Seuls contre tous

La guerre de Kippour : 1ers jours de guerre. C’est grâce à l’héroïsme de ses jeunes conscrits que Tsahal a pu éviter la débâcle.

P20 JFR 370 (photo credit: Archives JPost)
P20 JFR 370
(photo credit: Archives JPost)

Midi, 6 octobre1973. Le colonel Avigdor Ben-Gal scanne la plaine syrienne à travers sesjumelles. De vastes troupes ennemies sont déployées, mais rien ne semble sepasser. Un gazouillis lui fait lever la tête pour observer des oiseaux dans unarbre. Leur présence n’a rien d’étrange. Mais ce qui est plus bizarre, c’estqu’il peut les entendre. Le silence inhabituel semble confirmer l’imminence dela guerre. A 10 heures du matin, les commandants ont été informés qu’uneattaque égypto-syrienne était attendue ce jour-là. Les troupes ont reçu l’ordrede rompre leur jeûne de Kippour. L’avertissement a été lancé par une source duMossad à Londres.

A 13 h 30, unposte de surveillance sur le mont Hermon rapporte que les Syriens sont en trainde retirer le camouflage de leur artillerie. Le commandement israélien ordonneaux chars de reculer des positions susceptibles d’être prises pour cible.

Trente minutesplus tard, à quelque 500 km de là, dans la péninsule du Sinaï, le colonel AmnonReshef, commandant d’une brigade de chars, se trouve dans les quartiersgénéraux de Tasa lorsqu’il entend résonner la sirène avertissant d’une attaqueaérienne. Soudain, le sol du désert se met à trembler. A l’ouest, 30 kilomètresplus loin, 2 000 armes et mortiers égyptiens ont ouvert le feu sur la ligneBar-Lev, le long du canal de Suez.

Le commandant debataillon Yaïr Nafshi se situe près de la cité abandonnée de Kuneitra sur leplateau du Golan, lorsque l’armée syrienne donne l’assaut. Même à l’intérieurdu char, il sent la terre trembler sous ses pieds. « Capital », tonne-t-il surle réseau radio, le mot de passe intimant aux troupes de prendre positions. «Je répète, Capital ». « Bonne chance à tous ». Il aperçoit alors un avionsyrien, si bas, qu’il peut voir son pilote, tout sourire.

Au mépris du bonsens

Le colonel Ben-Gal roule le long du front, mais à cause de la poussière etde la fumée, il ne voit presque rien. Soudain, les tirs cessent et un sourd vrombissementparvient jusqu’à lui. Des chars et des blindés émergent alors du nuage desable. Parmi eux, des tanks capables d’enjamber les fossés antichars. En face,les chars israéliens ouvrent immédiatement le feu, à une portée de 3 500mètres.

Les derniersmembres de la 7e brigade de Ben-Gal sont arrivés le matin même afin derenforcer la 188e brigade déployée le long de la frontière du Golan, portant lenombre de chars présents sur le plateau à 180. Ce qui réduit l’avantage syriende 18 à 1, à 8 à 1. Tsahal a également creusé dix postes d’observation le longde la frontière de 64 km, entourés de tranchées sous forme de bunkers. Chaquefort, occupé par une dizaine de soldats, est défendu par 3 chars déployés surles collines adjacentes.

Les Syriens ontprévu de prendre le Golan en moins de 24 heures. Forts de leurs 1 400 blindés,ils sont sûrs de ne rencontrer que peu de difficultés. Sur le front, la missionde Tsahal sera donc de les retarder autant que possible jusqu’à l’arrivée destroupes de réserve. Mais en ce jour du Grand Pardon, les jeunes conscrits de 19à 20 ans et leurs officiers vont devoir expier les pêchés commis par leursaînés. Aînés qui n’ont pas mobilisé les troupes de réserve à temps, au méprisdu bon sens.

A 24 ans, lemajor Shmouel Askarov est le plus jeune commandant adjoint de bataillon deTsahal. Il mène 6 chars au travers de la ligne d’artillerie afin de renforcerle poste d’observation 111 au sud du front. Grimpant sur l’une des collinesentourant le fort, il aperçoit un essaim de blindés qui avance dans sadirection. 5 chars ont d’ores et déjà atteint le fossé antitank. Askarov tiresur les 3 qui sont à sa portée. Il ordonne au conducteur de faire demi-tour.

