Mme la Rabbin

Delphine Horvilleur est une femme rabbin, la troisième en France seulement

rabbin (photo credit: Valentine Bourrat / Ambassade de France)
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(photo credit: Valentine Bourrat / Ambassade de France)

Sandalescompensées, ongles noirs, lunettes tendance... Delphine Horvilleur est loin desarchétypes religieux. Ancienne mannequin, étudiante en médecine, journaliste,elle est depuis 2008 rabbin au MJLF (Mouvement Juif libéral de France), àParis. Invitée par l’ambassade de France en Israël dans le cadre du ForumReligion et Démocratie, elle porte une parole humaniste et résolumentprogressiste. Rencontre.

Comment êtes-vous devenue rabbin ?

Mon parcours està virages multiples. J’ai grandi dans une famille traditionaliste, où laquestion de l’identité juive était très importante. Mes parents étaientimpliqués dans la vie juive communautaire, j’ai moi-même fréquenté desmouvements de jeunesse. A l’âge de 18 ans, je suis partie vivre en Israël. J’yai suivi des études de médecine, obtenu une Licence à Hadassa à Jérusalem, faitde la recherche... J’ai engagé ensuite une carrière journalistique en France,et notamment travaillé à la télévision.

Et pendant toutes ces années, j’ai toujours étudié les textes, j’étais trèsintéressée par le Tanah, la pensée juive, le Midrash. Le rapport aux textes mepassionnait, que ce soit dans une approche intellectuelle ou anthropologique.
Je fréquentais de très nombreux cours d’étude, cela prenait de plus en plus deplace dans ma vie et je voulais approcher la Guémara et le Talmud.
Mais partout, on me disait : vous êtes une femme, les cours de Talmud ne sontpas pour vous. La situation me frustrait énormément. Je ne comprenais pas cetteexclusion, cette méhitza, que l’on plaçait irrémédiablement dans l’étude et quine correspondait pas à ce que je percevais des textes. C’est ainsi que l’on m’aconseillé d’aller à New-York pour étudier dans une yeshiva orthodoxe, puisquedans le monde juif américain, orthodoxe compris, la possibilité d’étudier àhaut niveau existe pour les femmes. J’ai donc étudié là-bas à la fois dans uneyeshiva orthodoxe, dans les séminaires du judaïsme massorti et du judaïsmelibéral : les trois principales mouvances du judaïsme contemporain.
Tout doucement, je me suis orientée vers la voie rabbinique.
Il m’est apparu qu’en fin de compte mon amour de l’étude, mais également toutce que j’avais cherché dans la voie médicale ou journalistique, m’y menait. Cesdeux métiers m’avaient plu parce qu’on y est à l’écoute de l’autre, à l’écoutedes moments sacrés de sa vie, on est présent comme témoins.
On se pose en permanence comme un traducteur, littéralement un média, entre letexte religieux, scientifique ou littéraire et la vie de l’autre. C’est quelquechose de l’ordre de la traduction qui me semble être précisément le coeur de lafonction rabbinique. Un rabbin, c’est quelqu’un qui fait la jonction entrel’humain et le texte, sans jamais donner priorité au texte contre l’humain. Cequi n’est malheureusement pas toujours le cas. Mais, pour moi, on doit toujourss’efforcer de faire se rejoindre et dialoguer l’humain, le texte et lestraditions.
Le rabbinat féminin est loin d’être une norme en France et en Israël. Mais,c’est bien plus normatif aux Etats-Unis.
Là-bas, le judaïsme dans son immense majorité est nonorthodoxe, les mouvementsprogressistes y sont très développés.
Ce qui a également un impact fort sur l’orthodoxie moderne américaine, bienplus développée qu’ailleurs.
On l’ignore souvent, mais il y a aujourd’hui des femmes rabbins et des leadersdans les communautés orthodoxes aux Etats-Unis, même si cela fait pluslongtemps qu’il y a des femmes rabbins chez les libéraux.
Pourquoi alors être revenue en France ?

Mon mari étaittout à fait partant pour rester aux Etats- Unis, c’était un vrai dilemme. Maispour moi, l’enjeu et le défi étaient justement de revenir en Europe, etpeutêtre aussi d’aller en Israël. Je voulais revenir en France, le pays de maculture, pour essayer d’apporter les voix alternatives qui m’avaient tantmanqué pendant mes années de formation. Car le message principal du judaïsme,selon moi, est justement le respect profond de nos textes pour les voixdivergentes et alternatives. C’est l’idée que personne ne peut être dans lemonologue, s’abroger le monopole de l’interprétation et de la lecture légitime.

