Guide utile des Frères musulmans

Le candidat des Frères musulmans Mohamed Morsi vient d’être élu nouveau président de l’Egypte. Chronique d’une prise de pouvoir finement menée

freres (photo credit: (© Suhaib Salem / Reuters))
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(photo credit: (© Suhaib Salem / Reuters))

On doit bien accordercela au Frères musulmans. Ils savent comment faire de la politique de pouvoir.Ils savent comment acquérir le pouvoir. Et ils savent comment utiliser lepouvoir.

Vendredi dernier, la veille du jour où les électeurs de tous bords ont élu lecandidat des Frères Mohamed Morsi nouveau président de l’Egypte, le Wall StreetJournal publiait un récit fascinant de Charles Levinson et Matt Bradley sur lafaçon dont les Frères ont déjoué les plans des révolutionnaires laïcs pourprendre le contrôle de l’espace politique du pays.

Les Frères ont gardé un profil très bas dans les manifestations de masse PlaceTahrir en janvier et février 2011, qui ont mené au renversement du présidentHosni Moubarak. C’est leur absence de la Place Tahrir qui a permis aux Occidentauxde s’amouracher de la révolution égyptienne.
On pensait alors, un peu partout, que les successeurs de Moubarak seraient desdémocrates laïcs Facebookiens. En partie suite au rôle du jeune exécutifégyptien de Google, Wael Gonim, dans l’organisation des émeutes : saparticipation dans les manifestations antirégime - ainsi que sa brèveincarcération - ont constitué la preuve s’il en faut que le prochain régimeégyptien ressemblerait étrangement aux générations X et Y américaines eteuropéennes.
Dans leur rapport, Levinson et Bradley montrent encore comment les Frères ontutilisé les laïcs pour renverser le régime, et leur fournir un voile demodération courant mars 2011, lorsque le peuple s’est exprimé pour la mutationde l’Egypte post-Moubarak, d’une dictature militaire en régime populiste.L’écrasante majorité de la population avait alors voté pour des électionsparlementaires et pour octroyer le pouvoir au Parlement nouvellement élu desélectionner les membres de l’assemblée constitutionnelle qui rédigerait lanouvelle constitution de l’Egypte.
Les Frères, la plus grande force sociale du pays, savaient qu’ils allaientobtenir la majorité des sièges au nouveau parlement. Le vote de mars 2011 abien signé leur contrôle sur la rédaction de la nouvelle constitution.
Des négociateurs de mauvaise foi

Puis juillet2011, les Frères décidaient de célébrer leur domination sur la nouvelle Egyptepar un rassemblement de masse Place Tahrir. Levinson et Bradley expliquentcomment les révolutionnaires laïcs ont été complètement évincés de l’événement.

Les Frères avaient décidé d’appeler la manifestation “le Vendredi de lacharia.” N’ayant pas compris qu’ils étaient hors-jeu, les partisans de lalaïcité ont alors tenté de défendre ce qu’ils croyaient faire l’unité des rangsantirégime, plus tôt dans l’année.

La différence entre les Frères et les laïcs est fondamentale.
Les Frères ont toujours eu une vision bien précise de l’Egypte qu’ils veulentcréer. Ils ont toujours utilisé tous les outils à leur disposition pourpromouvoir leur objectif de bâtir un État islamique en Egypte.
Pour leur part, les laïcs, désunis dans leur idéologie, ne partagent pas devision commune de l’avenir. Ils s’opposent simplement à la répression del’armée. Ce qui ne constitue pas un programme politique. Mais un actepolitique.
Ainsi, lorsque la question s’est posée de savoir que faire des protestationsqui ont conduit les Etats-Unis à abandonner Moubarak et sceller le sort de sonrégime, les laïcs n’avaient pas de réponse. Tout ce qu’ils pouvaient faireétait de continuer à protester contre la répression militaire.
Les Frères sont la force la plus populaire du pays depuis des décennies. Leursdirigeants ont compris que, pour s’emparer du pouvoir, il leur suffisait departiciper aux élections dont le résultat leur importait au plus haut point -obtenir le contrôle de la rédaction de la constitution.
Pour atteindre cet objectif, ils étaient disposés à collaborer avec les laïcscontre les militaires et avec l’armée contre les partisans de la laïcité. Ilsétaient prêts - comme ils le faisaient avant le “Vendredi de la charia” enjuillet dernier - à négocier de mauvaise foi.
Quand vous savez ce que vous voulez, vous utilisez tous les outils à votredisposition pour atteindre vos objectifs. Lorsque vous ne savez pas ce que vousvoulez, peu importe quels sont les outils que vous détenez, vous ne pourrezatteindre vos objectifs.
Vers une guerre lente ou rapide ?

