Art et spiritualité au feminine

Neuf femmes, inspirées par la littérature biblique et rabbinique, exposent leurs oeuvres au Musée d’art juif Wolfson

art juif (photo credit: DR)
art juif
(photo credit: DR)

Le féminisme dansl’art juif n’est pas un phénomène nouveau. Pour preuve s’il en faut :l’exposition à découvrir au Musée d’art juif Shlomo Wolfson. Neuf artistesfemmes exposent le fruit de leur travail. Leur point commun : avoir puisé leurinspiration dans la littérature biblique et rabbinique.

Intitulée “Les femmes inspirées par le texte”, l’exposition du centre deJérusalem se poursuivra tout l’été.
Tous les articles Judaïca, créés au fil des siècles, peuvent être considéréscomme féministes. C’est du moins ce qu’a souligné Shalom Sabar, professeurd’art juif et de folklore, à l’Université hébraïque de Jérusalem, lors del’inauguration. Son exemple le plus évident : la Ketouba. Le contrat prénuptialqui énonce les obligations du marié envers son épouse se concentre entièrementsur les droits des femmes. D’après Sabar, qui compte parmi les plus grandsspécialistes du sujet, il est courant dans le monde sépharade, et enparticulier en Italie, de voir des Ketoubot décorées par une iconographie etdes citations juives qui vantent les femmes. Comme il est dit dans lesProverbes : “Hochmat nashim banta beita” soit “La sagesse des femmes est lefondement d’une maison”. Et de décrire un manuscrit rédigé pour une dame deMantoue (Italie) du 15e siècle, où figure une phrase pour remercier leTout-Puissant de l’avoir faite femme, et non pas homme, en contradiction avecla bénédiction traditionnelle “shélo asani icha” (qui ne m’a pas fait femme)que doivent réciter les hommes chaque matin.
Jusqu’à très récemment, la décoration des Ketoubot était la principale activitéde Laya Crust, l’une des artistes vedettes de l’exposition. A son actif : plusde 500 créations originales. Cette native de Toronto était présente lors duvernissage. Elle a présenté une magnifique Méguilat Ester achevée l’annéedernière, et exposée auparavant à la bibliothèque John M. Kelly de l’Universitéde Toronto.
“Le rouleau est casher”, s’empresse de préciser l’artiste.
Il est inhabituel de voir une femme pratiquer la sofrout, l’art du scribe, “maispour une Méguilat Ester, c’est acceptable”, précise-t-elle. “Celle-ci pourraitmême être utilisée dans une synagogue orthodoxe.” Le parchemin estminutieusement illustré, selon des règles de l’art persan du 16e siècle. Laya aconsacré beaucoup de temps à apprendre la culture persane qui cherche àcapturer au mieux la personnalité des personnages.
“La main est une continuation du coeur”

Esther Farbstein du Collège Mihlala deJérusalem évoque la sainteté de la Torah pour parler d’art.

L’auteure cite le célèbre Maharal de Prague, rav Judah Loew, contemporain du16e siècle et qui, selon la légende, a donné vie au Golem. La sagesse,rapporte-telle, vient de deux sources : l’esprit et le coeur. D’après le ravTzadok Hacohen de Lublin, grand chef de file hassidique au 19e siècle, “la mainest une continuation du coeur”, ajoute-t-elle. Une allusion à peine dissimuléeà la spiritualité qui abonde dans ses travaux.
Le tableau exposé par Yonah Rosenberg, huile sur toile, intrigue. Il s’agit depoissons semblables à des foetus, nageant dans un utérus. “J’étais enceinte demon troisième fils”, explique l’artiste. “C’était au milieu du mois de juilletet il ne voulait pas sortir. Le terme était déjà passé de deux semaines. Alorsj’ai compris qu’il voulait finir d’étudier la Torah”, ponctuet- elle, enréférence à la croyance qui veut que les bébés étudient le texte sacré dansl’utérus de leur mère.
Ahouva Korn Sagi a choisi pour sa part d’utiliser des couleurs vives pour sespeintures d’inspiration biblique. Pour chacune d’entre elles, elle a opté pourune teinte sans avoir la moindre idée de ce qu’elle allait créer.
Une autre des artistes, Métavel, a créé et lié des livres miniatures des cinqMégilot et de la Haggada de Pessah (la Pâque juive), et plus récemment d’unouvrage sur la Création, conçu à partir du texte kabbalistique et des chapitresde la Genèse. Elle a illuminé ses travaux via la micrographie, également connuesous le nom de microcalligraphie, forme d’art juif utilisé pour les rouleaux dela Torah, au 3e siècle. Pour Nourit Sirkis- Bank, conservatrice du Musée,l’artiste “perpétue la tradition dans ses magnifiques oeuvres”.
Les cartes de voeux à l’aquarelle et images pour enfants dessinées par lapopulaire Shoshana Meerkin apparaissent très souvent dans les magasins deJudaïca et autres galeries. Les réalisations choisies pour l’exposition mettenten valeur le texte hébreu dans le monde urbain, comme les graffitis ou lesplaques de rue. “Son approche, montrer combien le texte hébreu est présent dansnotre quotidien, est très pertinente”, commente Sirkis-Bank.
L’amandier, la métaphore de la femme