Il me semble tout à fait essentiel de réhabiliter cela aujourd’hui, alors quecela a été un peu perdu dans les études de Torah et les Batei Midrash (maisonsd’étude) en France. Entendre ces voix différentes, ces voix d’hommes et defemmes, est nécessaire. J’ai voulu participer à l’émergence de ce dialogue-là.
Si tel est le coeur du judaïsme, comment expliquezvous alors les difficultésrencontrées en Israël et le poids de l’orthodoxie aujourd’hui ?

Accepterd’entendre la voix de l’Autre est un défi énorme. Le judaïsme n’y parvient pasréellement, mais pas moins que les autres religions. La voix d’un monopoledevient très vite un outil politique majeur. Un outil usurpé parfois parcertains, sans que cela soit toujours conscient.

On a tous tendance à vouloir entendre une voix qui soit représentative.
En conséquence, on dresse des structures presque cléricales dans un judaïsmepourtant pluriel par nature. Elever un rabbin au rang de Grand Rabbin, c’estcalquer une structure militaire ou cléricale sur un système juif, construitautrement à l’origine. En Israël et en France, il existe donc une tendance queles Français qualifieraient de jacobine : centraliser le pouvoir et définir uneseule voix représentative, unique, s’exprimant au nom de la tradition. Noussommes aujourd’hui en quelque sorte malades de cette situation. Il est trèsbénéfique de casser ce monopole. Mais c’est bien entendu difficile.
La société israélienne a été agitée cette année par de nombreux incidents etdébats relatif à l’exclusion des femmes dans les milieux religieux extrémistes.Quelle a été votre réaction ?

J’étais sidéréepar cette succession d’événements. Je lisais la presse israélienne tous lesjours et il ne se passait pas une semaine sans qu’un nouvel incident n’éclate.J’ai surtout été troublée de voir que les leaders religieux se sont dédouanésde ce phénomène catastrophique, en qualifiant les fauteurs de troubled’extrémistes ultra-minoritaires, ne représentant personne. C’est vraisociologiquement, mais je trouve la parade trop facile.

Je pense au contraire que les évènements de cette année doivent pousser lesleaders religieux, toutes tendances confondues, à s’interroger. Qu’est-ce qui,dans les textes, nourrit ces interprétations- là ? N’y a-t-il paséventuellement des “graines” permettant à ces lectures de pousser et de fleurir? Malheureusement, je pense que c’est le cas : on peut interpréter certains denos textes dans cette direction, faute de savoir les recontextualiser pournotre temps. Ne pas voir cela, c’est une défaillance morale. Un certainleadership religieux ne fait pas son travail, à mon sens, et se contente de selaver les mains. Il y a un devoir d’autocritique, de lecture critique de nostextes indispensable aujourd’hui.
Quelle est la place des Juifs en Diaspora selon vous ? Quels rôles cescommunautés sont-elles appelées à jouer par rapport à Israël et dans le monde ?

C’est uneévidence pour moi : la vie juive est composée d’une double hélice, la Diasporaet Israël. Nous avons besoin les uns des autres. La vision idéologique et noirede la gola (l’Exil), d’il y a plusieurs décennies, n’a plus lieu d’êtreaujourd’hui. Pour nous, Juifs de Diaspora, Israël fait partie de nos vies etest un repère permanent. C’est même le laboratoire d’une vie juive dont nousavons besoin.

Nous sommes constamment dans le devoir de soutenir Israël, ce qui inclutparfois un regard critique fort. Mais, inversement, la Diaspora est unenécessité aujourd’hui.
Les juifs de France y sont par choix, et sont des acteurs à part entière de lasociété française. Il faut faire attention aux discours communtaristes etaliénants que l’on entend parfois des Juifs français eux-mêmes se présentantcomme une identité étrangère à la nation. Cela n’a pas de sens, du point de vuede l’histoire française.
En fin de compte, qu’est-ce qu’un leader religieux aujourd’hui ?

C’est quelqu’un àl’écoute du monde qui l’entoure, à la fois de sa communauté et au-delà.Quelqu’un qui opère les traductions que j’évoquais entre l’époque actuelle, lacivilisation, la culture et les valeurs plus anciennes et ancestrales de nostraditions et de nos textes. Il doit étudier et dans la mesure du possible êtrecultivé, ouvert.

Selon l’endroit où l’on se trouve, la formation rabbinique n’est pas la même etn’est pas de la même qualité.
Mais à mes yeux les rabbins ne doivent pas seulement étudier le Talmud, êtredans une culture de yeshiva. Ils doivent au contraire avoir une connaissance dumonde, être capables de comprendre le monde et la culture dans laquelleévoluent les membres de leur communauté.