Arrivé à hauteurdu char syrien, il grimpe dessus et pointe son arme vers l’officier « Sortez delà ou je tire », dit-il. Un à un, tous les chars attenants sont éliminés etleurs membres d’équipage tués. Le tank d’Askarov est touché à 4 reprises, maisdemeure opérationnel. Quant à lui, il doute de passer la journée sans êtreabattu. Son artilleur, Itzhak Hemo, de Kyriat Shemona, a remporté le concoursde tir de la brigade. Askarov choisit la cible et Hemo se charge du reste. En 2heures, l’officier compte 35 chars éliminés.

A 16 heures, sonchar est à nouveau touché et il est propulsé à terre par l’explosion. Seshommes le transportent encore en vie jusqu’au fort. Quelques chars demeurentsur les rampes alors que le flot syrien se déplace vers le sud.

Seulement unfossé à franchir

Pendant ce temps, dans le Sinaï, la brigade du colonel Reshefse rapproche à vive allure d’une guerre pour laquelle elle n’est pas préparée.L’Egypte a déployé des milliers de fantassins, équipés d’armes antichars, surdes petites embarcations le long du canal du Suez avec pour mission d’enfoncer leslignes israéliennes jusqu’à l’arrivée des chars égyptiens. Les fantassinsfoncent sur les chars israéliens, ouvrant le feu avec des RPG et les nouveauxmissiles Sagger.

Tentant delibérer les garnisons assiégées, Tsahal perd les deux tiers de sa divisionblindée en moins de 12 heures. La décision de ne pas démanteler la LigneBar-Lev s’avère désastreuse : les chars sont dans l’impasse, condamnés pour laplupart à se rendre ou à mourir.

Dans le Golan,les Syriens n’ont qu’un fossé à franchir et n’ont pas besoin de leur infanteriepour attaquer les blindés juifs. Paradoxalement, cela va aider les Israéliens,en leur permettant de jouer sur leur avantage en matière de combats char contrechar, en dépit de leur incroyable infériorité numérique.

Le sous-lieutenantYossi Gour, un parachutiste aux commandes du 116e poste d’observation, àl’extrémité sud du front, place ses 13 hommes dans des bunkers au sein dubarrage d’artillerie. Ils montent la garde à travers une lucarne fortifiée dansle mur de la tranchée. Lorsque les chars syriens se mettent à franchir le fosséà quelque 300 mètres de là, Gour en informe le lieutenant Yoav Yakir, auxcommandes des tanks chargés de défendre le poste d’observation.

Yakir se trouvealors à plusieurs kilomètres de là, aux prises avec 25 chars syriens qui ontpénétré la ligne de cessez-le-feu le long d’une ancienne route romaine.Ramenant ses 3 tanks vers le poste d’observation, l’officier aperçoit lesblindés syriens et fait feu. A 21 heures, il informe Gour qu’il doit reculerpour recharger ses munitions. Deux de ses tanks sont à court d’obus et letroisième n’en a plus que 5 de réserve.

La garnison agagné la partie

Les deux officiers n’ont pas plus de 20 ans, mais ils réalisentque le recul des chars met le poste d’observation en danger de mort. Yakirdemande à son commandant de compagnie la permission de battre en retraite, etse voit répondre par la négative. L’heure est si grave qu’on lui ordonned’employer ses mitrailleuses contre les chars syriens dans l’espoir qu’une présenceisraélienne, même dérisoire, ralentisse l’ennemi.

Le jeune officierperd la vie quelques instants plus tard. Un sergent prend la relève depuis unautre char. Et ordonne à l’artilleur de Yakir d’attacher le corps de l’officierà sa propre chaise et de prendre les commandes depuis la tourelle. C’est alorsque le colonel Itzhak Ben-Shoham intervient sur le réseau radio et ordonne ausergent de reculer pour recharger ses munitions.

Une heure plustard, 3 chars syriens s’approchent du poste. Ils avancent lentement, ne sachantpas si la position a été capturée. Le char de tête y pénètre avec fracas,arrivant à 10 mètres de Gour. Celui-ci ordonne à son bazookeur de tirer. Lesoldat appuie sur la détente. En vain. « Raté », dit-il. Gour retire l’obus défectueuxet en insère un autre. Les Syriens n’ont le temps que de bondir à l’extérieurde leurs blindés tandis que Gour fait feu, touchant deux d’entre eux.

