Elections à Téhéran

Le peuple iranien est appelé à désigner un successeur à Ahmadinejad, dans un contexte économique et politique catastrophique.

P5 JFR 370 (photo credit: Hamid Forootna/Reuters)
P5 JFR 370
(photo credit: Hamid Forootna/Reuters)

Mahmoud Ahmadinejad s’en va. Mais l’aventurisme politique et l’abîmeéconomique devraient demeurer. Le scrutin du 14 juin est un simulacre, mêmeselon les critères iraniens. En apparence, le peuple devra choisir entre 8candidats. Mais dans les faits, le futur président a d’ores et déjà été désignépar le Guide suprême Ali Khamenei, après le rejet de centaines de candidats.Seuls des candidats ternes et inoffensifs ont ainsi obtenu le droit de seprésenter.
Pendant des dizaines d’années, c’est justement ce poste de président de laRépublique islamique qui a empêché l’Iran de tomber clairement dans ledespotisme. S’il ne s’agissait pas d’une véritable élection démocratique, lesleaders devaient néanmoins affronter d’autres candidats aux urnes, ainsi quedes débats parfois très vifs face aux assemblées parlementaires, scrutés pardes médias semiofficiels.
La limite de deux mandats présidentiels de 4 ans rendait également lesgouvernements iraniens plus flexibles et sophistiqués qu’un grand nombre deleurs voisins arabes.
La bataille pour la capitale syrienne 
Mais tout a changé après lesmanifestations de 2009. Des millions de personnes en sont ressortiesconvaincues que le scrutin, gagné officiellement par Ahmadinejad, avait été enréalité remporté par l’ancien Premier ministre Hossein Mousavi. Ce dernieravait ouvertement critiqué Khamenei, ainsi que plusieurs positionsgouvernementales, comme le déni de la Shoah par Ahmadinejad.
Dès lors, les politiques répressives sont allées croissant. A l’automne 2009,le neveu de Mousavi était assassiné lors d’une manifestation contre leprésident. En février 2011, peu après la révolution égyptienne, Mousavi et unautre candidat de l’opposition, Mehdi Karoubi appelaient le peuple iranien àsuivre l’exemple cairote. Ils seront assignés à domicile, ainsi qu’une partiede leurs familles.
Sur le front étranger, des efforts massifs sont déployés pour empêcher la chutedu président syrien Bachar el-Assad. En effet, les révoltes arabes sonthautement menaçantes pour les mollahs. Non pas tant par amitié envers lesanciens leaders de la région, mais parce que les Iraniens, jadis plus libresque les Arabes, sont aujourd’hui un des peuples les plus opprimés duMoyen-Orient. Ajoutons que la plupart des nouveaux leaders sont sunnites, cequi, pour un leadership chiite, dérange à la fois politiquement etreligieusement.
Voilà pourquoi le Hezbollah, le commando particulier de Téhéran, a été lancédans la mêlée syrienne, en dépit du lourd coût humain. Au vu de la récentevictoire militaire d’Assad et des émeutes en Turquie, la stratégie peut semblerpayante. Elle ne l’est pas.
La victoire d’Assad, la semaine dernière, a été la conquête de la ville deQousseir, située, chose importante, sur la route de Damas depuis le port deTartous, face au nord-est du Liban, région depuis laquelle opèrent le Hezbollahet ses troupes. Les Iraniens espèrent que cette victoire constituera untournant pour Assad. Leur bataille commune se reporte désormais vers Alep, oùles combattants libanais et les conseillers iraniens semblent l’emporter surles rebelles.
Reprendre le contrôle de la capitale commerciale du pays est crucial pour lerégime. Avec Damas, Tartous et Alep en main, Téhéran pourrait créer unenouvelle ceinture chiite depuis l’Iran, jusqu’en Syrie et au Liban, en passantpar l’Irak.
Un régime menacé de l’extérieur… 
Les émeutes de cette semaine semblentégalement contribuer aux desseins iraniens, vu que le Premier ministre turcRecep Tayyip Erdogan est le critique le plus virulent d’Assad dans la région.Les affrontements de la police avec les milliers de manifestants pourraientempêcher Erdogan de s’opposer à la Syrie dans un proche avenir. En ajoutant àce tableau le soutien de la Russie et la Chine, on pourrait conclure que ladynamique moyen-orientale est exactement telle que la souhaite Téhéran.
Mais c’est loin d’être le cas. Tout d’abord parce que les limites de l’empriseiranienne ont clairement été mises au jour dans le conflit d’Assad avec lesrebelles. En conduisant la guerre syrienne, Téhéran s’est même positionné commel’ennemi numéro de la majorité sunnite mondiale. Les quelque 80 000 mortsarabes représentent plus de pertes que tout autre conflit dans le monde arabedepuis la guerre entre l’Iran et l’Irak. Pire encore, l’ingérence iranienne enSyrie a hérissé la Turquie. Ce que Téhéran ne peut ni se permettre, ni réparer.Ankara n’autorisera pas un retour d’Assad aux pleins pouvoirs. Même si leprésident survivait à Damas, et peu importe qui sera au pouvoir à Ankara, laTurquie trouvera un moyen pour renforcer la Syrie sunnite parce que,contrairement à l’Iran, elle fait frontière commune avec elle, partage sareligion dominante et a été son principal partenaire économique depuis dessiècles.
