La jeune femme et la mer

Avishag Turek est la première Israélienne à avoir traversé la Manche à la nage

La nageuse Avishag Turek, première israélienne à avoir traversé la Manche à la nage (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
La nageuse Avishag Turek, première israélienne à avoir traversé la Manche à la nage
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Au début du mois d’août, Avishag Turek, 42 ans, est devenue la première femme israélienne à avoir traversé la Manche à la nage : un véritable exploit, accompli en 13 heures et 30 minutes ! Pourtant, cette traversée de 45 km entre Douvres et Calais passe pour l’un des défis les plus difficiles à relever en natation. Malgré cela, Avishag y est parvenue dès sa première tentative. Il faut dire qu’elle s’y était préparée depuis longtemps.
Rupture et retrouvailles
La nageuse a grandi au kibboutz Shefayim. Dès son plus jeune âge, elle pratique la natation de façon régulière. Elle adore l’eau et prend ses leçons très à cœur ; cependant, un obstacle psychologique l’empêche de réussir aussi bien qu’elle le voudrait. « Les compétitions étaient si stressantes pour moi que je me retrouvais paralysée », se souvient-elle. « Je ne pouvais rien faire contre cela. C’était frustrant. Je savais que mon corps avait la capacité de réussir, mais mon esprit ne suivait pas. »
A l’adolescence, elle comprend que son rêve de battre des records n’est pas près de se réaliser. Elle se fait une raison et décide de tout arrêter. Elle reste néanmoins en contact avec l’eau en travaillant comme maître-nageur, puis comme professeur de sport durant son service militaire. Il n’est cependant plus question pour elle d’envisager la natation en tant que professionnelle. Cette rupture dure 20 ans. « J’avais 37 ans quand ma fille a pris ses premiers cours de natation. Je m’asseyais au bord du bassin et je la regardais. Autour d’elle, je voyais nager des gens bien plus âgés que moi, mais je ne m’imaginais pas du tout recommencer. »
Peu après, Avishag apprend que sa fille cadette, âgée d’un an à peine, est atteinte de diabète juvénile. Elle doit s’occuper d’elle et ne peut plus continuer ses allers-retours de Shefayim à Ramat Gan où elle travaille. Aussi quitte-t-elle son emploi. Pendant six mois, elle profite du temps libre dont elle dispose pour s’ouvrir à de nouveaux horizons. L’une de ses passions est en réalité plutôt ancienne, puisqu’il s’agit de la natation. « Durant cette période, j’ai rencontré Ori Sela, qui m’a encouragée à essayer la nage en eau libre. Je l’ai écouté et il a travaillé avec moi du début à la fin. Des professeurs comme lui, il n’y en a pas beaucoup ! » A l’époque, Avishag Turek n’a aucune expérience de cette discipline. Elle ne sait ni gérer les grosses vagues, ni s’orienter.
Après avoir relevé plusieurs petits défis, elle s’en offre un d’envergure pour ses 40 ans : nager tout un marathon, soit 42 km. « Le jour de mon 40e anniversaire, je me suis mise à l’eau et j’ai nagé de minuit à 16 h 30, de Guivat Olga à Tel-Aviv. Tout au long du parcours, des amis se joignaient à moi sur de petites distances. Ils avaient pris un jour de congé pour m’accompagner et me soutenir. J’ai été très touchée… »
Cet exploit sera suivi par de beaux succès en piscine : Avishag Turek bat plusieurs records de natation. Les objectifs que son esprit lui refusait à l’adolescence deviennent tout à coup atteignables. Elle comprend qu’il lui fallait sortir du système, quitter les sentiers battus pour se concentrer sur des objectifs personnels, hors de toute compétition.
Lorsqu’elle se fixe un objectif, la nageuse a toujours en tête la réflexion de l’un de ses professeurs à l’école. Pendant un cours, celui-ci avait interrogé la classe : « Qui parmi vous pense que “le ciel est la limite”, comme on dit en hébreu ? » Tous les élèves avaient levé la main, et l’enseignant avait repris : « Eh bien, c’est idiot ! Pourquoi se mettre une limite ? Il faut que vous vous disiez plutôt : le monde est ouvert pour moi, je peux tout accomplir ! »
Avishag Turek n’a pas oublié cette leçon. « Ce discours-là m’a plu, parce qu’en réalité, il n’y a pas de limites : il n’y a que celles que l’on se fixe soi-même. Je pense qu’avec une bonne énergie et de la pensée positive, on peut réussir de grandes choses. Quand on a un objectif, il faut s’imaginer le moment où on va l’atteindre, il faut le visualiser. Et avec du travail, il est certain que cela se réalisera. »
Après le marathon de son anniversaire, parcouru avec succès, Avishag Turek décide que son prochain défi sera de traverser la Manche. Jusqu’ici, un seul Israélien y est parvenu, le Pr Eitan Friedman en 1993. Depuis, d’autres ont tenté leur chance, mais sans succès. Elle sait donc qu’une telle prouesse serait particulièrement significative pour la communauté de nageurs à laquelle elle appartient. Lorsqu’elle lance sa campagne de financement participatif, tous mettent la main à la poche. Mais Avishag Turek veut donner encore davantage de sens à son défi. « Etant la maman d’une petite fille diabétique, je connais ces grands moments de détresse que l’on traverse lorsqu’on a un enfant différent. Un jour, j’ai été contactée par l’association Make a Wish Israël, pour que je donne une conférence afin d’aider les autres parents dans mon cas. Les bénéfices devaient aller à la fondation. Mais avant même que la personne ait fini de m’expliquer de quoi il était question, j’ai su que j’avais trouvé ce que je cherchais ! »
Avishag Turek aimait l’idée d’offrir quelque chose aux autres athlètes, mais plus encore celle de pouvoir réaliser les rêves des enfants. « Ces gamins en sont à se demander si la vie vaut la peine d’être vécue, si elle a un sens et si cela vaut le coup de se battre », explique-t-elle. « Quelle meilleure façon de leur répondre que de les aider à réaliser un rêve ? » Elle lance alors une campagne de financement participatif qui lui permet de récolter de l’argent pour la fondation. Elle obtient également le soutien du fabricant d’équipement de natation Speedo qui la sponsorise et lui fournit le maillot orné d’une étoile, le symbole de la fondation, qu’elle portera pour la traversée.
