A la recherche de sa moitié

Si l’amour rime parfois avec toujours, il faut commencer par le trouver pour pouvoir le garder. En Israël, le constat n’est pas rose : le nombre de célibataires ne cesse d’augmenter

Ame soeur (photo credit: Reuters)
Ame soeur
(photo credit: Reuters)

Grégaires. C’est bien souvent ainsi que l’on qualifie les Israéliens quiadorent passer du temps en groupe. Pourtant, de plus en plus d’entre euxtendent à rester célibataires. Et le phénomène menace d’avoir des effets à longterme sur le futur visage de cette société multiple. “L’impact de la ‘révolution de la rupture’ est de longue portée. Il a touchéles domaines du logement, de l’économie, de l’éducation et affecte même leniveau de bonheur personnel”, écrit Amit Zahavi-London, auteur d’une nouvelleétude sur le phénomène du célibat en Israël.

Responsable d’un service de rencontres, Zahavi- London maintient que lamodernisation, le pluralisme et la hausse des standards de vie ne font en réalitéqu’augmenter le désarroi en la matière. Et de nuancer : “Peut-être s’agit-il d’un désarroi temporaire, une étape detransition vers une société avec de nouvelles règles du jeu”. Selon lesstatistiques, en 1971, une Israélienne de 35 ans sur 40 était célibataire. Unratio divisé par dix (1 sur 4) aujourd’hui. Idem chez les hommes.
Influencé par l’Occident, Israël voit également son taux de divorces augmenterdrastiquement.
“Il y a quelques années être divorcé était honteux, une tare. Les gens n’osaientmême pas le dire. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, un couple sur deux se sépare. Unphénomène très commun. En Israël, c’est un mariage sur trois”, explique le professeur Oz Almog,sociologue à l’Université de Haïfa. “Un mariage qui dure est devenu une situationanormale. C’est très sérieux : nous devons nous adapter.” Selon les dernières données du Bureau central des statistiques, 35 % desIsraéliennes âgées de 35 à 49 ans sont “en recherche”. Pour les hommes, ce sont42 %. Jusque dans les années 1980, le Bureau ne faisait même pas figurer lamention “divorcé(e)” dans ses catégories familiales. Il recensait les “célibataires” et les “noncélibataires”.
“Les femmes viennent en groupe”

 “Les services de rencontres ont pris la placedes entremetteuses à une exception près”, analyse Zahavi-London. “Par le passé,on était gêné d’admettre qu’on avait besoin d’une marieuse et cela se faisaitgénéralement en secret. Aujourd’hui, avoir recours à une agence est tout à faitlégitime”. La jeune femme a dirigé un site, “Shakouf B’Tzafon”, dans le nord du pays. Elleen est sûre : Internet offre bien davantage de partenaires potentiels àrencontrer que les voies traditionnelles. Ces dernières vont de la randonnéeaux soirées, d’excursions aux thés dansants et même aux parties de bowlings.

Mais dans les faits, seules les femmes se rendent en masse à ces événements,bien plus que les hommes, elles en composent jusqu’à 80 %. Autre particularité : “les femmes viennent en groupe, tandis que les hommesviennent seuls”, explique l’experte. “La gente masculine se sent moins gênée de venir seule. Elle fonctionne defaçon pragmatique. Si un homme se rend à un événement et ne trouve personneavec qui rentrer, il ne reviendra pas. Mais les femmes s’amusent. Elles n’ontrencontré personne ? Et alors ? Elles ont passé un bon moment et reviendrontdans l’espoir de rencontrer quelqu’un la prochaine fois”.
Eviatar Ronen, un charmant organisateur d’événements, divorcé, 49 ans, pensequ’Internet est la meilleure façon de rencontrer des femmes. Mais, bien qu’ilen goûte les joies, il trouve aussi qu’il est facile d’en arriver à éviter laréalité plus exigeante du monde extérieur. Noga Martin, éditrice de latrentaine, vivant à Tel-Aviv, a, au contraire, laissé tomber les rencontres enligne. “J’ai essayé, je ne compte plus combien de fois. Pendant un moment, jetenais un décompte et j’en étais à plus de 60 hommes. Ma conclusion ? Les rencontres sur le net sont le reflet exact de ce qui sepasse en dehors du net. Les gens sociables et ouverts rencontrent despartenaires très facilement, et ceux réservés et timides trouvent cela plusdifficile”, explique-t-elle. “Si vous êtes dans un bar, ou toute autresituation sociale similaire, et que quelqu’un vient vous parler, vous pouvez nepas être intéressé au début, mais cela peut ensuite changer. Tandis que surInternet, si quelqu’un vous ignore, il n’y a rien à faire”.
Rencontres hors des sentiers battus 

Ronen note une tendance au sein descélibataires, nombreux sont ceux qui se tournent vers des activités plussubtiles pour rencontrer de potentiels partenaires. “Les cours de méditation, de yoga, les études de Kabbale, les stages de tantra: c’est la foire aux rencontres”, explique le connaisseur. “Officiellement, onn’y va pas pour cela, mais en pratique c’est un haut lieu de drague et trèsironiquement, c’est parce que ce n’est pas stigmatisé”. En hébreu, c’est le terme panouï (disponible) qui prévaut pour décrire celuiqui recherche un partenaire. Tout un secteur professionnel en est né. Selon lesexperts, un panouï a en moyenne 24 ans, il ou elle est divorcé(e), veuf(ve) oun’a encore jamais été marié(e) et recherche un conjoint.
Pour Zahava-London, tous les “pnouïm” en recherche de partenaire ne veulent pasnécessairement se marier, mais désirent avant tout avoir un compagnon pour êtremoins seuls. Et il devient de plus en plus difficile de se rencontrer dansl’Etat hébreu. “Nous avons des problèmes spécifiques ici”, analyse-t-il. “Toutd’abord, de très mauvais transports en commun qui compliquent les rendez-vous.Ensuite, l’absence de lieux de distractions pour les gens d’âge moyen, au-delàde la quarantaine”. 

Le professeur Almog, expert en sociologie et spécialiste de la sociétéisraélienne, explique que la société est en pleine mutation et que l’industriedes loisirs nocturnes est assez jeune. “Avant, on se voyait chez les uns et lesautres. Aujourd’hui, nombreux sont les célibataires qui n’ont pas les moyensd’habiter dans de beaux appartements et ne veulent pas recevoir chez eux. Iln’y a pas assez d’endroits pour les plus âgés. Il faut que cela se développe. Nous devons aussi penser aux plus de 40 ans”. Pour beaucoup d’experts, le nombre de célibataires ne fera qu’augmenter, enparticulier chez les femmes, qui auront tendance à ne pas se marier d’emblée.Certains pensent même qu’à l’avenir les femmes commenceront à vivre encommunauté, dans des sortes de kibboutz.

“Sociologiquement, nous sommes à l’orée d’une nouvelle époque”, conclut leprofesseur. “Etudier ce phénomène de célibat, c’est en réalité étudier latransformation de notre système familial”.