Deux Juifs, trois coutumes

A chacun son Kippour : tour d’horizon des coutumes qui ont traversé les âges

kippour (photo credit: Reuters)
kippour
(photo credit: Reuters)

Pimentées d’un zeste de mysticisme et de croyances populaires, les culturesjuives du monde entier ont chacune leurs coutumes réservées le Jour du GrandPardon, qui éveillent perplexité chez les uns, solennité et recueil chez lesautres. A la veille de cette fête redoutable, comment échapper à l’atmosphèregénérale d’introspection et d’émotions qui nous prend au corps au fur et à mesureque le Jour K approche.

Dans certaines communautés, l’allumage des bougies reflète justement cestourments de l’âme. Pour Rabbi Ami, un savant Amoraïte du Talmud, la lumière seveut un pronostic du destin de l’homme pour l’année à venir. Il écrit ainsi :“S’il (l’homme) veut savoir si oui ou non il restera en vie pendant l’annéesuivante, il doit allumer une lanterne et la placer dans une maison sanscourant d’air durant les 10 jours qui vont de Rosh Hashana à Yom Kippour. Si laflamme continue de brûler, il sait qu’il restera en vie l’année à venir.”

Forts de cet enseignement, en Afghanistan, chaque année, tous les Juifs, duplus riche au pauvre, offrent une quantité de cire suffisante aux aînés pourformer, soigneusement, couche par couche, une immense bougie de deux mètres dehaut, faite d’un seul boc, qui éclairera suffisamment la synagogue pendant lesprières de Yom Kippour, depuis celle d’ouverture, Kol Nidré, jusqu’à celle declôture, Neilah. La bougie ne sera éteinte qu’à la Havdala, 25 heures plustard.

Les fidèles voient un bon ou mauvais présage pour l’année à venir d’après ladurée de la flamme, soit la bougie a duré jusqu’à la fin du jeûne, soit elles’est éteinte avant. Avec une chose en tête : elle ne doit jamais faiblir. Auterme des prières, quand la flamme est étouffée, tous cassent des morceaux derestes de cire qui serviront d’amulettes au cours de l’année contre lesmalheurs et pour favoriser la guérison, le succès et la prospérité. Les femmesenceintes frottent les morceaux sur leurs ventres comme segoula, protectioncontre les fausses-couches et pour un accouchement facile. En outre, les femmesafghanes stériles boivent de l’eau de rose dans laquelle leur rabbin s’est lavéles mains, avec l’espoir de devenir mères.

Dans la tradition kurde, les bougies ont encore un autre usage. A la veille deYom Kippour, les membres de la communauté allument chacun une bougie de 30 cmpour leurs proches. Ainsi, la synagogue est illuminée de cette aura de lumièremajestueuse.

La lueur des bougies est assimilée à l’âme de l’homme, et l’on retrouve lasource de cette pratique dans les Proverbes 20:27 : “L’âme de l’homme est unflambeau divin, qui promène ses lueurs dans les replis du coeur”, C’estpourquoi l’allumage d’un grand nombre de bougies est un rappel de l’importancede l’expiation des péchés.

Mâchonner des cure-dents

D’autres communautés, comme les Juifs syriens, ont adopté des coutumessingulières pour mieux se repentir. Traditionnellement, les Téfilines sontportés exclusivement le matin. A la veille de Yom Kippour, les Syriens mettentleurs Téfilines lors de minha (prière de l’aprèsmidi), pour expier leursfautes, s’ils avaient omis de les mettre une fois au cours de l’année (voirKeter Shem Tov 6:272).

Et ils ne s’arrêtent pas là. Conventionnellement, un seul rabbin dirigel’ensemble du service, du début à la fin, alors que dans certaines synagoguessyriennes, trois rabbins prient en rotation. Et pour implorer que tous lesvoeux non respectés soient annulés et toutes les transgressions pardonnées,certaines congrégations syriennes chantent Kol Nidré deux fois à l’unisson.

Si plusieurs communautés juives dans le monde ajoutent tout une série depiyoutim dans la répétition de la Amida, contrairement aux makhzorimtraditionnels de Kippour, les livres syriens contiennent des prièresconfessionnelles appelées “Ashamenou” et “Al Het” qui énumèrent les 365transgressions négatives, suivies d’une liste de synonymes par ordrealphabétique, et les 248 commandements positifs, créant un rare équilibre yinet yang.

Yom Kippour se déguise pendant l’Inquisition espagnole. Les Juifs marranes,déchirés entre leur judaïsme dissimulé au monde extérieur et leurs pratiquesinternes, appelaient Yom Kippour “O Dia Grande” ou “Le Grand Jour” et nepouvaient prier que quelques heures, de crainte d’être découverts.Bien qu’ilsjeûnaient, il était difficile pour eux de s’abstenir de mâcher du tabac, desorte qu’ils mâchaient un morceau de ficelle rouge. Pour cacher leur respect dujeûne, ils faisaient ostentatoirement usage de curedents, se rinçaient labouche dans les fontaines publiques et se lavaient les mains. Les Marranes quise sont installés au Mexique ont gardé cette pratique des curedents, pourdonner la fausse impression d’avoir mangé.

