La « loi française » révolutionne le marché du livre israélien

Une loi de régulation du marché du livre a été adoptée par la Knesset le 31 juillet dernier. Elle bouleverse l’ordre établi.

P22 JFR 370 (photo credit: Martin Alargent)
P22 JFR 370
(photo credit: Martin Alargent)

La loi pour laprotection du livre et des auteurs a été promulguée le 31 juillet dernier. Ellestipule que le prix de l’ouvrage, fixé par l’éditeur, restera inchangeablependant les 18 mois suivant sa publication. Et garantit également un revenuminimum à l’auteur d’un ouvrage publié en Israël. Pendant la période dite « deprotection », l’écrivain recevra au minimum 8 % du fruit de la vente de sonœuvre, calculé sur le prix public. Une attaque directe contre le duopole exercéen Israël par les deux chaînes de distribution Steimatzky et Tsomet Sfarim etla guerre des rabais dans laquelle elles se sont lancées depuis quelquesannées.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la loi de régulation n’entraîneraaucune inflation. Car pour pallier ces rabais, destinés uniquement auxbest-sellers et en général aux livres à rotation rapide, la plupart deséditeurs avaient artificiellement gonflé le prix des livres.
Mais à partir du 1er février prochain, date de l’application de la loi, tout vachanger. Les éditeurs se sont engagés à fixer un prix réel et les librairesdevront se satisfaire de remises beaucoup plus modestes de la part deséditeurs, qui, avant la loi, pouvaient atteindre plus de 80 %. Dorénavant,l’équilibre sera rétabli. Les éditeurs vendront leurs livres aux tarifs réels,les libraires également.
La loi autorise une seule exception : celle de la fameuse « semaine du livrehébreu », qui a lieu début juin dans l’ensemble du pays, où les consommateurspeuvent bénéficier d’un rabais de 20 % maximum sur le prix public du livre.
Un long processus

Trois événements déterminants ont pesé en faveur del’adoption de la loi. Le processus a commencé en 2005, lors d’un premierconstat montrant l’absence en librairie d’ouvrages français traduits, pourtantpubliés par les éditeurs israéliens.

Puis en 2008, Israël était l’invité d’honneur du Salon du livre de Paris. Outreles 40 écrivains israéliens invités, s’étaient également déplacés à Paris unetrentaine d’éditeurs, pour participer à un séminaire sur les questions de droitd’auteur et de la régulation du marché du livre, organisé par le BIEF (Bureauinternational de l’édition française). Et, dans le sillage de l’événementparisien, l’ancien ministre socialiste de la Culture, Jack Lang, père de la loiqui porte son nom votée en 1981, est venu en Israël. Sa rencontre avec lesprofessionnels israéliens a abouti à la création du premier lobby en faveur dela régularisation du prix du livre.
Enfin, en 2011, tout s’est accéléré avec la venue d’Antoine Gallimard, le PDGdes éditions qui portent son nom et, à l’époque, président du Syndicat nationalde l’édition (SNE). Il a su convaincre les politiques israéliens de l’urgenced’instaurer une régulation sur le marché du livre. S’en est suivi, notamment,un très fort engagement de la ministre de la Culture, Limor Livnat.
Laisser du temps au livre

Selon Roselyne Déry, attachée pour le livre etl’écrit à l’ambassade de France d’Israël, à l’origine de la promulgation dudécret longtemps appelé « loi française » par les médias israéliens, il fauts’attendre à un changement important : « Les consommateurs vont bénéficier d’unchoix beaucoup plus large qu’auparavant. A côté des best-sellers, apparaîtraplus largement la littérature traduite, notamment du français, mais aussi lespremiers romans d’auteurs israéliens, les livres de poésie ou encore lesessais. Tous ces livres ont besoin de temps pour trouver leurs lecteurs. Mis àla même enseigne que les best-sellers qui ne bénéficieront plus d’un prixréduit, durant la période de protection, ils joueront la concurrence autour ducontenu et de la qualité et plus seulement autour de leur prix de vente. C’estla voie ouverte vers la diversité culturelle où le livre retrouve une placecentrale ».

Et de poursuivre : « La concurrence devra dorénavant se jouer sur le servicequ’offre un libraire et non plus sur l’importance des rabais qu’il était prêt àfaire ».
Pour l’attachée, il s’agit aussi d’une « collaboration remarquable entre laFrance et Israël ». Car la nouvelle législation s’inspire largement de la loiLang, dont le but est similaire et vise à réguler le marché du livre en France.On le sait, la loi Lang permet encore aujourd’hui de faire du livre, lapremière industrie culturelle française, bien loin devant celle du cinéma, parexemple. En Israël, l’adoption de cette loi est donc historique se réjouitRoselyne Déry : « Il s’agit de la première loi de régulation d’un marchéculturel en Israël. Dans un Etat si porté vers le libéralisme, il s’agit d’unévénement majeur », c’est d’ailleurs dans ces termes que le député NitzanHorowitz, porteur du premier projet de loi a qualifié cette promulgation à laKnesset, le 31 juillet dernier.
Même plus la valeur d’un cadeau

La loi, qui entrera en vigueur le 1er février2014, concerne non seulement les livres papier, mais également les livresélectroniques. D’ailleurs, selon l’attachée culturelle, le livre papier aencore de beaux jours devant lui. « Je ne suis vraiment pas sûre qu’il soitvoué à mourir », note Roselyne Déry, pour qui les e-books (livres virtuels, àlire sur tablettes ou liseuses électroniques) permettraient même de « boosterl’industrie du livre en démocratisant la lecture ».

Elle explique : « Le e-commerce touche aussi des gens qui n’auraient jamais luun ouvrage auparavant. Cela accroît le public susceptible de lire et permet unemeilleure connaissance des produits. Si les gens aiment un livre, ils l’achèteronten version papier. Je suis partisane de cette théorie », précise-t-elle.
« Seulement, en Israël, le livre a beaucoup perdu de sa valeur. La cause en estla guerre des rabais pratiquée par les deux plus grandes chaînes de librairies.En discutant avec des mères de famille sur les cadeaux à offrir aux enfants quicélèbrent leur Bar ou Bat Mitsva, je me suis aperçue qu’aucune n’envisageait unlivre. Etonnée, j’ai voulu en connaître la cause. Elles m’ont répondu que sielles en offraient un, tout le monde saurait qu’elles l’avaient acheté 20shekels, et que c’était quasiment honteux. Cette réponse est terrible, le livren’avait même plus la valeur d’un cadeau », déplore-t-elle.
Un constat bien triste quand on sait que nombre d’auteurs francophones contemporainsvont être publiés ces prochaines semaines en Israël. Comme : Ladivine de MarieNDiaye, Zone de Mathias Enard, Le journal d’un corps de Daniel Pennac, Lesermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, Un lieu incertain de Fred Vargasou encore La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker.
Le public israélien est friand des écrivains francophones. Il s’est déjàfamiliarisé avec Amélie Nothomb, Le Clézio, Marc Lévy, Anna Gavalda, PatrickModiano ou Andreï Makine, entre autres, sans jamais délaisser le patrimoine desœuvres classiques, publiés à parts égales avec les auteurs contemporains.
Et le français est la première langue traduite en hébreu, après l’anglais. Ilfaut donc espérer qu’avec l’adoption de la loi sur la protection du livre etdes auteurs, beaucoup d’autres publications traduites du français verront lejour et viendront, encore, renforcer les liens de coopération dans le domainedu livre entre la France et Israël.