’est du braille », m’a-t-elle expliqué. Evidemment
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