A son tour lesecond char syrien se présente. Cette fois-ci, ses 4 occupants sont tués. Le 3echar s’enfuit alors que l’artillerie fait feu sur lui. Craignant que les deuxSyriens échappés du 1er char ne soient demeurés dans le poste, Gour crie à seshommes de rester vigilants, tout en courant dans les tranchées tirant à toutva. Il ne rencontre personne. Un Syrien blessé près de l’entrée du poste yrestera gémissant toute la nuit.

A 2 heures dumatin, un nouveau convoi syrien atteint le fossé et s’arrête. A l’aube, 10soldats partent en éclaireurs et s’approchent du fort. Lorsqu’ils ne sont plusqu’à 30 mètres, la garnison fait feu. Les tirs dispersent les fantassins commeun essaim d’abeille. Après une bataille prolongée, les assaillants finissentpar reculer. Côté israélien, 3 hommes sont blessés, mais aucune perte n’est àdéplorer. La garnison a gagné la partie.

« Force Zvika »

Au soir du 6 octobre, les Syriens ont pénétré en force dans le sud du Golan,dans les espaces situés entre les postes d’observations. Les Israéliensaperçoivent les fusées éclairantes de couleur verte que les commandants syriensenvoient dans les airs afin de rassembler les chars éparpillés. Leur objectif :Nafakh, la principale base militaire du Golan qui sert également poste decommandement au général Rafoul Eitan. La route qui y mène est une voie deservice qui longe la Tapline, un pipeline qui s’étend depuis l’Arabie Saouditejusqu’au Liban. Ignorant l’avancée syrienne, le commandement israélien neréalise pas que le conduit est en danger. Au même moment, le lieutenant ZvikaGreengold, sans affectation d’unité, se précipite à Nafakh depuis son kibboutzde Lohamei Hagetaot. Il a 21 ans.

Arrivé à 21heures, il prend les commandes de 2 chars, rentrés du front avec des morts,avec ordre de rejoindre la route de Tapline et d’y rassembler les tankséparpillés autour du poste 111. Tous les officiers y sont morts, lui dit-on. Ilprend la tête de ses deux véhicules et s’attribue pour nom de code « ForceZvika ».

Après 5 km, ilaperçoit une colonne de camions. Les véhicules s’arrêtent et un officier courtà sa rencontre. C’est un convoi de matériel, en route pour le sud du Golan, quia fait demi-tour face aux chars syriens. Dans l’obscurité, ces derniers nel’ont pas identifié.

Avançantprudemment, Greengold grimpe une colline et tombe presque nez à nez avec untank syrien. « Feu », hurle-t-il. Le char explose à peine 20 mètres face à eux.A la lumière de l’explosion, l’officier distingue avec soulagement qu’il s’agitd’un T-55 syrien. Les vibrations du tir ont causé un court-circuit dans sonpropre char. Il l’échange alors avec l’autre tank et demande au second officierde rapporter le véhicule endommagé à Nafakh.

Face à lui, leterrain fourmille des minuscules loupiotes que les Syriens ont déposées auxangles de leurs blindés. Il distingue un vaste attroupement, des véhicules sansdoute arrêtés pour refaire le plein de carburant. Faisant feu sur les cibles àsa portée, il s’aperçoit que la riposte syrienne est inefficace. Il estavantagé : chaque char qu’il voit représente une cible. De leur côté, lesSyriens ont le plus grand mal à le localiser car il demeure principalementincliné vers l’arrière tandis que seuls sa tourelle et son viseur sont exposés.

Seul contre 100

C’est en écoutant le réseau radio qu’il saisit pour la première fois la gravitéde la situation. Le bataillon chargé de défendre le front sud doit seravitailler en essence et en munitions de toute urgence. Quelque part sur lechamp de bataille, le colonel Ben-Shoham lui demande alors sa position.Greengold reste très évasif afin de ne pas révéler aux Syriens qu’un seul charseulement les empêche d’atteindre Nafakh. Pressé de se montrer plus précis,l’officier finit seulement par lâcher : « On a vu mieux ». Il est alors seulface à 100 tanks ennemis.

Au bout d’uneheure, il est rejoint par 10 blindés d’une division réserviste de « réactionrapide », arrivée dans le Golan à 22 h 30, tout juste 13 heures après le débutde la mobilisation. C’est la première unité de réserve à atteindre le front.Greengold expose la situation au commandant d’unité, le lieutenant-colonel OuziMor, qui décide d’avancer immédiatement.

