Le Musée National d'Israel fait peau neuve

L’institution fête son cinquantenaire anniversaire. Son directeur, James Snyder, a un rêve : la faire entrer dans la cour des grands, en lui donnant une coloration « Art moderne »

Le Musée d'Israel rénové (photo credit: DR)
Le Musée d'Israel rénové
(photo credit: DR)
Le « modernisme », c’est ce grand courant artistique qui s’élabore au début du XXe siècle. Des années 1910 avec l’expressionnisme allemand et le Bauhaus occidental, en passant par le minimalisme américain et l’expressionnisme abstrait, il s’étend jusqu’aux années 1950-1960, où débute l’art contemporain.
Le Musée d’Israël, situé tout près de la Knesset, était plus proche d’un musée d’histoire et d’archéologie. En prenant en compte le contexte et toute la spécificité du lieu, ainsi que la richesse de sa collection, des objets liturgiques aux manuscrits de la mer Morte, Snyder a fait l’articulation de l’histoire millénaire d’Israël avec l’Art moderne, donnant à l’une des plus grandes institutions culturelles d’art et d’archéologie de l’Etat hébreu, une dimension Art moderne.
L’originalité de James Snyder est d’avoir offert au Musée d’Israël la plénitude de sa fonction, en fabriquant un récit qui se lit à travers l’articulation des objets et des œuvres d’art exposées. Mais il n’aura rien dévoilé de ce récit. Il reviendra aux visiteurs et aux critiques d’art de comprendre les choix qui ont été faits, ce qui aura été mis en avant ou passé sous silence. Cela ne se dit pas en quelques lignes, car le principe de l’objet d’art, c’est que plusieurs interprétations sont possibles et que chacun, plus ou moins, compose sa propre histoire en circulant dans le musée. Donner une réponse, reviendrait à annuler l’objet d’art en tant que tel, en le réduisant à une seule signification. Ce que justement James Snyder a réussi à éviter, donnant au spectateur un rôle à jouer dans l’élaboration du récit. Entretien avec un directeur passionné.
Vous vous êtes occupé de la rénovation du Moma, le musée d’Art moderne de New York. En quoi cela a-t-il influencé votre travail ici ?
Le « Moma », c’est justement le musée qui a inventé le modernisme. Et en donnant un statut muséal au modernisme, il a inventé ce qu’on appelle le « musée d’Art moderne ». Mais ce n’est pas seulement l’invention d’un bâtiment, c’est l’invention d’une fonction qui consiste à dire qu’un musée est l’instrument d’une nation : en acquérant des œuvres d’art et en les exposant d’une certaine façon dans sa collection permanente, elle fabrique le récit officiel de l’histoire de l’art. Selon la façon dont est axée l’exposition, elle change la manière d’écrire l’histoire. A chaque fois qu’un musée propose une nouvelle vision d’exposer une collection permanente, il réécrit l’histoire en en proposant une nouvelle version.
uuAvec le Moma vous avez pris part au rafraîchissement du récit officiel de l’histoire de l’art. C’était aussi votre intention avec le Musée d’Israël ?
Quand j’ai participé à la rénovation du Moma, l’objectif était de le rajeunir en lui donnant la possibilité d’évoluer. Un musée d’histoire ou d’archéologie comme l’était le Musée d’Israël, n’a pas pour vocation de prendre modèle sur les musées d’Art moderne, comme le Centre Pompidou à Paris ou la Tate Gallery à Londres, ou comme le Moma. Mais à l’occasion du cinquantenaire et des travaux de rénovation, nous lui avons apporté une nouvelle dimension. Et j’ai voulu qu’elle soit « Art Moderne ».
Quelle a été la singularité de ce travail ?