Une Syrie dirigée par l’Iran est, du point de vue turc, une monstruositégéopolitique.
De plus, les combats sont loin d’être finis en Syrie. Selon les experts, laviolence va durer encore un bon moment. Or, si la politique étrangère iraniennedemeure inchangée, cela signifie une véritable hémorragie pour Téhéran – à lafois physique, diplomatique, politique et financière.
Sur le front diplomatique, la terrible conjoncture léguée par Ahmadinejad n’estun mystère pour personne. L’entretien d’un programme nucléaire qui offensel’occident, et le terrorisme répandu dans le monde entier, de l’Argentine à laBulgarie, en passant par la Thaïlande et l’Inde, ont isolé l’Iran sur le planinternational. Mais tout ceci n’est encore rien comparé à la catastropheéconomique que devra affronter le nouveau président.
… et de l’intérieur 
Les résultats de l’économie iranienne sont désolants. Letaux de change du rial (9 000 pour un dollar) lorsque Ahmadinejad est arrivé aupouvoir, a aujourd’hui explosé à 40 000 rials pour un dollar. Le chômage touche25 % de la population, dont plus d’un tiers de jeunes diplômés. Des milliersd’usines ont fermé en raison de la hausse des matières premières.
En d’autres termes : la stagflation (stagnation + inflation).
Pendant ce temps, un système bancaire sclérosé, plombé par la lourdeuradministrative du régime, ne laisse que peu de possibilités d’investissementsaux plus riches, qui misent donc tout sur l’immobilier. Conséquence : les prixdu logement grimpent encore plus vite que l’inflation. En résumé, l’Iranienmoyen a de plus en plus de mal à trouver un emploi, se loger et manger de laviande.
Les difficultés du marché iranien ne datent pas des sanctions économiquesoccidentales. Mais remontent à l’époque du défunt Ayatollah Khomeiny ; pourlui, les classes populaires constituaient la colonne vertébrale de larévolution, et la classe moyenne était hérétique et subversive. Des régimes desubventions ont donc été créés, réduisant artificiellement le prix de nombreuxproduits, de l’essence aux transports en commun, en passant par les tracteurs,la viande, la farine et les oeufs.
Derrière cette politique se trouvait l’idée que les revenus pétroliers étaientune donnée invariable que le gouvernement pouvait simplement collecter pourredistribuer. C’est ainsi que les islamistes en sont venus à négliger l’industrie,qui affichait pourtant une belle croissance, parfois à deux chiffres, sous lerègne du Shah. Pendant ce temps, la population a doublé, passant de 35 millionsau moment de la Révolution islamiste à 75 millions aujourd’hui.
Comme cela a été le cas en Israël dans les années 1980, le régime dessubventions est peu à peu devenu impossible à financer et Ahmadinejad en aréduit une bonne partie.
Sans appliquer les mesures de sauvegarde employées dans l’Etat hébreu. En Iran,il aurait notamment fallu permettre à la banque centrale de mener une politiquemonétaire indépendante, mettant ainsi un terme au comblement de la dette enimprimant toujours plus d’argent ; libéraliser les marchés financiers ;moderniser l’industrie de l’énergie ; revendre des biens étatiques, réduire lesecteur public et démanteler les activités économiques des Gardesrévolutionnaires. Des mesures dont il est absolument hors de question pourKhamenei.
Cette ligne conservatrice apparaît aujourd’hui très clairement dans le choixdes candidats à la présidentielle.
Selon les experts, le maire de Téhéran Muhammad Kalibaf ou le chef desnégociations nucléaires Saeed Jalili sont les deux favoris du scrutin. Maisd’autres rappellent que les victoires d’Ahmadinejad en 2005 et celle de MuhammadKhatami en 1997 étaient inattendues et que le prochain président pourrait créerla surprise.
Quoi qu’il en soit, aucun des candidats qui se sont exprimés pendant lacampagne n’a fait preuve d’une vision économique, ni même d’une expertise oud’un enthousiasme particulier. En réalité, les sanctions internationales n’ontmême pas été évoquées. En résumé, les clercs mènent l’Iran à la catastrophe, etl’identité du nouveau président n’y changera rien. En clair, il ne sera pas unMikhaïl Gorbatchev qui pourrait modifier la terrible politique étrangèreiranienne, ou un Deng Xiaoping qui ferait repartir son économie moribonde.L’arrivée d’un leader de cette trempe dépend de la survenue d’autresévénements, que ce soit au sein de l’Iran, à l’étranger, ou les deux.