Justice et sécurité, le nerf de la paix...

L’organisme Eupol Copps s’efforce d’améliorer l’efficacité des services policiers et judiciaires palestiniens.

0711JFR17 521 (photo credit: Europol Copps)
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(photo credit: Europol Copps)

Mercredi 10 octobre 2012, trois policiers, respectivement chefs du département d’investigation de Ramallah, Naplouse et Toulkarem, embarquent pour un voyage de formation. Direction : la France. Il leur faut rejoindre les bureaux d’Interpol, organisation internationale de lutte contre la criminalité. Le voyage pédagogique est orchestré par Eupol Copps, mission mandatée par l’Union européenne.

Travaillant main dans la main avec les Palestiniens, Eupol Copps fait oeuvre de conseil et d’encadrement afin d’optimiser l’efficacité de leurs services de police, de sécurité et de justice. Le message est clair : toute entité aspirant à devenir un Etat démocratique a besoin d’institutions stables. Et en contribuant à l’amélioration des services de police et de sécurité, Eupol Copps permet d’affermir le principe d’Etat de droit. Il faut donc aligner les services palestiniens sur les normes internationales.

“Eupol Copps est une manifestation concrète de cette volonté de l’Union européenne de participer à l’établissement d’un futur Etat palestinien, en vue d’instaurer une paix globale reposant sur la coexistence de deux Etats”, indique le porte-parole de l’organisation, Benoît Cusin. Israël soutient d’ailleurs les avancées permises par la mission. La démarche d’Eupol Copps s’oppose à tout sensationnalisme et revendique sa “normalité”. Ses efforts sont ceux d’une boîte de conseil spécialisée courante, qui pourrait officier dans n’importe quel pays.

“En contribuant à améliorer la vie des Palestiniens et en assistant l’Autorité palestinienne, notamment en vue de la consolidation des services de sécurité, de la police palestinienne et des institutions pénales de la justice, notre mission contribue à la sécurité d’Israël.” Tels sont les principes d’Eupol Copps.

Enjeux de part et d’autre

Et du côté des bénéficiaires du voyage ? L’expérience a été enrichissante, comme en témoigne Imad Nazzal, responsable du service d’Investigation de Ramallah. “Le voyage s’est partagé en deux parties : la théorie, où nous recevions les informations sur Interpol ; et la pratique, en constatant de visu les modes de fonctionnement. Au début, nous pensions que les activités d’Interpol consistaient surtout en un travail de terrain. Après avoir visité le quartier général, nous avons découvert le pan administratif de l’organisme et la masse de travail de coordination.”

Nazzal n’est pas à son poste par hasard : “Depuis l’enfance, je ne pense qu’à devenir policier. Dans ma jeunesse, nous vivions sous l’occupation et il n’y avait pas d’Etat... J’ai commencé mes études par trois années d’urbanisme, parce qu’il n’existait aucun enseignement en matière de droit. Le premier département de droit a ouvert en 1996, à l’université An-Najah de Naplouse. C’était véritablement le premier du genre. Alors j’ai laissé tomber l’urbanisme et j’ai bifurqué vers cette voie. J’ai étudié à l’Université de Naplouse, puis j’ai obtenu un diplôme en police scientifique à l’école de police de Jéricho, le Palestine College for Police Sciences (PCPS). Le droit est la voie obligatoire pour le métier de policier. C’est l’un des critères principaux à l’entrée et c’était d’autant plus nécessaire dans mon cas, car je voulais me spécialiser dans le domaine de l’investigation, pour devenir enquêteur. Si vous voulez intégrer le service de Police Judiciaire, vous devez avoir un bagage juridique conséquent. Grâce à mon diplôme de l’université, j’ai pu intégrer le service directement.”