Les chars ont àpeine progressé qu’ils sont heurtés de plein fouet par un feu roulant syrien.Les 8 premiers blindés sont touchés. Mor est aveuglé et perd un bras. Seshommes parviennent néanmoins à le transporter jusqu’à la colline. Le visage deGreengold est constellé d’éclats d’obus et son uniforme prend feu, mais ilparvient à bondir hors de son char incendié et à éteindre les flammes au sol.Les morts et les blessés sont empilés dans deux des 3 chars qui n’ont pas étéatteints.

Le jeune officiergrimpe dans le troisième pour rassembler ses esprits. La douleur se faitlancinante, mais il ne cède pas. « J’ai passé la nuit ici à me battre », dit-ilau commandant de char. « Je connais la zone, laisse-moi ton tank ». Leréserviste l’observe un instant avant de s’extirper du véhicule. Et Greengoldde se tourner vers les autres équipiers, leur déclarant qu’il est désormaiscommandant du char. « Moi, c’est Zvika. Et vous ? ».

Les deux autreschars repartent pour la base, laissant Greengold à nouveau seul le long de laTapline. Il se branche sur la fréquence de Ben-Shoham. « C’est Zvika ». Ilentend distinctement le général pousser un soupir de soulagement. Le haut gradélui demande un état des lieux. A nouveau, Greengold se montre évasif. « Il nousfaut un général », répond-il. Plus tard, il racontera qu’en attendant lesrenforts dans l’obscurité, il a pensé à ses parents qui ont survécu à la Shoah.Il avait eu le sentiment, dira-t-il, qu’il était seul pour défendre son peupled’un ennemi qui, une fois encore, souhaitait son annihilation.

Retrouver sesréflexes Dans une base au pied du Golan, la brigade réserviste commandée par lecolonel Ori Orr s’organise à la hâte. Peu après minuit, le lieutenant NitzanYotser reçoit l’ordre de déployer un peloton le long de la route du Yehoudia.Ses 3 chars seront les seules forces de réserve à être dispatchées dans le suddu Golan ce soir-là.

Entamant lamontée, Yotser prend conscience du surréalisme de la situation. Il y a quelquesheures seulement, il passait tranquillement Yom Kippour avec sa petite amiedans son appartement d’étudiant à Tel-Aviv. Loin, très loin de la guerre. Ilétait au lit lorsque les sirènes ont retenti. Il a pensé qu’il s’agissait d’unproblème technique avant que sa mère n’appelle. En chemin vers sa base, Yotseravait dû s’avouer qu’il avait sous-estimé les Arabes. Mais, s’était-il dit, «on va bientôt leur en faire baver ». Il n’est désormais plus sûr de rien.

Il n’y a pas euassez de temps de faire le plein d’obus. Au dernier moment, alors qu’ilcommençait déjà à rouler, quelqu’un lui a jeté une boîte supplémentaire demunitions. Ce n’est pas ainsi qu’on fait la guerre. Les membres du tank n’ontpas eu le temps de se présenter les uns aux autres. L’officier s’adresse à euxpar leurs fonctions : « Conducteur, tu continues tout droit ».

Observant laroute au clair de lune, au son du moteur du char, Yotser sent qu’il setransforme intérieurement. Abandonnant le « faisons l’amour, pas la guerre »,son esprit s’éclaircit de plus en plus. Il était un civil en uniforme encontrebas du plateau. Arrivé au sommet, il est redevenu un officier de Tsahal.

Il étaitessentiellement affecté à la logistique pendant ses missions de réserve et ilen a presque oublié les principes fondamentaux du char. Il ne sait plus, parexemple, dans quel sens pousser la molette de son casque radio pour s’adressertantôt à ses hommes, tantôt aux autres tanks. Lors de la guerre des Six Jours,les réservistes avaient eu 3 semaines pour s’entraîner et se préparerpsychologiquement. Cette fois-ci, ils sont pour la plupart à jeun.

Arrivé au sommet,Yotser aperçoit un feu à une certaine distance. S’approchant, il distingue descamions de munitions en flammes. Soudain, les obus éclatent autour de lui. LesSyriens qui ont pris les fourgons par surprise sont toujours là. D’un seulcoup, Yotser retrouve ses réflexes. Il hurle aux autres tanks de se positionneren amont de la route. Au cours des prochaines heures, Israéliens et Syrienséchangeront des tirs sporadiques. Un obus atteint le char du jeune homme, sansfaire trop de dégâts.