Hors du temps
Dans le cadre de son entraînement, Avishag nage dans le froid pendant six ou sept heures toutes les deux semaines. Elle fait cela pendant un an, en se rendant même dans différentes régions du globe pour s’habituer à des eaux de plus en plus froides et difficiles.
La traversée de la Manche comporte des règles bien particulières : il est interdit au nageur de toucher le bateau qui l’accompagne, et son escorte ne peut le toucher, lui. Le nageur n’a même pas le droit de toucher le bâton qu’on lui tend pour lui passer une bouteille d’eau.
On ne peut pas traverser la Manche tout seul. A bord du bateau qui l’escorte se trouvaient trois amis. Chacun d’eux l’encourageait, lui donnant des indications pour s’orienter et se joignant même à elle pour nager vers la fin du parcours.
« C’était extraordinaire de les avoir près de moi », raconte Avishag. « J’avais convenu avec eux que je ne leur demanderais jamais quelle heure il était et qu’ils ne me le diraient pas non plus. Nous avions décidé que le temps n’avait pas d’importance. »
Et le fait est que la nageuse s’est rendu compte après coup que le temps s’était bel et bien arrêté pendant la traversée. « Les courants vous entraînent à droite ou à gauche, on ne sait jamais ce qui va se passer. Certaines personnes aiment parler de records, elles vous disent qui a effectué la traversée la plus courte et ainsi de suite, mais on ne peut pas vraiment comparer, parce que chacun nage différemment. Tout dépend du nageur, de l’état de la mer, des vents… Une de mes amies, une femme de plus de 50 ans, a traversé la Manche en 28 heures et 44 minutes. En fait, le temps n’a aucune importance. »
Au bout de 10 heures d’efforts dans l’eau, ses amis présents sur le bateau s’aperçoivent que si elle n’accélère pas un peu, elle perdra l’avantage conféré par la marée haute, ce qui lui coûtera quelques heures de nage supplémentaires. Ils se demandent comment le lui faire comprendre. « Alon s’est mis à l’eau pour nager avec moi et il a commencé à nager très fort et très vite. Moi, j’étais fatiguée. Je lui ai donc demandé de ralentir. Il m’a écoutée pendant un moment, puis s’est remis à accélérer. » Avishag comprend alors le message : elle n’a pas le choix, elle doit accélérer à son tour. Ils nagent ensemble pendant une heure, puis il remonte sur le bateau et elle nage encore une heure toute seule. Pour les derniers efforts, c’est Itaï qui se joint à elle. « Juste avant de descendre dans l’eau, il m’a dit : “Maintenant, ce temps-là, c’est de l’argent ! Il te reste une heure avant la marée basse.” Alors j’ai redoublé d’énergie. C’était vraiment très difficile. Je suis passée de 2,6 à 4,3 km/h. Je savais que cette dernière heure était critique, et je me disais tout le temps : “Tu ne peux pas décevoir tous ces enfants !” J’avais très peur que cet exploit m’échappe ! »
Les courants étant très forts dans la Manche, les nageurs ne peuvent se diriger directement vers leur but : ils doivent louvoyer et approcher la côte selon un certain angle. A vol d’oiseau, la distance entre les plages de départ et d’arrivée est de 33 km, mais Avishag en a parcouru 45. Pour certains nageurs, le nombre de kilomètres est encore plus important.
« On ne peut pas nager tout droit. Alors même si la plage de Calais n’est plus qu’à 2,5 km, on sait que l’on va devoir en parcourir 4,5. Comment pouvais-je faire ça en une heure à peine ? C’était vraiment loin. A ce moment-là, je me suis dit que je devais donner le meilleur de moi-même. Un peu plus tard, j’ai vu Hanan qui me faisait de grands signes pour me dire que nous avions atteint le golfe à l’intérieur duquel on ne sent plus la marée, de sorte que je pouvais ralentir. » Les 600 derniers mètres lui ont paru interminables. Pour les parcourir, il lui a fallu trois fois plus de temps que dans des conditions normales. Toutefois, elle a fini par poser le pied sur le rivage français.
Avishag Turek considère que son succès est celui de toute une équipe : ses sponsors, ses amis et bien sûr sa famille. La réaction des filles de la sportive a été particulièrement touchante. Sa fille aînée, 11 ans, a décidé de lancer elle-même un projet avec Make a Wish Israël ; quant à la plus jeune, âgée de 6 ans, elle veut devenir nageuse, comme sa mère. « L’autre jour, des journalistes sont venus me filmer pour un reportage et je lui ai dit que je ne pourrais pas l’amener à son cours de natation. Elle m’a regardée et m’a dit : “Mais, maman, comment je vais faire pour devenir une nageuse comme toi si je ne vais pas à mon cours ?” »
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