Le rouge et le silence

La couleur rouge est omniprésente dans les coutumes de Yom Kippour. EnInde, les grands-mères suçaient une améthyste rouge pour tromper leur faim. Mâcherdu tabac est interdit, mais il est permis de le sentir. En Turquie, pendant lajournée, les différents membres de la communauté se passent des tiges de tabac,et récitent des bénédictions sur ces aromates pour atteindre le nombre requisde 100 prières dans la journée.

Dans d’autres communautés, les traditions de Yom Kippour sont plutôt obscures. Commecelles de l’autre côté du monde, à Kaifeng, dans la province du Henan en Chine,où une petite communauté juive se considère comme faisant partie des Dix Tribusperdues. S’ils ont oublié la plupart de leurs coutumes traditionnelles, ilsévitent tout de même de manger du porc. Ils ressemblent à des Chinois, parlentchinois, et ne connaissent pas l’hébreu, néanmoins, ils observent Yom Kippouret restent enfermés toute la journée, évitant tout contact avec le mondeextérieur, de manière à garder un esprit pur en cette journée sainte.

Des anciens de cette antique capitale de l’empire chinois se rappellent lacélébration du Yom Kippour alors qu’ils étaient enfants avec leurs familles etse souviennent que leurs maisons contenaient des étoiles de David. Cette pratiquede s’enfermer est également observée par la tribu perdue des Bnei Israël, quivivent dans la région de Maharashtra, en Inde. 

Parmi les Pathans ou Pukhtuns d’Afghanistan - environ 15 millions d’âmes -certains se considèrent comme faisant partie du peuple d’Israël. Ils viventprincipalement au Pakistan et en Afghanistan, ainsi qu’en Perse et en Inde. Ilsrespectent certaines coutumes juives et, jusqu’à une époque récente,observaient Kippour. On a entendu des témoignages de certains membres de la tribuLevani qui se rendaient à la synagogue le jour du Grand Pardon, chaque année,en Afghanistan. Ils y restaient jusqu’au coucher du soleil, sans prononcer unseul mot. Interrogés sur l’origine de cette coutume, ils ont parlé destraditions du Temple, du Grand Prêtre et de son travail. Eux aussi allument denombreuses bougies avant Yom Kippour et se tournent vers Jérusalem pour prier.

Réciter des psaumes ou bénir la famille royale

En Lituanie, l’avant-gardiste Rabbi Israël Salanter observait un silencesolitaire 40 jours avant Yom Kippour. En ce qui concerne le jeûne, pendantl’épidémie de choléra de 1948, Rabbi Salanter a interdit de jeûner pour desraisons de santé. A la guerre de Kippour, le rabbin de Tsahal, Shlomo Goren, aordonné aux soldats combattants de ne pas jeûner. Pour d’autres, cependant, lejeûne de Yom Kippour représente un tout autre genre de défi.

“Jeûner est fondamental, mais pour les personnes qui souffrent, ou qui seremettent d’un trouble de l’alimentation, manger à Yom Kippour peut justementne pas être un acte sacré. Plutôt que de trouver pureté ou spiritualité en serefusant toute nourriture, l’acte même de manger peut être un acte derepentance”, explique la nutritionniste Janice Zelig, une Juive pratiquante.

En fonction des traditions de chacun, les prières varient d’une communauté àl’autre. Comme dans certaines congrégations réformées aux Etats-Unis quicommencent leur Yom Kippour non par Kol Nidré, mais avec le Psaume 30, unpsaume d’actions de grâces écrit par le roi David sur la consécration à sonTemple, comme le faisaient autrefois les Juifs de la Terre sainte, quientonnaient ce psaume sur la mélodie traditionnelle de Kol Nidre. A Kaboul, ilest d’usage de réciter tout le livre des Psaumes, y compris les huit chapitres dela Mishna Yona, à la maison, en rentrant de la prière de Kol Nidré.

Depuis le tournant du siècle, de nombreux livres de Kippour de Grande-Bretagnecontiennent une prière pour la famille royale, et depuis les années 1940, denombreux makhzorim à travers le monde consacrent une page de prières dans leurservice du soir à l’Etat d’Israël.

Aujourd’hui, au 21e siècle, les traditions de Kippour s’adaptent aux besoinscroissants d’une société complexe et diverse. Mais quelles que soient lescroyances et pratiques, n’oublions pas que, même si nous expions ce jour-là nospéchés commis envers le Tout-Puissant, il incombe aux individus de faire lapaix entre eux et de résoudre toutes les querelles et les tensions entre lesmembres d’une famille et ceux d’une communauté au sens large. Puissiez-vousêtre inscrits dans le Livre de la Vie !