Ce qui m’a intéressé en Israël, c’est de pouvoir articuler ce qui est ma spécialité, c’est-à-dire le modernisme, avec l’histoire disons légendaire, l’histoire juive et celle d’Israël. Le modernisme a sa place ici, tout simplement parce qu’au cours de la première moitié du XXe siècle, les artistes arrivés en Israël étaient issus de l’Europe de l’Ouest et de l’Est, là où s’est fabriqué le modernisme, qu’ils transportaient en fait avec eux. Et je me suis dit que le Musée d’Israël offrait une opportunité unique de mettre en avant le récit du modernisme, articulé avec l’histoire millénaire d’Israël.
Comment cela se traduit-il en termes de programmation  ?
Pour la réouverture du musée, la première partie du programme va couvrir 1965 à 2015. Pour la deuxième partie, nous aurons les artistes de l’expressionnisme allemand des années 1910 et 1920. La troisième séquence du programme pour 2015-2016 vise à reprendre une dimension plutôt à caractère anthropologique, puisque nous voulons montrer une collection d’objets archéologiques israéliens excavés depuis la création de l’Etat, qui ont jusqu’à 800 000 ans – comme les traces de feu, d’agriculture, d’os de bétail, quelque chose d’avant l’histoire du monothéisme, avant l’histoire des nations, avant même l’histoire des religions. Les 24 expositions annuelles qui viendront s’hybrider avec les 3 grands moments de l’exposition permanente contribueront à faire évoluer le récit.
Qu’est-ce que tout cela va « raconter » ?
On ne vient pas avec un récit tout fait que les objets viendraient « illustrer ». Ce sont les objets qui petit à petit racontent des bouts d’histoire. Et en les assemblant ensemble dans une exposition, tous ces bouts d’histoire fabriquent une histoire recomposée. Le récit se fabrique par l’orchestration des objets dans cet espace-là, par la scénographie.
Pour autant le modernisme a une idéologie particulière que vous avez voulu mettre en place ?
Il n’est pas besoin de discours, de théorie ; on peut se mettre devant une sculpture ou une peinture et les propriétés esthétiques de l’objet vont parler d’elles-mêmes. Vous allez immédiatement être en contact avec le Beau. Evidemment, il y a un énorme travail idéologique qui est fabriqué, mis en place, pour que tout d’un coup vous trouviez un monochrome « beau », ou une sculpture de bouts de ferraille « belle », de la même façon qu’une peinture italienne du XVe siècle. C’est le même travail éducatif du regard, mais le discours du modernisme, c’est que l’art parle de lui-même, parce que les propriétés des matériaux sont soudain rendues visibles.
Et dans votre façon d’exposer ces objets en quelque sorte « pour eux-mêmes », vous y mettez encore votre signature, je dirais, « moderniste » ?
Fidèle à la théâtralisation de la mise en scène, par exemple, propre à la tradition moderniste, j’ai souhaité exposer moins d’objets pour en montrer plus. C’est-à-dire laisser beaucoup d’espace, beaucoup de vide autour d’eux, pour qu’ils puissent être bien perçus et non pas étouffés par rapport aux autres.
Quelle est la spécificité d’Israël dans le récit ?
Le récit, c’est le récit moderniste. La spécificité d’Israël, c’est l’arrivée des artistes juifs en Israël. L’art moderne n’est pas né en Israël, et, en venant, les artistes modernistes se sont adaptés au contexte. Le contexte est primordial. Un objet, un art ou même une phrase, ne veut rien dire de façon isolée, cela prend toujours ses connotations par rapport au contexte et c’est selon le contexte que les choses prennent sens. Moi ce qui m’intéresse, c’est de travailler l’articulation entre le modernisme et le contexte israélien pour voir comment les choses se sont hybridées.
Comment en gros on a fabriqué de l’« isréalinité » ?
Les choses ne sont pas nées sur place. Elles sont venues de l’extérieur, puis elles se sont sédimentées et adaptées. Et l’idée que le récit devait entrelacer régionalisme et universalisme nous tenait à cœur. Une fois créé ce parcours dans le temps, qui vous ancre dans cette partie du monde où nous sommes, vous avez un socle à partir duquel vous pouvez explorer toutes les cultures visuelles du monde. Jérusalem est en Israël, Israël au Moyen-Orient et Israël est aussi le centre de l’univers.