Extrait de l’un des cours sur Roch Hachana du Grand Rabbin Sitruk

Le Grand Rabbin Sitruk était avant tout un enseignant exceptionnel dont la voix a rapproché des milliers des juifs de la Torah.

Le Grand Rabbin de France (photo credit: REUTERS)
Le Grand Rabbin de France
(photo credit: REUTERS)
S’il est un temps dans l’année où il ne faut pas perdre une minute, c’est bien durant les dix jours qui séparent Roch Hachana de Yom Kippour : à ce moment, nous nous trouvons en effet entre le tribunal d’instance et la cour d’appel, entre le jugement du Nouvel An et la révision de celui-ci qui a lieu au Grand Pardon. C’est pour cela qu’il nous faut considérer cette période avec toute la gravité recommandée par nos Sages. La mitsva du chofar nous enseigne quelle direction prendre.
A propos des lois de Roch Hachana, le Rav Moshe Shapira se demande pour quelle raison il est prescrit d’écouter le chofar une fois assis et une autre debout. Le Talmud nous explique que c’est pour « mélanger » (learbev) le Satan, incarné aussi bien par le penchant au mal que les obstacles que nous dressons sur notre route. Pourquoi le chofar a-t-il donc cette vertu de confondre le Satan ?
Le chofar est mentionné à trois reprises dans la Torah. Une fois lors du don de la Torah, une autre à propos de Roch Hachana appelé « le jour du jugement », et la dernière au moment de la venue du Messie. Ces événements sont d’une extraordinaire puissance : le premier renvoie à la raison d’être du peuple juif, la Torah ; le second constitue le jugement de notre vie, quant au troisième il renvoie au jugement de l’humanité. Il faut remarquer qu’à chaque évocation du chofar, le mot harad (trembler) lui est systématiquement associé : au moment où le chofar sonne, on nous dit que « le peuple tremble ». On conclut de cela qu’il faut l’écouter en ayant peur. Pour quelle raison ? Quelle est la nature de cette crainte dont il est question ?
Le son du chofar appelle notre être tout entier à un état de concentration particulier. Il nous faut tendre l’oreille, à tel point que s’il n’y a pas d’audition volontaire, il n’y a pas de mitsva. Si je passe ainsi dans la rue et que j’entends le chofar sans avoir la volonté de me rendre quitte, je n’ai pas accompli la mitsva. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’écouter le bruit de cet instrument, mais sa force : le son de celui-ci ne s’adresse pas à nos oreilles. Comme le précisent nos Sages, il s’agit, en entendant le chofar, de se réveiller. Qu’est-ce qu’une personne qui se réveille ? C’est un être neuf selon la tradition. Le matin nous disons : « Eternel, mon Dieu, l’âme que tu as mise en moi est pure. » Or il se trouve que même un criminel peut prononcer cette phrase.
Cela veut dire que tout juif, même celui qui a commis la faute la plus grave, a la possibilité de renouer avec un état de vigilance qui va lui permettre de remettre en question l’équation de sa vie pour devenir un homme nouveau. Tout ceci grâce au réveil.
L’éveil permet en effet d’être tendu, aux aguets. Nous expérimentons tout particulièrement cette situation quand nous craignons pour notre vie. A ce moment, un certain nombre de déclics se produisent dans le corps afin de créer un état de vigilance accru donnant la possibilité aux organes vitaux de se maintenir. C’est donc cette situation d’éveil extrême, où l’on capte les moindres sons et variations, qui nous permet de rester en vie, car à ce moment la faute n’a plus de prise sur nous. Ceci est la harda. Le chofar n’a donc pas de vocation musicale, ce n’est pas une harmonie qui procure du plaisir. Son but est spirituel : appeler l’homme à la vigilance. Ainsi le fait de recevoir la Torah ne pouvait se faire que dans cet état d’acuité extrême : « Et ils ont vu, et ils ont entendu. » Rabbi Moshe Haïm Luzzatto dit que cette zehirout, attention particulière, est indispensable à tout progrès moral. Quand on est tendu, concentré, on ne peut pas faire de bêtise. Donc au moment du chofar le Satan est perdu car nous sommes dans l’impossibilité d’écouter ce qu’il a à nous dire. A l’inverse, la faute provient donc de la dimension de disponibilité.