Sauver le Golan

Pendant ce temps-là, Orr déploie des chars dans le nord du Golan via le pont deBnot Yaacov, aussi vite que possible. Des officiers rassemblent des artilleurs,des chargeurs, des chauffeurs et des commandants de char au hasard afin deformer des équipes. Une bonne partie des tanks sont envoyés au front avec lamoitié de leurs arsenaux, par groupe de trois, sans rapport avec leurs unitésou leur affectation. Avant le lever du jour, Orr s’en va lui-même à la tête de20 chars, laissant les autres le suivre.

Tandis que lesréservistes atteignent les sommets, le commandement de la région nord se prépareà une évacuation. A 4 h 30 du matin, l’armée ordonne de ramener les documentsimportants qui ne doivent pas tomber entre les mains syriennes. Les bulldozerssont prêts à détruire les tronçons de route et les ingénieurs se préparent àfaire exploser les ponts au-dessus du Jourdain.

Arrivé aucommandement nord à l’aube, le ministre de la Défense Moshé Dayan est effarépar la tristesse ambiante. Le général Itzhak Hofi, commandant du front, luiannonce brutalement qu’il faudra peut-être abandonner le sommet du Golan. Peuaprès le lever du soleil, un soldat israélien entend un commandant syriendéclarer à ses troupes sur le réseau radio : « La Galilée tout entière s’étendà mes pieds ».

Tandis que lejour se lève, le major Haïm Barak distingue de vastes nuages de poussières’avançant vers Hushniya, à 5 km au sud de sa position. Il part à la tête d’unpetit groupe de chars en cette direction. S’approchant, il aperçoit descentaines de tanks syriens fourmillant dans ce qui était encore hier une baseisraélienne. La première division blindée syrienne est là. L’officier israélienordonne à ses véhicules de faire feu. « Pointe ton arme n’importe où et tire »,dit-il à son artilleur. « De toute façon, tu es sûr de les atteindre ».

Stop risqué

Lui-même parvient à éviter les tirs par deux fois avant d’être touché.Temporairement aveuglé, il est propulsé à terre. Trois membres de l’équipagesont tués. Ils sont placés dans un fourgon qui démarre précipitamment, tandisque les chars syriens avancent vers eux A la tête d’une douzaine de tanks, lelieutenant-colonel Ron Gottfried arrive à hauteur du camp de Nafakh lorsqu’ilest contacté par le quartier général. Une jeep surgit et le conduit au bunkerde commandement. Le général Eitan l’accueille avec un sourire qui ne colle pasavec la confusion qui règne dans la pièce. Le haut gradé le dépêche sur laroute de Sindiana où les forces israéliennes ont besoin d’aide. « Vas-y vite »,ordonne le général. De retour sur la route, Gottfried déploie ses chars sur sesdeux côtés, leur demandant de se tenir prêts à affronter l’ennemi à toutmoment.

Arrivés en hautde leur première colline, ils aperçoivent la première division syrienne à moinsde 1 000 mètres, s’approchant à vive allure. « Feu ! » hurle Gottfried. Il a letemps de voir plusieurs tanks syriens touchés avant d’être lui-même soufflé desa tourelle.

Lorsqu’il seréveille, son visage est tellement bouffi de brûlures qu’il peut à peine voir.Son conducteur, blessé, est étendu à côté de lui. Les deux autres équipierssont morts. La moitié de ses chars sont renversés autour de lui. Il aperçoitégalement des carcasses syriennes. Emmenant le conducteur avec lui, il marchevers la route.

Près d’unkilomètre plus loin, les deux hommes entendent le son de tanks à l’approche.L’officier lève la main. Le premier véhicule s’arrête pile devant lui. Savision est floue mais il parvient à distinguer le militaire dans la tourelle,un homme de 30 ans avec une moustache. Il semble sourire à la vue de ces deuxsoldats couverts de suie qui font du stop. Gottfried met quelques instants àréaliser qu’il est en fait face à un char syrien T-62. Attrapant son chauffeur,il saute dans le fossé.

Les Syriens,revenus de leur propre surpris, tirent à en perdre haleine, mais les deuxhommes ne seront pas touchés.

Minuit plus une

ANafakh, peu avant midi, l’officier de renseignements Dennie Agmon entend un sonalarmant : des obus éclatent à proximité. Depuis l’entrée, il aperçoit unepoignée de chars syriens à la clôture du camp. L’un d’entre eux tire sur l’undes deux véhicules parqués à l’extérieur du bunker – et le touche. C’est lavoiture d’Agmon. La seconde appartient au général Eitan. L’officier seprécipite vers son supérieur. « Il est minuit moins une », dit-il, « il fautsortir ». Mais le haut gradé n’est pas de cet avis : « Il est visiblementminuit plus une. On ne peut plus sortir maintenant ».