L’un des enjeux essentiels de l’expédition française : cerner les conditions à remplir pour confirmer le dépôt de candidature, initié en 2009, afin d’intégrer les rangs d’Interpol. Nazzal et ses collègues ont pu faire une comparaison approfondie : “Au cours du séjour, nous avons assisté à un grand nombre d’ateliers. Beaucoup étaient consacrés à la gestion des crimes ‘économiques’ et au problème spécifique du terrorisme. Il y avait également des séances d’entraînement et de préparation, destinées aux candidats qui souhaitent intégrer Interpol. Ce voyage nous a permis de nous faire une idée globale de l’organisme, de ses exigences et de nos besoins propres, c’est-à-dire des points à améliorer au sein de la police civile palestinienne (PCP). Il faut donc nous mettre le plus rapidement possible en conformité avec les critères requis.”

Le plus rapidement possible car, en conséquence, l’admission pourrait advenir très vite, elle aussi, peut-être courant 2013. La requête fait en tout cas partie des priorités du plan prévisionnel annuel palestinien.

Nazzal explique néanmoins que la procédure demande un suivi optimal et rigoureux : “Nous en sommes seulement à l’étape de réunion des ‘documents’ et preuves à fournir.

Car nous avons été absents de nos services pendant dix jours, soit la durée du voyage d’étude en France. De retour à nos postes, nous travaillons actuellement sur le sujet et nous établissons le dossier pièce par pièce, au cours de nos réunions... Après les congés de l’Aïd, nous soumettrons le projet en interne à nos supérieurs hiérarchiques et nous nous mettrons en rapport avec le ministère de l’Intérieur. Une fois sa validation acquise, nous lancerons la procédure de confirmation de candidature auprès d’Interpol.”

Avec ou sans Etat

Une question, légitime, se pose : postuler au titre de membre d’Interpol sans Etat officiellement reconnu par la communauté internationale, n’est-ce pas aller au-devant de l’échec ? Pas nécessairement : le 31 octobre 2011, la Palestine est devenue le 195e membre de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

La majorité des pays qui ont voté pour l’accès de la Palestine à l’Unesco siègent également au sein d’Interpol. L’épreuve sera moindre car les appuis ne manqueront pas.

Et comment se passe la collaboration entre la PCP et son homologue israélien ? Nazzal est formel : “Nous avons fréquemment des réunions communes et nous travaillons côte à côte dans le cadre d’enquêtes. L’atmosphère est ‘normale’, chacun fait preuve de professionnalisme.

Dans la police, Palestiniens et Israéliens sont sur un pied d’égalité. Certes, nous sommes deux entités séparées : ils ont leur police et leur système judiciaire, nous avons les nôtres. Mais nous sommes motivés par un but commun : parvenir à trouver ensemble des solutions favorables aux deux camps. Chaque partie doit être convaincue d’agir pour le mieux, en accord avec le camp opposé. Pourquoi ne l’appliquerait-on pas, alors que cet état d’esprit sert la cause des deux peuples ?” Quand on l’interroge sur le bilan des progrès accomplis, Imad Nazzal répond simplement : “J’ai démarré ma carrière au sein du service d’Investigation de Ramallah en 1999, il y a 13 ans. Trois mois après ma prise de fonctions, débutait la seconde Intifada.”

En 2000, les moyens de la police étaient extrêmement limités. A l’issue de la seconde Intifada, les locaux de la PCP ont été bombardés. En 2006, Eupol Copps entame sa mission et contribue activement à reconstruire la police palestinienne, notamment sur les plans financier et logistique. Les capacités de la PCP ont été sensiblement améliorées.

L’une des avancées les plus profondes, tournée vers l’avenir : l’évolution des esprits.

Il fallait changer les mentalités parmi les jeunes recrues, afin d’établir une PCP plus ‘civile’ : une police de proximité, soucieuse de faire appliquer la loi et respectueuse des droits de l’Homme.

Sur le plan de la sécurité intérieure, de gros progrès ont été constatés : “Si vous, journaliste étrangère, vous pouvez voyager en toute sécurité à travers le pays, cela signifie que le pari est gagné. Mon peuple est en sécurité.

Les tensions et les accrochages qui avaient lieu pendant la seconde Intifada ont disparu.

Cette époque est révolue. Et les commissariats de police sont désormais respectés.”

Aujourd’hui, 80 % de la population palestinienne considèrent la police nationale comme un service performant.