Ellen Lapidus Stern, quant à elle, estbien connue pour ses peintures à l’huile. Si ses tableaux sont également baséssur des thèmes bibliques, elles tendent beaucoup vers l’abstrait. “A ses yeux,un amandier n’est rien de moins que la métaphore d’un être humain”, expliqueSirkis-Bank. A l’origine de cette perception peu anodine : le vers “Ki Haadametz hasadeh”, “l’homme est l’arbre du champ”. Le mot Adam, dans soninterprétation la plus complète signifie à la fois homme et femme. Pour LapidusStern, l’amandier sonne dès lors comme une métaphore de la femme.

Les pièces de Hinda Herbst sont extraordinaires et véhiculent beaucoupd’émotion. L’artiste se concentre sur un mot en particulier, tel que “simha”(joie) et l’habille avec une palette de couleurs diverses. En s’appuyant surdes sources bibliques, elle dépeint ainsi la relation entre paix, bonheur,fraternité, foi et joie.
Lynn Broide a travaillé pendant dix ans sur l’interprétation de chaque versetde “Leha Dodi”. Le poème, récité lors de l’accueil du Chabbat, a été rédigé parle kabbaliste Rabbi Shlomo Halevi Alkabetz, il y a 500 ans à Safed. Le texteréunit des valeurs juives fondamentales : la centralité du Shabbat, l’unité deDieu et la foi en la rédemption. Selon la commissaire, “Broide se sert de poèmecomme d’une forme abstraite qui vient enrichir la signification du versetqu’elle a peint.”
La 9e artiste, Doni Silver de Los Angeles n’a pu assister au vernissage del’exposition. D’après son site Internet, son travail se définit par sa quiétudeet ses propres traits de caractères.
“La variété des travaux souligne à quel point le texte hébreu est une sourced’inspiration”, affirme Sirkis Bank. “Moi-même, la première fois que j’ai lu letexte hébreu de la prière juive “Nishmat Kol Haï”, “l’âme de chaque êtrevivant”, j’ai compris quelque chose de très important et de très profond surl’art juif”, confie-telle.
“Les mots de la prière juive inspirent de façon fantastique le visuel, etfavorisent la création et l’imagination du lecteur.” “J’espère que cetteexposition va encourager la lecture interprétative des textes et favoriser unenouvelle créativité.”
Le directeur général d’Hechal Shlomo, Shamai Keinan s’est félicité del’affluence générée. Car le Musée Wolfson a permis de présenter des oeuvresd’art qui n’ont pas été exposées dans d’autres galeries. Ces travaux n’en sontpas moins remarquables ! “Sirkis- Bank renouvelle les expositions tous lestrois mois”, explique-t-il. “Et souvent il s’agit de la première représentationpublique d’un artiste.
Le Musée Wolfson abrite une grande collection d’objets juifs rares et antiques,de communautés à travers le monde depuis l’époque du Second Temple jusqu’à nosjours. ■

Exposition : Lesfemmes inspirées par le texte Musée Wolfson - Hechal Shlomo Rehov

King Georges, 58Du dimanche au jeudi de 9h à 15h.
Téléphone : 02.62.47.908 ou 02.56.30.220 Site : http://www.hechalshlomo.org.il