Le cardinal des Juifs

Une biographie revient sur le destin exceptionnel du prélat Jean-Marie Lustig

Critique livre (photo credit: .)
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‘Je suis né juif. J’ai reçu le nomde mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, jesuis demeuré juif comme le demeuraient les apôtres”. Cette épitaphe, inscritesur un pilier de Notre Dame de Paris, le très influent cardinal-archevêque deParis Jean-Marie Lustiger l’avait rédigée lui-même quelques jours avant sadisparition, en août 2007.

Nul n’aurait pu mieux résumer la vie du “cardinal des Juifs”. Celui queJean-Paul II considérait comme son frère avait atteint le sommet de sonrayonnement en organisant les JMJ (Journées mondiales de la Jeunesse) à Parisen 1997, pour le souverain pontife.

C’est surtout cet aspect-là, les origines juives et le rapport à sajudéité, qu’éclaire la biographie qui vient de paraître chez Grasset, fruitd’une enquête menée par l’ancien chroniqueur religieux du journal Le Monde,Henri Tincq.

Enquête d’abord sur l’enfance, à Orléans, d’Aron (Aharon en hébreu, devrait-onécrire) Lustiger, qui deviendra un jour le plus célèbre père spirituel juifchrétien, après Jésus-Christ : le prélat Jean-Marie Lustiger.

Tincq a découvert un document inconnu jusque-là, datant d’octobre 1940, auxpremiers mois de l’occupation nazie : l’enregistrement du baptême des parentsd’Aron dans l’évêché d’Orléans. Un faux baptême, destiné à échapper aux loisantijuives, puisque l’on sait que le père tentera plus tard d’empêcher laconversion de son fils. L’auteur prête à cette découverte une impotanceprimordiale : elle éclaire selon lui le destin du grand prélat, initiateur durapprochement entre ses deux religions, le judaïsme de ses origines et lechristianisme qu’il a fini par adopter, alors qu’il avait été élevé à l’écolelaïque.

Imaginez la scène : père et fils s’affrontent dans le bureau du supérieur duséminaire où le jeune Lustiger veut entrer. Le père s’oppose farouchement, lefils s’entête, et obtient finalement gain de cause. C’est tout gagné pourl’Eglise de France, dont il va grandement contribuer à maintenir l’influence.

Rattrapé par ses origines juives ?

Visionnaire spirituel mais aussi politique (il entretint d’excellentesrelations avec le président François Mitterrand), Jean-Marie Lustiger aura eu,après de brillantes études, une grande carrière, jalonnée d’actes forts :aumônier de la Sorbonne en 1968, création de Radio Notre-Dame et de latélévision KTO, de l’écolecathédrale (formation d’étudiants en théologie) et duCollège des Bernardins où s’affrontent penseurs et chercheurs, évêque d’Orléansen 1979 et surtout archevêque de Paris. Son action se ressent encoreaujourd’hui tant sur le clergé que sur la société française dans son ensemble.

Pendant des années, il a été considéré comme l’un des candidats les plussérieux à la succession de Jean- Paul II. Jusqu’à ce que l’âge le rattrape, et,d’aucuns diront aussi ses origines juives : vous imaginez à la tête de l’Eglisecatholique un Juif, miraculeusement échappé de la Shoah ! Une chance que n’aurapas eue sa mère, gazée à Auschwitz, l’événement fondateur de sa vie, comme ille dira en 1979, le jour de son intronisation dans sa ville natale.

Ironie de l’histoire et d e s t i n s croisés de t r o i s hommes et d’unefemme : Jean-Paul II est né et a grandi en Pologne, où il est devenu cardinal(de Cracovie) après avoir sauvé des Juifs pendant la Shoah.

Les parents de son “frère” étaient eux des immigrés polonais réfugiés enFrance, où naîtra le petit Jean- Marie. Mais la mère repartira dans un train deFrance vers Auschwitz, pour y être tuée, parce que Juive, “en martyre” diraientles Chrétiens. Et tandis que son fils deviendra, sous le pontificat deJean-Paul II, le cardinal de Paris et jouera un rôle essentiel dans la mémoirede la Shoah et la “repentance” de l’Eglise pour ses défaillances sous Vichy, untroisième homme fera office d’idéologue de l’Eglise avant de succéder àJean-Paul II : Benoît XVI, un Allemand justement, mais pas n’importe quelAllemand, un ancien de la Wehrmacht et des Jeunesses hitlériennes !