Balabasta, l’indésirable

Des centaines de visiteurs seront privés de balade récréative dans Mahané Yehouda cette année. Contrairement aux étés precedents

bala (photo credit: Marc Israel Sellem)
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(photo credit: Marc Israel Sellem)

Voilà trois ansqu’une nouvelle vague de culture populaire est arrivée sur Jérusalem. Cenouveau concept avait fait de Mahané Yehouda, le marché central de la ville, ledernier lieu branché où marchands, acheteurs et curieux de tous horizons seretrouvaient pour expérimenter cette nouvelle tendance. Beaucoup s’étaientfascinés pour la grande nouveauté : un marché devenu attraction culturelle.

Ouri Amedi, à la fois l’homme derrière le concept et le directeur du conseil dequartier de Lev Ha’ir, savait dès le départ que le défi était d’envergure. Apeine trois ans après avoir été la scène de terribles attaques terroristes, leshouk a fini par se transformer doucement mais sûrement en lieu de loisirs parexcellence. Au programme : shopping, sorties dans des restaurants et cafés à lamode, le tout accompagné de musique et théâtre de rue... le parfait cocktailpour s’amuser.
Amedi était certain d’avoir trouvé la formule parfaite pour concilier affaireset loisirs, ainsi que pour remettre Jérusalem au goût du jour auprès desvisiteurs tant israéliens qu’étrangers. Beaucoup de médias internationaux -tant d’Amérique du Nord que d’Europe - avaient ainsi adoré le concept etn’avaient pas manqué de le faire savoir à travers des reportages spéciaux deleurs correspondants en Israël. Ce qui avait permis d’éclipser en partie lestraditionnelles informations peu flatteuses sur la situation politique etmilitaire de la région.
Avec le succès vint le soutien et l’argent. Personne, y compris ceux opposés enpremier lieu au concept, ne voulait être exclu de la grande nouveauté. Parmiles sponsors : la municipalité de Jérusalem, l’Autorité du Développement àJérusalem, le ministère du Tourisme, ainsi que des fondations privées. L’apogéedu succès est venue avec le soutien de la Fondation Shusterman, qui avaitinclus les événements du shouk à son prestigieux programme “Saison de laCulture à Jérusalem”. Le point culminant des festivités : le Balabasta, unesérie bihebdomadaire de spectacles d’extérieur en juillet et août, avec entreautres performances musicales, jonglage, marionnettes ou encore dégustation denourriture. De quoi encourager la venue de promeneurs à Mahané Yehouda, mêmes’ils n’avaient pas l’intention d’acheter les produits du shouk.
Quand la musique n’adoucit pas toujours les moeurs

La première vagued’opposition au Balabasta est venue des représentants haredis au conseilmunicipal. Ils se faisaient déjà les rapporteurs de plaintes de la part decitoyens de leur circonscription concernant les festivals de musique et denourriture (y compris non casher) organisés dans la Vieille Ville par lamunicipalité.
Concernant le Balabasta, rabbins et militants haredis se disaient inquiets de“l’inacceptable risque de promiscuité entre hommes et femmes, sans parler de laperte de temps en termes d’étude de la Torah”.
Ouri Amedi s’attendait à un retour de bâton, mais avait présupposé que lesuccès du Balabasta ferait taire les oppositions. Et en effet, de nombreuxhommes, femmes et enfants haredis venaient grossir jusqu’au petit matin lesrangs du public du Balabasta.
Mais c’est après qu’est venu le coup fatal : l’opposition de la part demarchands du shouk. Beaucoup ont affirmé que le projet interférait avec leursaffaires, et que les visiteurs se déplaçaient pour voir les artistes etmusiciens, mais n’achetaient pas une miette. Plus de 300 commerçants ont signéune pétition contre le Balabasta, refusant d’accueillir l’événement lors del’été 2012.
Quelque 160 commerçants ont tenté de soutenir le projet en signant unecontrepétition, en vain. L’opposition était trop nombreuse et trop forte.
A l’heure actuelle, le projet est annulé. Malgré les nombreux efforts denégociation en coulisses, il semblerait que le Balabasta ne soit plus qu’unécho dans les rues de Jérusalem.
L’on pourrait expliquer cette disgrâce par les plus basiques lois du marché :les commerçants ont fait le tri entre ce qui est bon pour les affaires et cequi est nocif.
Pourtant, dans ce cas précis, il s’agit en réalité de quelque chose de tout àfait différent.
Des batailles féroces bien que silencieuses sont menées depuis des mois entredeux factions de commerçants du shouk : partisans contre opposants à OuriAmedi. Amedi s’est rendu coupable de quelques erreurs dans sa gestion du conseil dequartier, erreurs auxquelles nombre de commerçants du shouk ne souhaitent pasêtre associés.
Et quoi de plus efficace pour se faire entendre que de mettre à bas le projetcentral d’Amedi pour le conseil de quartier ? Ce n’est pas tant Amedi quicompte. La vraie question est de savoir si la ville peut apprendre à mettre de côté lesintérêts personnels quand le bien-être des citoyens est en jeu. Des centainesde résidents et de visiteurs seront privés cet été de balade à toute heure dansle shouk.
Peut-être les commerçants ont-ils raison et que le Balabasta portait réellementpréjudice à leurs affaires. Ce qui n’est pas certain en revanche, c’est quecette annulation ne portera pas préjudice à l’image de Jérusalem.