Eitan contacteOrr par radio. Tsahal sait que les conseillers soviétiques interprètent lesmessages radio pour les services de renseignements syriens et craint qu’ilssoient capables de reconnaître les voix des commandants israéliens. Le messaged’Eitan demeure elliptique afin que l’ennemi ne sache pas que le commandementjuif est pris au piège au sein de Nafakh. « Je crois bien que j’ai des poux »,fait-il savoir à Orr, qui se situe à 8 km à l’est. « Tu pourrais venir megratter la tête ».

La bataille prendpeu à peu des allures de bagarre de quartier.

Les 15 tanksd’Orr arrivent par l’est et aperçoivent 40 chars syriens en route vers Nafakh.Ils attaquent par le côté. D’autres soldats de la brigade rejoignent lescombats de toutes les directions.

Le lieutenantHanan Anderson approche du camp lorsqu’il capte l’ordre, sur le réseau radio,d’arrêter les chars syriens qui se trouvent dans la zone du garage. L’ordreest-il pour lui ? Il n’en est pas certain, mais il connaît bien la base, alorsil monte la route escarpée du garage avec un autre blindé. Les Syriens sontdevant eux, à quelques centaines de mètres de là. L’officier tire. Les autreshommes courent s’abriter et ouvrent le feu.

Un magnifiqueberger allemand est attaché à une barrière juste à côté d’eux. Fils de fermier,Anderson aime les chiens. Il s’aperçoit qu’à chaque fois qu’il tire, l’animalest propulsé en arrière. Après un long échange, le dernier tank syrien estéliminé. A ses côtés, le commandant de char est mort. Mais le chien esttoujours en vie, aboyant dans le vacarme de la bataille.

Images dedésolation

Pendant ce temps-là, le colonel Ben-Shoham se bat toujours le longde la Tapline. Soudain, un char syrien en route vers Nafakh fait feu sur lui etil est propulsé à terre. Greengold, qui suivait le commandant de brigade, voitson véhicule se retourner mais ne s’arrête pas. Arrivé à la clôture de la baseen même temps qu’un autre char, il fait feu jusqu’à ce que plus aucune cible nebouge dans son champ de vision. Absorbant le silence quelques instants, ilappelle le commandement dans le bunker. « Vous pouvez sortir », dit-il.

L’équipe d’Eitans’entasse dans le véhicule du général avec tous les documents qu’elle a purassembler, en direction du pont. Quant au haut gradé, il s’installe au volantd’une jeep et fonce en direction du nord pour installer un quartier général àmême le champ de bataille. Il est désormais résolu à ne plus quitter le Golan.

Dans son casque,Greengold entend soudain une respiration saccadée. Elle provient de la cabinedu conducteur. L’officier se précipite pour l’en sortir. Le réserviste a leslarmes aux yeux. Il n’est pas blessé, mais le stress intense a eu raison delui. Un jeune soldat qui n’a jamais conduit de tank se porte volontaire pour leremplacer. Epuisé par ses blessures et plus de 20 heures de combats incessants,Greengold entame la descente. Il croit alors que le Golan est sur le point detomber et qu’il n’y peut plus rien.

Sur la route deretour, les images de désolation lui rappellent les films qu’il a vus sur laSeconde Guerre mondiale : des voitures brûlées, des hommes blessés appuyés lesuns sur les autres, des fourgonnettes où s’entassent les soldats fuyantl’assaut syrien. Son nouveau conducteur parvient à freiner maladroitement à unbarrage routier. Greengold n’a le temps que de descendre du char avant des’effondrer. Un officier le rattrape de justesse. « Je n’en peux plus »,murmure le héros. Il est transporté à l’hôpital de Safed.

Ce soir-là, sousla pression des chars de la brigade d’Or, les forces syriennes reculentlégèrement. Alors que la nuit tombe, le militaire parvient à former une maigreligne de défense sur les hauteurs, en parallèle à la route de Nafakh-Kuneitra.

Confronté à uneattaque d’une ampleur inimaginable, Tsahal a très distinctement chancelé. Seulela bravoure de ses jeunes conscrits et officiers a empêché que la surprise ne devienneune fatale tragédie.

La semaine prochaine,suite et fin de la série de textes sur la guerre de Kippour.