Une vie endiablée

25 ans de carrière et un succès international : ce Marocain d’origine devenu Gitan d’adoption a réglé ses comptes avec Israël. Son credo : la paix

Chico (photo credit: Erio TacFRance)
Chico
(photo credit: Erio TacFRance)

Le tracé de la vie tant professionnelle que personnelle de Chico s’imprègned’insolite et suscite le questionnement, tant il a été et demeure aujourd’huimouvementé. Son talent et une force unique de caractère ont mené ce petit garsdes quartiers d’Arles vers les scènes musicales où il continue encore, avec sesmusiciens, d’être acclamé à travers le monde, signe de la reconnaissanceindubitable d’un public depuis longtemps conquis. Jahloul Bouchiki, de son vrainom, a engrangé les disques d’or et autres récompenses comme les Victoires dela musique en 1990, d’abord avec son groupe les Gipsy Kings et desincontournables comme Bamboleo ou Djobi Djoba.

Puis pour cause de désaccord avec son producteur, en devenant Chico -surnom affectueusement donné par ses amis gitans - et les Gypsies. Baigné desinfluences culturelles d’une famille originaire d’Afrique du Nord - pèremarocain et mère algérienne - Chico conjugue ce qui est sien dans son foyer,avec le quotidien méditerranéen de cette Provence où il a grandi.

Artiste à part entière du monde de la musique française, dont ses sonoritéshispanisantes depuis longtemps lui ont permis d’en devenir l’une des piècesmaîtresses, il est un ami intime de Charles Aznavour. Naturellement, unecollaboration entre l’Arménien de naissance et le Gitan d’adoption allait voirle jour. Pour donner naissance à un album sobrement baptisé : Chico et lesGypsies chantent Aznavour. “Aznavour ?! On est très amis... On est voisins dansles Alpilles ! De temps en temps, on dîne ensemble”, raconte Chico lors d’unentretien téléphonique. “En s’amusant, on s’est aperçus que l’on pouvait réinterpréterses propres chansons.

Un jour, je lui ai proposé de faire un album. Il a bien sûr accepté !” Lerespect, la confiance et la considération mutuels de ces deux artistes àl’égard de leur travail vont permettre la création.

Se met alors en place un autre regard de ces célèbres airs d’Aznavour parle biais de l’espagnol, cette langue rythmique dans laquelle toutes leschansons sont interprétées, une vie nouvelle que Chico et ses musiciens seprêtent à leur insuffler. Cette revisite de La Bohème / La Boémia, La Mama, detoutes ces mélodies inoubliables ancrées dans la mémoire française, va donneraux paroles l’élan intime d’un renouveau que le talent du groupe concrétisetout en préservant simultanément l’esprit et la présence du chanteur.

“J’ai un regard de bonheur sur ces 25 dernières années. Le bon Dieu m’afait un cadeau extraordinaire. 25 millions d’albums vendus, je joue pour lesplus grands. Même Mike Jagger est venu me dire un jour : ‘J’adore ce que vousfaites !’”, déclare celui qui a su savourer le succès venu au terme de quelquesannées de galère.

D’une tragédie collective à un drame individuel

Au début des années 1970, le terrorisme palestinien, sous la houlette deYasser Arafat, entre dans sa phase active. L’OLP, créée en 1964, déclenche unecampagne internationale contre les Israéliens. Après le sanglant épisode deSeptembre noir, Israël devra faire face à des détournements d’avions de ligne,attaques et bombardements de la région nord du pays, depuis les bases de l’OLPau Liban. Et des massacres, comme celui perpétré en 1974 sur l’école de Maalot,qui se soldera par la mort de 22 élèves.

Mais aussi, bien sûr, par l’attentat des Jeux olympiques de 1972, à Munich, où11 athlètes israéliens sont froidement abattus. Une barbarie qui va tristementrésonner avec l’histoire personnelle de Chico.

Nous sommes en 1973. Les autorités israéliennes ont juré vengeance. Etdécidé d’appliquer une loi du talion implacable à l’encontre de ceux qui ontpris part à ces assassinats : “Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, oeilpour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pourbrûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure”.

Une fronde punitive est mise sur pied. Où qu’ils soient, quoi qu’ilsfassent, les terroristes responsables des attentats de Munich seront éliminésjusqu’au dernier. Le Mossad prend la responsabilité du dossier et ses hommes demain, la direction de la Norvège. Mais les agents du Mossad jettent leur dévolusur un mauvais suspect. Ils confondent Ali Hassan Salameh avec Ahmed Bouchiki.Le 21 juillet 1973, le frère de Chico tombera sous une balle du Mossad, à lasortie d’une salle de cinéma, en présence de sa compagne norvégienne enceinte. Latragédie du peuple juif entraîne alors celle de Chico, qui finira par ensurmonter l’ampleur, en changera la teneur et la nature profonde.

Envoyé spécial pour la paix

En 1994 à Oslo, il fait la rencontre de Shimon Peres et de Yasser Arafat,sous l’égide des Nations unies, lors du premier anniversaire du traité de paixconclu entre Israéliens et Jordaniens. Tout se passe et s’organise dans laprécipitation, à la dernière minute. Le service des communications affrète unavion. Chico & les Gypsies se retrouvent, le jour même, devant un parterrediplomatique mondial.

“Yasser Arafat et Shimon Peres, c’était mon destin. Ils sont montés surscène pour nous serrer la main”, se souvient Chico, avec émotion. “L’UNESCO,tout ceci, était très symbolique. De par leur fonction, cet événement politiqueet ces gens représentaient ce pourquoi mon frère était mort”.

Remarqué pour son oeuvre artistique et son parcours singulier, lesinstances de l’ONU, par le biais de l’UNESCO et de son directeur FedericoMayor, consacrent Chico en lui décernant le titre d’Envoyé spécial pour laPaix. “Je promeus la paix et la tolérance partout dans le monde”, confirmet-il.

Chico a ainsi signé sa réconciliation avec l’Etat hébreu. Malgré lescirconstances funestes qui ont conduit à l’irréparable perte de son frère, lacommunication a été maintenue. Le dialogue par la musique, et l’échange par laparticipation, ont appuyé ce contact avec Israël, sa société, ses habitants.Chez Chico, nulle colère, nul instinct de revanche demeuré en arrière, figé etnoyé dans un temps révolu. Au contraire. A plusieurs reprises, l’artiste estrevenu, et s’est par la suite produit en Israël.

“J’adore Israël. J’adore Jérusalem. C’est un endroit avec une histoireforte”, insistet- il. “Mes meilleurs amis sont juifs. J’y suis retourné il n’ya pas longtemps, il y a deux ou trois ans. Je suis venu en tant que musicien. Maisaussi, à titre personnel, avec l’histoire que j’ai.” Chico conclut l’entretienen insistant sur l’universalité d’un sentiment que nous avons potentiellementtous, ce levier qui lui a permis, il y a longtemps, d’extraire l’aiguillon dela mort.

“Tout le monde vibre de la même façon. Tout est relié par une seule et mêmechose : l’amour, une émotion dans un coeur qui bat de la même manière. On estquelque part tous humains et tous ensemble. Cela donne des énergies debonheur...”