L’inévitabilitéde la prise de contrôle islamique de l’Egypte a une autre incidence : la paixentre Israël et l’Egypte ne revêt plus aucun sens. Un conflit nous guette.Reste à savoir dans combien de temps et sous quelle forme il adviendra. S’ilintervient lentement, ce sera par une escalade progressive des attaquestransfrontalières par le Hamas et autres groupes djihadistes au Sinaï.L’empressement soudain du Hamas à revendiquer les attaques au mortier contre lesud d’Israël et l’attentat transfrontalier meurtrier du lundi 18 juin sont dessignes avant-coureurs.

Avec la montée au pouvoir des Frères, la coopération sécuritaire entre Israëlet les forces de sécurité égyptiennes dans le Sinaï a vécu. Et le régime ne secontentera pas de ne rien faire pour mettre fin au terrorisme.
Il va l’encourager. Tout comme l’armée égyptienne a parrainé et organisé lesraids fedayins de la bande de Gaza dans les années 1950, le régime actuel vaparrainer et éventuellement organiser des attaques irrégulières à partir duSinaï et de la bande de Gaza.
Dans le scénario voie-rapide-vers-une-confrontation, l’armée égyptienne enpersonne participera à des attaques contre Israël. Les troupes égyptiennespeuvent tirer à vue sur les Israéliens à travers de la frontière. Elles peuventremilitariser le Sinaï. Elles peuvent intensifier les attaques contre les forcesaméricaines dans le Sinaï, censées maintenir la paix, pour les inciter à seretirer.
Que la confrontation intervienne demain ou dans un an ou deux, la question desavoir si l’armée demeure le chef attitré de l’Egypte n’est d’aucune importancepour Israël.
Dans leur tentative de maintenir leur pouvoir et privilèges, la première carteque joueront les généraux sera leur soutien à la paix avec Israël. Avec l’appuides États- Unis pour les Frères contre les militaires, le maintien du traité depaix a cessé de compter pour les gradés.
Devant cette situation déplorable, les dirigeants israéliens doivent prendreplusieurs mesures dans l’immédiat.
Tout d’abord, ils doivent renoncer à leur langue diplomatique concernantl’Egypte. Rien ne sert de nier que le front Sud - en sommeil depuis 1981 -s’est réveillé et que la paix avec l’Egypte est à présent dénuée de sens.
Rappelons que sous la direction de Moubarak, les médias égyptiens clamaient quele Mossad déployait des requins agents secrets, leur ordonnant d’attaquer destouristes le long du littoral égyptien pour détruire son industrie du tourisme.
Vu qu’Israël n’a pas réellement besoin de faire ou dire quoi que ce soit pourprovoquer les Egyptiens, soyons au moins honnêtes devant la situation actuelle.
Un franc-parler s’impose. Ces 30 dernières années, soucieux de protéger letraité de paix, Israël ne s’est jamais défendu devant les assauts diplomatiquesde l’Egypte sur son droit à l’existence. Aujourd’hui, il peut et doit se battrede toutes ses forces. Quant aux attaques, nous n’avons pas vraiment d’optionssur le terrain. Nous ne pouvons pas opérer ouvertement dans le Sinaï. Si nousexerçons des représailles par frappes aériennes, le gouvernement dirigé par lesFrères utilisera notre action défensive pour justifier une guerre. Reste donc àaugmenter massivement notre capacité à agir clandestinement.
Préparons-nous le mieux possible au pire.