Intouchables
Le chofar, quand il résonne, nous conjure ainsi de nous réveiller en nous demandant où nous allons. Il nous incite véritablement à prendre notre destin en mains. Un homme s’émancipe non pas lorsqu’il est soumis à ses envies, mais quand il a des devoirs. Le meilleur exemple est celui du bar-mitsva qui prend son envol à partir du moment où il est astreint au respect des mitsvot. Toute la dialectique de la Torah renvoie à cet impératif pour le juif de sortir de la maison d’esclavage. A Kippour on est ainsi libéré de la matière, on se débarrasse de la plupart de nos enveloppes. De là naît une énergie spirituelle incroyable, on sort de cet état de torpeur que la Torah assimile à un vieillissement de l’âme. Et de fait, c’est bien cet engourdissement des sens qui est à la racine de toutes les fautes et malédictions. En effet lorsqu’on baisse les bras et qu’on s’endort en se reposant sur ses acquis, l’on devient vulnérable. On l’aura compris, cette torpeur n’a rien à voir avec l’âge. On peut se révéler très vieux sur le plan spirituel même à vingt ans.
De même, on voit dans la Torah qu’à chaque fois qu’il y a une situation de confort, de repos, cela débouche sur des épreuves. Ainsi, juste après la mention de l’installation du patriarche, « Vayechev Yaacov », on voit dans le texte que les ennuis ont commencé pour lui. Un juif à la retraite, c’est-à-dire en situation de stagnation, ça ne doit pas exister. Dans l’histoire, on constate également qu’à chaque fois que le peuple juif s’est endormi sur ses acquis, il est devenu vulnérable. Le chofar est le son de la liberté. Au moment où il résonne, le juif est en effet parvenu à se détacher de tout ce qui représentait pour lui une tentation. Celui qui a décidé de tendre l’oreille à ce son est un homme qui sait où il va. Il a une direction, un seul but, il n’y a pas deux possibilités pour lui. Cet état d’esprit qui converge vers un objectif bien défini va conditionner ses choix et lui permettre de devenir ce qu’il veut être. On comprend dès lors ce que signifie « mélanger » le Satan : la notion de mélange, qui exprime le fait d’homogénéiser des corps différents, renvoie ici aux différents chemins qui s’offrent au juif, qui le font hésiter et qui laissent la possibilité au Satan de se faufiler. Lorsqu’il n’y a qu’une seule voie, que l’appareil est parfaitement homogène, alors on cesse de tergiverser et le mauvais penchant ne trouve plus de place. Au son du chofar, nous sommes enfin des hommes libres, nous savons ce que nous voulons. Il est essentiel de souligner que lorsqu’on a décidé quelque chose, il faut le faire immédiatement ; celui qui attend ne fera jamais rien. Le monde est ainsi divisé entre les velléitaires et les réalisateurs. A nous de faire le bon choix.
Les fêtes de Tichri sont celles qui nous font passer de l’été à l’hiver. Il va ainsi pleuvoir, neiger, l’eau va abreuver la terre et permettre à la vie d’éclore de nouveau au printemps. Ces fêtes sont donc aussi celles de l’insémination de nos vies. Ces temps d’introspection sont des moments où nous semons à l’intérieur de nous. Et de même qu’il n’est jamais facile de travailler la terre et d’arracher les mauvaises herbes avant la semaison, ces fêtes exigent que nous fassions preuve de courage. Sachons saisir l’instant, le temps joue toujours contre nous.
Que Dieu puisse vous inscrire et vous sceller dans le livre de la vie et des bénédictions, et fasse que cette année soit celle du progrès et des réalisations.
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