Israël et la « coalition virtuelle » contre le Hamas

Une alliance entre l’Egypte, l’Arabie Saoudite et Israël est-elle envisageable

Israël et la « coalition virtuelle » contre le Hamas (photo credit: REUTERS)
Israël et la « coalition virtuelle » contre le Hamas
(photo credit: REUTERS)
Dans le conflit actuel avec le Hamas, les intérêts nationaux de l’Egypte, comme ceux de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe – à l’exception du Qatar – semblent identiques à ceux d’Israël. Le Hamas appartient à la mouvance de la confrérie des Frères musulmans, ennemie de ces pays dont elle menace la stabilité. Pour certains commentateurs israéliens, cette communauté d’intérêt pourrait servir de socle à une coalition. Reste à savoir si les pays en question partagent ce point de vue.
L’Arabie Saoudite est préoccupée en premier lieu par la menace iranienne et cherche donc à maintenir la cohésion du Conseil de coopération des pays du Golfe. Elle cherche malgré tout à améliorer ses relations avec le Qatar et envisagerait de renoncer à exiger que le petit émirat prenne ses distances avec la Confrérie et en expulse les dirigeants. On sait que le Qatar continue à soutenir les Frères musulmans et ne se départ pas de son hostilité au président Sissi ; Al-Jazeera attaque l’Egypte sans relâche. Une situation intenable pour Riyad, mais aussi pour les autres émirats du Golfe. Ils ont donc commencé par faire pression sur Doha pour exiger l’expulsion des dirigeants des Frères, et notamment celle du cheikh Qardawi, leur guide spirituel. Mais l’émir du Qatar n’a pas cédé, même lorsque l’Arabie Saoudite, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis ont rappelé leur ambassadeur, comme l’avait fait déjà l’Egypte.
En avril dernier, les ministres des Affaires étrangères des Etats du Golfe, réunis à Riyad, adoptaient à l’unanimité un projet de résolution demandant au Qatar – sans le nommer – de mettre fin à ses activités subversives contre ses voisins. Pour ne pas embarrasser le petit émirat, qui avait apposé sa signature au projet connu sous le nom d’accord de Riyad, le détail des mesures à prendre n’a pas été rendu public ; toutefois un comité ad hoc a été chargé de s’assurer de leur exécution.
Selon des fuites publiées par le quotidien saoudien paraissant à Londres Ashark Alwasat, il n’en fut rien. L’affaire a été renvoyée au conseil des ministres des Affaires étrangères qui s’est tenu le 30 août à Djeddah. En dépit d’un effort de compromis de dernière minute – une délégation saoudienne présidée par Saud Al Faysal, ministre des Affaires étrangères, s’est rendue à Doha, mais rien n’a filtré sur la teneur des conversations – il semble qu’aucune solution définitive n’ait été trouvée à Djeddah, bien que le représentant d’Oman évoque un retour des ambassadeurs à Doha, sans préciser de date. Le Qatar va donc continuer à soutenir les Frères musulmans.
A noter que ce même 30 août un tribunal égyptien a condamné le guide suprême des Frères, Mohammed Badie, à la prison à perpétuité. Ce qui illustre la complexité de ces relations interarabes.
La base opérationnelle de la Confrérie
En 1954, les Frères, fuyant la colère de Nasser qu’ils avaient tenté d’assassiner, arrivent en Arabie Saoudite et au Qatar. Ils y sont reçus à bras ouverts, l’un et l’autre pays voyant en eux des « intellectuels islamiques » capables de rehausser leurs institutions religieuses et leur système éducatif encore relativement rudimentaires. Le Qatar en particulier n’était alors qu’un petit émirat pauvre et peu développé.
La Confrérie prend en main l’infrastructure religieuse et l’éducation, y imprimant sa vision de l’islam et appelant à la restauration du Califat. Elle tente même d’établir une branche locale, mais la dissout rapidement pour ne pas provoquer d’antagonisme. Les membres de la Confrérie ont continué ce qu’ils voient comme leur mission, « à titre individuel ». Le cheikh Qardawi, considéré comme le chef spirituel du mouvement, dispose d’un programme hebdomadaire sur la chaîne Al-Jazeera – dont le directeur jusqu’à l’an dernier était Frère lui-même. Khaled Meshaal vit à Doha où il a été rejoint par de nombreux Frères égyptiens venus s’y réfugier après la chute de Morsi.
L’Arabie Saoudite était déjà plus avancée, mais les Frères ont quand même réussi à s’infiltrer dans l’enseignement et à occuper une place dominante dans l’enseignement supérieur. Ils dirigeaient les études islamiques à l’université de Djeddah ; l’un de leurs élèves, un certain Ossama Ben Laden, a fondé al-Qaïda et des milliers de jeunes saoudiens sont devenus ses disciples.
Avec le temps les relations entre le mouvement et la famille royale se tendent. Durant la guerre du Golfe, la Confrérie s’oppose avec véhémence à la coopération avec les Américains contre l’Irak et s’élève contre la présence de soldats américains sur « le sol sacré de l’islam ». L’attentat du 11 septembre à New York et la découverte que seize des dix-huit terroristes sont de jeunes saoudiens de bonne famille sont ressentis comme un tremblement de terre par l’establishment du royaume. Les Frères en sont chassés sans délai et trouvent asile au Qatar.
Pour Riyad, ce petit émirat est donc la base opérationnelle de la Confrérie, une menace directe pour la stabilité des pays du Golfe et le maillon le plus faible dans le front contre l’Iran et les organisations sunnites extrémistes. Cela alors qu’au tout début l’Arabie Saoudite avait apporté son soutien au Hamas et à al-Qaïda – avant de comprendre à quel point ces organisations étaient dangereuses. Aujourd’hui l’une et l’autre ont été déclarées organisations terroristes et leurs membres sont passibles de lourdes peines de prison.
L’Egypte, l’élément dominant
Reste l’Egypte, le plus proche allié de l’Arabie Saoudite depuis qu’al-Sissi est au pouvoir. Les deux pays se battent contre l’islam radical et ont besoin l’un de l’autre. Le Caire a besoin du soutien financier du royaume, lequel a besoin du soutien politique de l’Egypte. Si l’un ou l’autre venait à succomber aux attaques des terroristes de l’Etat islamique ou d’al-Qaïda, l’autre se trouverait isolé. L’Egypte est ciblée par le terrorisme islamique dans la péninsule du Sinaï et le long de sa frontière avec la Libye ; elle voit en Gaza la base opérationnelle du terrorisme au Sinaï. Le Hamas fait l’objet de poursuites judiciaires en Egypte et n’a pas le droit d’agir dans ce pays.
L’Egypte est sans doute l’élément dominant dans cette coalition virtuelle contre le Hamas, mais il ne faudrait pas oublier l’existence d’un puissant courant de sympathie en faveur des Palestiniens et les manifestations d’hostilité contre Israël ne faiblissent pas. Une hostilité qui se manifeste quotidiennement dans les médias saoudiens comme en Egypte.
Pour sa part, l’Arabie Saoudite est consciente du danger représenté par la Confrérie, mais cherche désespérément à préserver l’unité des pays du Golfe en maintenant de bonnes relations avec le Qatar. Ce dernier ne veut à aucun prix porter atteinte aux relations privilégiées qu’il entretient avec les Frères musulmans, même au prix de la détérioration de ses relations avec les autres pays du Golfe.
Rien n’est jamais simple au Moyen-Orient. Avoir un intérêt commun et un ennemi commun ne suffit pas nécessairement à cimenter une coalition entre des peuples et des pays ayant des traditions et des religions bien différentes. 
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