Bezalel, au cœur de la création

L’école israélienne ne cesse de se renouveler, comme en témoigne la dernière exposition des étudiants du Master en Beaux-Arts. Rencontre avec les étudiants et le responsable du programme

Bezalel (photo credit: Ecole Bezalel)
Bezalel
(photo credit: Ecole Bezalel)

L’école Bezalel a 106 ans. Fondée en 1906 par le Professeur Shatz, àJérusalem, son but initial consiste à soutenir la création par des artistesjuifs, dans un esprit sioniste. Dès l’Indépendance de l’État d’Israël en 1948,Bezalel participe au développement de l’art juif en tant qu’expression de lanouvelle nation.

Le département des Beaux-Arts, inauguré en 1966, commence à délivrer sesdiplômes dans les années 1970 : l’école devient alors une véritable institutionacadémique.

Il faudra toutefois attendre 2003 pour voir le lancement du programme de Master(second cycle d’études universitaires) en Beaux-Arts, qui tient ses quartiers àTel-Aviv.
Un programme relativement récent, donc, au sein de l’institution plus quecentenaire. Dès la première édition, le travail des étudiants fait sensation :l’exposition des oeuvres de fin d’année du Master en 2004 est un succèscritique et public. Au fur et à mesure, le programme engrange les réussites :expositions à succès (7 000 visiteurs en 2009 !) mais aussi récompenses,reconnaissance internationale en Europe et aux États-Unis... Un exemple ? Uneexposition réalisée en 2010 par le programme, en coopération notamment avec lescursus de Beaux-Arts des prestigieuses universités Yale et Columbia.
La formation israélienne ne se cache pas de son aspect pratique : pas questionici de passer des semestres entiers à étudier l’art au passé. Les étudiantssont tous incités à créer. Tout naturellement, leur projet de fin d’étudesconsiste donc à réaliser des oeuvres destinées à une exposition commune. Ainsi,chaque année, les étudiants de deuxième année du programme (qui terminent doncleur 6e année d’études) exposent leurs oeuvres dans un espace ouvert au public.Cette année, l’exposition se tenait dans les hangars de la galerie Bezalel deTel-Aviv, au coeur de l’animé quartier sud de la Ville blanche.
Quand le philosophe rencontre l’art

Depuis 2010, c’est Raphaël Zagoury, pimpant francoisraélien, qui dirige leprogramme. Un responsable de programme d’art pour le moins inhabituel : pas deformation artistique, mais philosophique. Son élection à la tête du Masteravait donc surpris.

Lorsque lui est posée la question du bilan qu’il peut tirer de ses deux annéesà la tête du Master, et de son sentiment d’avoir répondu ou non aux attentes,le responsable botte élégamment en touche : “Il n’est pas possible dans mon casde répondre aux attentes classiques, on ne peut que les surprendre.

Mais c’est l’essence même de l’art que de déjouer les attentes !” Et sarelation avec les étudiants ? “J’essaie d’accompagner leur création, et dejouer un rôle de catalyseur, en travaillant avec un horizon ouvert. Je veuxlaisser cette génération dire ce qu’elle a à dire.” Ses élèves lui sontd’ailleurs reconnaissants : ceux-ci ont confié en aparté se sentir bienaccompagnés, dans un dialogue constructif avec leur enseignant.

Visiblement très fier de ses élèves, Raphaël Zagoury insiste : cette promotionest particulière à ses yeux.

“Il y a une vraie remise en cause des principes de l’exposition. Cette dernièrene se plie pas à l’esthétique galeriste [des galeries d’art traditionnelles,ndlr], qui est selon moi complètement obsolète. Ils ne cherchent pas à répondreaux exigences du marché de l’art”, affirme-t-il. “On voit ici un art quis’affirme dans son bégaiement : il y a une absence totale de prétention dansleur création.”

Interrogé sur les risques que comporte une telle approche pour l’avenirprofessionnel de ses élèves, Zagoury reste optimiste. “Je souhaite sincèrementqu’ils vendent, aux galeries et aux professionnels de l’art. Le marché esttoujours plus fort que la création, j’aimerais simplement qu’il n’ait pas ledernier mot.”

La question demeure cependant hors de propos pour lui dans le cadre de cetteexposition. “Ici, c’est un espace de question, d’expérience, de prise derisque.” Une sorte de cocon où le directeur du programme souhaite voir s’épanouirla créativité des élèves.

L’avenir prometteur de l’art israélien

De ce point de vue, c’est une réussite : l’exposition dénote une vraieliberté d’expression. Petit tour d’horizon de quelques artistes et leurs œuvres.

Chen Yehoshua travaille particulièrement sur la géométrie. Elle aime l’idée dela méthode qu’il en découle, de la simplicité enfantine que les formes qu’elleréalise lui évoquent. “Mon travail est de plus en plus abstrait... Je passe dela sculpture, et donc 3D, aux surfaces planes.”

Son travail est d’une simplicité très pure, mais non dénué de sens. Parexemple, les croissants présents sur ses sculptures lui évoquent une certaineidée de la féminité.

Keren Gefen est à l’origine de l’impressionnante composition “Wedding Day”.L’artiste a cherché à représenter à la fois un dais nuptial, en pensant à sesespoirs de mariage avec sa conjointe, mais accepte volontiers d’autressignifications, celle d’une plante parasite par exemple. Elle avoue ne pas avoirencore découvert le sens intégral de son oeuvre, vu qu’elle crée parimpulsions.

“C’est un sentiment qui me vient des tripes” déclare-t- elle.

Ofer Cohen, quant à lui, travaille sur l’idée d’ouverture et de fermeture.Ses œuvres passent de la 2D à la 3D, comme sur son triptyque modulable quireprésente une danseuse. Le pli des jambes de celle-ci fait sortir l’oeuvre deson cadre.

Ofer se plaît à l’idée que ses créations soient une représentationmathématique, évoquant des courbes graphiques.

Et ceci n’est qu’un court aperçu. On trouve de tout dans les oeuvres des 22étudiants : peinture, sculpture, mécanique, courts-métrages. Le point communentre les tableaux : le nettoyeur automatique de tombes (qui vient déposer descailloux et récurer la stèle), le dais nuptial et le palmier électrique ? Unenouvelle vision prometteuse pour le futur de l’art israélien, incarnée avectimidité mais beaucoup de talent par les étudiants du Master en Beaux-Arts deBezalel.